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Le Premier ministre François Bayrou lors d'une audition à l'Assemblée le 14 mai 2025

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Affaire Bétharram: entre rapport d’inspection, courriers et dénégations, la riposte de François Bayrou face à ses accusateurs

Après avoir dénoncé "une cyberattaque" sur son site qui devait fournir des preuves de son innocence dans ce dossier, le Premier ministre a transmis ces pièces à BFMTV et RMC. Elles viennent étayer sa défense devant la commission d'enquête le 14 mai dernier.

Promesse tenue pour François Bayrou. Huit jours après avoir expliqué devant l'Assemblée nationale qu'il publierait "la totalité des documents" qui prouve son innocence dans l'affaire Bétharram, le Premier ministre les a transmis à BFMTV et RMC.

Sur notre antenne ce mardi, le chef du gouvernement a assuré avoir procédé à leur publication le week-end dernier sur son site mais avoir été victime d'une "cyberattaque" dans la foulée. Les documents que nous dévoilons récapitulent en grande partie la défense du Premier ministre, longuement auditionné par la commission d'enquête le 14 mai dernier.

Les députés planchent maintenant depuis des semaines sur les violences dans le cadre scolaire et notamment le dossier de Notre-Dame-de Bétharram, un établissement privé au cœur d'un scandale de violences et viols s'étalant sur plusieurs décennies. Le parquet de Pau enquête actuellement sur près de 200 plaintes.

François Bayrou a joué très gros devant les députés. Dans une atmosphère très tendue, le Premier ministre qui a réaffirmé son innocence, sans toujours convaincre, doit maintenant attendre les conclusions de la commission d'enquête prévues fin juin.

De quoi pousser le locataire de Matignon à jouer la carte de l'offensive. On trouve dans les textes transmis à BFMTV et RMC "des faits et documents" qui "ont été difficiles à faire apparaître", assure le centriste.

On y lit cependant des articles de presse, plusieurs circulaires publiées par François Bayrou quand il était ministre de l'Éducation nationale entre 1993 et 1997, toutes déjà accessibles en ligne sur le site Légifrance, le rapport de l'inspection pédagogique menée à Bétharram en 1996, déjà publié par Le Figaro ou encore le récapitulatif de la défense de François Bayrou devant la commission d'enquête.

• François Bayrou persiste et signe en attaquant l'une des professeurs lanceuse d'alerte

Le Premier ministre revient longuement dans les documents publiés sur les déclarations de Françoise Gullung, professeure de mathématiques, elle-même auditionnée devant la commission d'enquête en mars.

Ce qui est reproché à François Bayrou

Cette enseignante a mis en cause sur TF1 puis sur BFMTV et enfin sous serment, Élisabeth Bayrou, l'épouse de l'actuel Premier minisre, qui a enseigné quelques mois le catéchisme à Bétharram en 1995.

François Gullung a assuré que l'épouse du président du Modem était au courant du climat de violences dans l'établissement et qu'elle avait tenté de prévenir à plusieurs reprises François Bayrou dans les années 90, une fois par courrier dont elle n'a pas gardé trace et à une autre reprise lors d'une cérémonie de remise de décoration.

Devant la commission d'enquête, François Bayrou l'a accusé "d'affabuler", mettant en doute ses souvenirs. La méthode a profondément agacé la commission d'enquête, sans convaincre.

Comment se défend François Bayrou

Le Premier ministre continue toujours; à travers les documents transmis, de remettre en cause la parole de Françoise Guttung, en s'appuyant sur le témoignage de l'enseignante, comme il l'a déjà fait devant la commission d'enquête.

Après son départ de Bétharram, la professeure a été recrutée dans un établissement de Charente-Maritime en septembre 1996 pour donner des cours. Mais très vite, elle se voit finalement attribuer à la place de nombreuses heures de surveillance et quelques cours de physique. Faisant part de son incompréhension au directeur de l'établissement, elle a rapporté devant la commission d'enquête les propos suivants:

"Le directeur m'a alors dit 'vous êtes complètement idiote, vous n'avez pas compris que vous êtes là pour venger mon ami (le père) Carricart'", le nom de l'ancien directeur de Bétharