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De sa victoire au "loto" à sa chute de l'Himalaya, récit des presque 9 mois de François Bayrou à Matignon
Même pas 9 petits mois et déjà des cartons à faire. François Bayrou n'a pas réussi à obtenir la confiance de l'Assemblée nationale ce lundi 8 septembre et se voit contraint de quitter Matignon. Il va remettre sa lettre de démission au président de la République ce mardi, selon les informations de BFMTV. Le patron du Modem avait pourtant réussi, quelques poignées de jours après son arrivée, à l'emporter là où avait échoué son prédécesseur Michel Barnier, en parvenant à boucler un budget.
De quoi lui permettre de croire en sa bonne étoile avant de foncer dans le mur de l'absence de majorité au Palais-Bourbon. Récit de ces 275 jours qui ont finalement tourné court.
Une nomination arrachée à Emmanuel Macron
"François, c'est quelqu'un qui s'est fait tout seul, qui s'est construit dans l'adversité. Il a toujours fait les choses à sa façon et à Matignon, c'est pareil. Il croit en son instinct et il se dit qu'il comprend des choses que d'autres ne voient pas", rembobine l'un de ses proches avec le recul.
Après la chute de Michel Barnier, largement censuré sur le budget de la sécurité sociale, c'est Sébastien Lecornu qui a le vent dans le dos. Emmanuel Macron, qui a souhaité à plusieurs reprises le nommer, acte qu'il est l'heure pour le ministre de la Défense qu'il apprécie depuis des années.
Mais pas question pour François Bayrou de s'effacer encore. Ces dernières années, le patron du Modem s'est vu plusieurs fois à Matignon, de l'entre-deux-tours de la présidentielle en 2007 quand il s'était rapproché de Ségolène Royal, à 2017 après son ralliement à Emmanuel Macron, en passant par l'été 2024 après la dissolution.
À plus de 73 ans - le même âge que Michel Barnier - le centriste qui a commencé sa carrière à la fin des années 70 sous Raymond Barre ne veut donc plus laisser passer sa chance. De quoi tordre le bras d'Emmanuel Macron quand le chef de l'État lui annonce qu'il ne l'a pas choisi. Pour emporter la mise, le patron du Modem le menace de demander à ses 37 députés de quitter le bloc central et de rétrécir le socle commun à l'Assemblée qui n'atteint déjà même pas la majorité.

Déjà affaibli politiquement, manifestement soucieux d'éviter un drame avec le centriste, Emmanuel Macron cède et nomme François Bayrou à Matignon.
"Cette séquence va donner le ton de son passage au gouvernement. Elle lui donne l'impression que même quand on lui dit que ça ne va pas marcher, il réussit à passer par un trou de souris. Et dans les premiers temps, il a dû se dire qu'il avait gagné au loto", observe un député macroniste.
"L'Himalaya" à franchir
La feuille de route est à la fois très lourde et très légère: parvenir à boucler le budget 2025 alors que pour la première fois depuis 1958, une loi spéciale a dû être votée pour parvenir à déclencher pour le mois de janvier une première tranche de paiement et pouvoir faire tourner les services publics.
Première étape pour y parvenir: jouer la carte du capitaine qui tient la barre en pleine tempête et qui sait parfaitement là où il a mis les pieds. Lors de la passation de pouvoir, le nouveau chef du gouvernement évoque "l'Himalaya" budgétaire "qui se dresse devant nous", assurant savoir que "les chances de difficulté sont beaucoup plus importantes que les chances de succès".
Second levier: parvenir à nouer un accord de non-censure avec les socialistes tout en gardant les LR dans son gouvernement. Avec le soutien du socle commun et l'abstention des troupes d'Olivier Faure, le centriste sait que le budget de l'État et de la sécurité sociale seront largement adoptés.
Pour y parvenir, François Bayrou tente bien de débaucher, sans succès, le patron de Place publique, Raphaël Glucksmann, arrivé en troisième position lors des élections européennes quelques mois plus tôt, et plus largement de faire venir des socialistes et des écologistes à ses côtés.
L'éternel retour sur la réforme des retraites
Pour convaincre la gauche, il a un argument de poids: "reprendre sans suspendre" la réforme de la retraite à 64 ans qui ne passe toujours pas à gauche presque deux ans après son adoption aux forceps. La formule est trop floue au goût de la gauche qui ne saisit pas la main tendue.
Mais elle est assez large pour ne pas fâcher la droite qui a très largement soutenu la réforme, en dépit d'une très forte mobilisation dans la rue et dans le monde syndical. De quoi assurer leur maintien au gouvernement sans perdre la face. Et ce n'est pas par hasard. Le Premier ministre sait que les LR ne sont pas franchement des fans de la première heure.
Dans les rangs des députés de Laurent Wauquiez, pas grand-monde n'a oublié que le patron du Modem avait appelé à voter François Hollande contre Nicolas Sarkozy en 2012. De quoi pousser François Bayrou à chaudement saluer à plusieurs reprises le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau et nouvelle star de la droite pour le convaincre de rester, lui, et ses troupes dans les allées des ministères.
"C'est du Bayrou tout craché. Chacun entend un peu ce qu'il veut et comme il n'a aucun intérêt à préciser vraiment ce qu'il veut faire et qu'on a tous envie de continuer à être au gouvernement, on tope", reconnaît un conseiller ministériel LR.

L'affaire étant conclue avec la droite, reste toujours à trouver une solution pour arrimer la gauche. Elle a un visage: celui d'Éric Lombard. Inconnu du grand public, celui qui est nommé à Bercy quelques jours après l'arrivée du centriste rue de Varenne est un "ami dans la vie" d'Olivier Faure, le premier secrétaire du parti à la rose.
Cet ancien dirigeant de la BNP Paribas, passé par des cabinets de gauche dans les années 90, a pour mission de parvenir à s'attirer la bienveillance des socialistes.
Mayotte, le jet privé et la polémique
Sur le papier, les premiers pas de François Bayrou apparaissent donc plutôt comme une réussite. Las: à peine 72 heures après son arrivée à Matignon et alors que des discussions s'ouvrent en toute discrétion avec le PS, François Bayrou se prend les pieds dans le tapis. L'archipel de Mayotte a beau être dévasté par le cyclone Chido, le Premier ministre n'hésite pas à s'échapper d'un point presse à la sortie d'une réunion interministérielle de crise sous l'œil des caméras.
Attendu le lendemain lors d'une réunion pour parvenir à sortir de la situation catastrophique dans le département, le chef du gouvernement préfère y assister à distance, ce qui lui permet de se rendre... au conseil municipal de Pau en jet. Celui qui a pourtant pourfendu pendant plus de deux décennies le cumul des mandats veut à tout prix rester à la tête de la ville qu'il dirige depuis plus de 10 ans.
Dans le socle commun (qui est pourtant censé le soutenir), on ne se bat pas vraiment pour le défendre.
"L'argument en faveur de la nomination de Bayrou était basé sur son profil qui connaît par cœur le monde politique et sent bien la France. Et on se retrouve avec ça?", s'étrangle un député LR. "J'aurais préféré qu'il prenne l'avion pour Mayotte", lâche de son côté la présidente de l'Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet.
"Tout ça était peut-être malhabile", reconnaît de son côté le député Modem Richard Ramos.
Résultat: à peine 10 jours après son arrivée à Matignon, François Bayrou est le Premier ministre le plus impopulaire de la Ve République.
Une stratégie pour obtenir l'amitié du PS
Impopulaire, oui. Mais l'homme est rusé et le prouve vite. Au retour des vacances de Noël, il lâche une première concession aux socialistes en renonçant à la suppression des 4.000 postes d'enseignants prévus dans le budget 2025, vrai chiffon rouge pour les socialistes. De quoi lui permettre de sauver sa peau lors d'une motion de censure déposée contre lui par les insoumis.
Et surtout le Premier ministre a affiné ses propositions sur les retraites. Bien aidé par Éric Lombard qui n'a pas lâché son téléphone de toute la trêve des confiseurs, il propose aux socialistes "un conclave" sur le départ à 64 ans qui prendrait la forme d'une discussion pendant trois mois avec les partenaires sociaux. Le but est de discuter "sans totem ni tabou" de la réforme des retraites qui n'a jamais été votée au Parlement.

En cas d'accord, François Bayrou s'engage à présenter un projet de loi qui en reprendrait les grandes lignes. En échange, le Premier ministre demande aux socialistes de ne pas voter contre le budget 2025.
Chez les socialistes, l'occasion est trop belle pour la laisser passer. Elle leur permet de montrer à leurs électeurs qu'ils parviennent à "arracher" des concessions et pouvoir au passage se montrer comme une "gauche qui fait céder le gouvernement" comme l'explique Olivier Faure à la tribune. Et voilà comment François Bayrou réussit son pari, là où avait échoué Michel Barnier. Et tant pis si Manuel Bompard, le numéro 1 de La France insoumis dénonce "une comédie" et voit dans cet accord "l'assurance-vie du système".
"On n'avait plus le choix. Personne ne comprenait qu'on n'ait pas de budget. Ce n'est pas dû à ce que certains appellent son talent politique. Bayrou a surtout de la chance", griffe un socialiste à l'Assemblée.
La preuve lorsqu'il échappe à une motion de censure déposée par les propres troupes d'Olivier Faure après avoir évoqué "le sentiment de submersion migratoire" dans certains départements en France.
Le raté de l'Affaire Bétharram: "tout glisse sur lui"
Une fois ces premiers cols franchis, François Bayrou voit un second "Everest" apparaître pour reprendre les mots prononcés lors de sa passation de pouvoir: l'affaire Bétharram, du nom de cet établissement privé catholique à côté de Pau. Le chef du gouvernement est accusé par des témoins d'avoir été au courant d'accusations d'agressions sexuelles au sein de cette école, où plusieurs de ses enfants étaient scolarisés dans les années 1990 et où sa femme a enseigné le catéchisme.
Sous forte pression notamment des insoumis, le centriste nie avoir été au courant des faits, sans que cela ne l'abîme guère, y compris après son passage très houleux devant la commission d'enquête et ses contradictions pointées par le collectif de victimes.

"On parle de faits très graves à Bétharram. Il s'est défendu très maladroitement, n'a même pas eu un mot pour les victimes. Et on a l'impression que ça ne l'atteint pas. Vraiment, j'ai du mal à comprendre", explique, perplexe, un député Renaissance.
"Vous savez, Bayrou, il est comme un canard. Tout glisse sur lui. Comme il dit peu, c'est toujours difficile de l'attaquer. Il le sait bien et c'est sa méthode depuis des années", relate un ex-sénateur Modem.
Une façon de faire qui se retrouve jusque dans son style de management au sein du gouvernement. Alors que cohabitent au sein de la même équipe Bruno Retailleau, très apprécié de la droite jusqu'aux électeurs du Rassemblement national et le socialiste Éric Lombard, jamais François Bayrou ne s'agace des points de vue divergents entre ses ministres.
Pour qualifier ce qu'on aurait appelé des couacs sous Michel Barnier, la porte-parole du gouvernement Sophie Primas préfère, elle, parler de "polyphonie".
"Il laisse de la liberté à ses ministres. Ça permet de faire des clins d'œil à la gauche ou à la droite quand c'est le bon moment. Il ne fâche personne. C'est malin dans une Assemblée aussi fragmentée", sous-titre un député Modem.
Mais la méthode trouve ses limites quand on rentre dans le concret comme sur la question des retraites. Fin mars, après avoir promis de ne pas avoir de "tabou" sur l'âge de départ à la retraite, le Premier ministre ferme totalement la porte à un éventuel retour à 62 ans.
A gauche, le sentiment "d'avoir été pris pour des idiots"
Alors qu'il était parvenu à obtenir la mansuétude des syndicats et la bienveillance du PS, tout vole en éclat. Au PS, on a le sentiment "d'avoir été pris pour des idiots", confie la députée Dieynaba Diop.
"C'est la preuve que les négociations avec les partenaires sociaux, mais aussi les socialistes, sont un jeu de dupes depuis le départ. Les masques tombent", juge de son côté le député LIOT Harold Huward.
Résultat: le PS prend ses distances et François Bayrou perd le seul allié qui lui permet d'élargir son assise à l'Assemblée nationale et d'obtenir le vote de certains textes. Mais le centriste ne s'inquiète guère.
"On est en train de nous la faire à l'envers. François Bayrou se dit 'ils n'oseront jamais me censurer donc je peux dire ce que je veux'. Et il a peut-être raison", décrypte à ce moment-là un député PS.

Dans le camp du Premier ministre, le calcul est en effet assez clair. Le centriste mise sur la volonté des socialistes de se détacher de La France insoumise et sur leur volonté d'apparaître comme un parti de gouvernement pour ne pas prendre le risque de le faire tomber. Matignon est également bien aidé par le contexte international très incertain, avec le retour au pouvoir de Donald Trump et la guerre en Ukraine, qui pousse plutôt à une certaine stabilité.
Quand l'agacement se diffuse jusque dans son camp
En macronie, on soutient le fond du discours de François Bayrou et on partage la volonté de ne pas changer d'équipe gouvernementale mais la méthode, faite de déclarations contradictoires, agace.
"Il confirme ce que l'on savait déjà, oui sur les 62 ans, mais de façon très maladroite, en brusquant les syndicats alors qu'on a besoin au contraire de débats constructifs", regrette la députée Renaissance Stéphanie Rist, rapporteure du projet de loi retraites en 2023.
Résultat des courses: l'inquiétude commence sérieusement à monter. "À force de jouer avec le feu, il peut finir par être censuré par un truc qu'il n'aura pas vu venir", observe un macroniste.
Habile, le Premier ministre ne présente à l'Assemblée nationale que des textes jugés sans grand risque de le faire tomber, comme la loi sur la fin de vie ou la réforme du scrutin Paris-Lyon-Marseille. Exit par exemple la grande loi immigration qu'appelait de ses vœux son ministre de l'Intérieur Bruno Retaillau, jugée trop clivante pour être largement adoptée par le Parlement.
Mais l'atmosphère peut parfois être lourde au gouvernement, entre des ministres qui n'hésitent pas à se tirer dans les pattes comme sur la question du voile dans le sport et Bruno Retailleau qui se sent pousser des ailes depuis qu'il est devenu président des Républicains et qu'il se voit bien candidat à la présidentielle.
"Ce n'est pas drôle tous les jours. Il y a une multiplication des pièges qui sont tendus tous les jours", reconnaît un soir de mai François Bayrou, entouré de petits fours et de députés macronistes.
Encore des consultations dont "il ne ressort jamais rien"
Pour sortir du blues, le centriste est bien décidé à avancer et veut anticiper très en amont la préparation du budget. La situation politique n'a pas changé à l'Assemblée et cette fois-ci, l'attitude des socialistes pourrait bien ne rien avoir de bienveillante. D'autant plus que le conclave sur les retraites a explosé en plein vol.
C'est donc désormais du côté du RN que Matignon tourne son regard. Et voilà la promesse de campagne de François Bayrou de 2007 et de 2012 revenir sur le devant de la scène: réformer le mode de scrutin d'élections des députés pour les faire élire à la proportionnelle "d'ici la fin de l'année". Ce n'est pas un hasard: Marine Le Pen et Jordan Bardella la réclament ardemment.

Le Premier ministre se lance au mois d'avril dans un cycle de consultations "comme il adore", lâche l'un de ses conseillers à Matignon.
"C'est vraiment la définition de François Bayrou ce genre de machin. On parle pendant des heures, il est content parce qu'il a pu montrer qu'il savait des choses et il n'en ressort jamais rien", s'agace alors un député Modem, reflétant bien l'agacement qui commence à monter parmi ses propres soutiens.
Jours fériés, médicaments... La quête des 44 milliards d'économies
En réalité, à Matignon, tout le monde a le regard tourné vers l'automne et la recherche de 44 milliards pour boucler le budget. La pression monte d'autant plus que les socialistes déposent fin juin une motion de censure pour le renverser. Le président des députés PS Boris Vallaud ne digère pas le refus du Premier ministre de présenter devant le Parlement un texte qui permettrait de débattre de l'âge de départ à la retraite.
"Moi, à ce moment-là, je me suis dit que ça allait devenir très très chaud quand même de les garder de notre côté pour le budget. Mais à Matignon, on nous disait que le Premier ministre allait mettre le paquet pour les convaincre", relate un poids lourd du camp présidentiel.
Le plan du Premier ministre pour renverser la vapeur? Une grande conférence de presse le 15 juillet pour détailler comment il compte parvenir à faire 44 milliards d'euros d'économies, dans la droite lignée de celle tenue quelques mois plus tôt pour dire "la vérité" aux Français sur la situation budgétaire.
Sur le papier, la barre est beaucoup moins haute que celle de Michel Barnier. L'ancien Premier ministre avait espéré, lui, faire 60 milliards d'euros d'économies.
Ses pistes? La suppression de deux jours fériés qui ne seraient pas payés pour les salariés du privé, non-remplacement d'un fonctionnaire sur 3 qui part à la retraite, fin des remboursement de tous les médicaments pour les 13 millions de personnes en affection longue durée en France...
Un été pour négocier, sans négociations
François Bayrou ne fait pas semblant pour sortir de "la malédiction du surendettement" français, jugeant que "le peuple a rendez-vous avec lui-même". Le Premier ministre sait que les propositions sont explosives et qu'elles vont être difficiles à faire adopter à l'automne dans le budget. Mais le calendrier qu'il a lui-même choisi lui donne de l'optimisme: les députés ne siègent plus lorsqu'il fait ses annonces et les congés d'été approchent.
"C'est très simple: on lâche des petites 'bombes', on va entendre des députés bondir 24 heures et après tout le monde part en congé donc plus de son, plus d'images", résumait un député macroniste.
Bref, le but est de laisser boxer les oppositions dans le vide et au passage de négocier pendant le mois d'août pour parvenir à attirer sur des propositions qui permettent à une partie de l'hémicycle d'accepter un tel budget ou au moins de ne pas censurer le Premier ministre. Encore faut-il décrocher son téléphone et commencer à négocier avec les socialistes ou les troupes de Marine Le Pen.

Promis, François Bayrou ne prendra pas de congés. Son entourage fait savoir que le Premier ministre va rester à Paris et continuer d'avancer sur le budget. Le Premier ministre se fait pourtant discret tout l'été: à peine un déplacement en Charente-Maritime pour fêter les 50 ans du conservatoire du littoral.
Du côté des oppositions, c'est silence radio. Au RN et au PS, on assure n'avoir aucun échange pendant la période estivale. "Ils étaient en vacances", cinglera plus tard le Premier ministre.
Le pari kamikaze du vote de confiance
Le centriste avance cependant bien de son côté et a un plan pour sauver sa peau à l'automne. Lors d'un rendez-vous à Brégançon, François Bayrou le présente à Emmanuel Macron. Conscient qu'il peut être censuré à l'automne sur le budget, le Premier ministre préfère s'assurer qu'une large partie du Parlement partage son diagnostic sur l'état des finances et souhaite demander un vote de confiance aux députés.
La méthode vise à se donner de l'élan avant de passer aux négociations à proprement dit dans la foulée. En cas d'échec du vote de confiance, le Premier ministre devra faire ses bagages. Le président, lui, devra à nouveau se mettre en quête d'un nouveau gouvernement capable de faire adopter un budget sans tomber ensuite sur une motion de censure.
Le calcul est extrêmement risqué. Mais Emmanuel Macron dit banco, probablement certain que pour proposer un tel choix, le centriste a dû obtenir des gages des socialistes ou du RN.

Le 25 août, François Bayrou convoque une conférence de presse. Quelques minutes avant d'annoncer le vote de confiance, le Premier ministre prévient ses ministres. Tout comme le président, ils n'imaginent pas leur patron y aller sans garantie. Et pourtant... Dans la foulée de son annonce, le PS puis le RN annoncent qu'ils voteront contre la confiance. En sortant la calculette des équilibres à l'Assemblée, les jeux sont faits: sans les députés de Boris Vallaud et de Marine Le Pen, il est impossible d'obtenir la confiance.
"Il nous met dans la merde"
Autrement dit, le Premier ministre n'a aucune chance de se maintenir à son poste après le 8 septembre, le jour choisi pour convoquer le Parlement. Dans les allées ministérielles, c'est la consternation.
"Le Premier ministre nous met dans la merde", lâche un ministre. "Comme d'habitude, il décide de tout, tout seul, sans écouter personne, quitte à aller à la catastrophe nucléaire", s'agace de son côté l'un de ses collègues.
"En fait, on n'aura plus de gouvernement dans quelques jours mais toujours une dette abyssale et plus personne pour présenter un budget. Chapeau l'artiste", cingle encore un conseiller ministériel.
Le Premier ministre n'est cependant pas suicidaire. S'il a choisi cette option, c'est d'abord parce qu'il préfère tomber en choississant lui-même son moment plutôt que de devoir partir contraint et forcé comme Michel Barnier.
"Lui a négocié avec le RN et à la fin, il est tombé de façon humiliante. François pourra dire qu'il a fait tout ce qu'il a pu pour alerter sur la situation de la dette, quitte à y laisser son poste", salue l'un des proches de François Bayrou.
Et puis, le centriste croit qu'il a une petite chance de sauver sa peau en prenant à témoin les Français qui demanderaient à leur tour à leur député de ne pas le faire tomber.
S'ensuit dès lors une tournée des médias tous azimuts pour parvenir à convaincre. Pendant près de 15 jours, on entend François Bayrou rappeler les chiffres de l'endettement et se dire prêt à revenir sur la suppression des deux jours fériés en cas de pistes d'économies équivalente. Mais même en acceptant de rétropédaler, les jeux sont faits.
Quant aux LR, qui ont pourtant repris goût aux ministères après des années dans l'opposition, on ne le soutient que du bout des lèvres. Un député du groupe de Laurent Wauquiez prédit même que "la moitié de ses collègues iront à la cueillette aux mûres" le jour du vote de confiance.
"Ça devient très pénible à regarder. Plus il parle, plus il aggrave son cas. Il est vraiment temps qu'on en finisse", partage un élu macroniste.
Tournée d'adieu "comme Michel Sardou"
Pour tenter de sortir de l'ornière, François Bayrou lance un nouveau cycle de consultations boycottées par une partie de la gauche. Au RN et au PS, on y va mais "sans enthousiasme" pour reprendre les mots de Jordan Bardella.
À l'Élysée, officiellement, on refuse d'enfoncer le Premier ministre. Lors du dernier Conseil des ministres avec François Bayrou autour de la table, le chef de l'État appelle à "une mobilisation totale" autour de lui. En réalité, Emmanuel Macron se projette dans l'après-Bayrou et appelle lors d'un déjeuner autour de Gabriel Attal, Édouard Philippe et Bruno Retailleau à "travailler avec les socialistes".
Autant dire que les derniers jours au pouvoir de François Bayrou sont crépusculaires, comme "une tournée d'adieu de Michel Sardou mais sans les tubes", pique la patronne des écologistes Marine Tondelier.
"La politique, ce n'est pas du spectacle", assure cependant le Premier ministre, jurant ne pas "faire semblant d'y croire".
"Il a un petit côté François Hollande. Personne ne croyait qu'il pouvait devenir président et il a réussi quand même. Lui, il se dit la même chose. Mais on ne peut pas gagner au loto tous les jours", tranche l'un de ses anciens compagnons de route.
Désormais hors du jeu politique depuis sa chute ce lundi, comment va s'écrire la suite pour le Béarnais? D'abord à Pau comme maire et puis-être dans la course à l'Élysée? "Je serai là en 2027 mais ça ne veut pas dire candidat à l'élection présidentielle. Ca n'est pas dans mon objectif aujourd'hui", avance celui qui s'est pourtant présenté à trois reprises. Une chose est sûre: il ne compte pas se retirer sur son Aventin.
"Je suis un responsable politique. Je l'étais avant d'être Premier ministre et je le resterai après", a déjà prévenu François Bayrou.
"On a payé pour voir, on peut peut-être passer à autre chose maintenant", lui répond par avance un macroniste, soucieux de tourner la page. François Bayrou entendra-t-il le message ou s'accrochera-t-il?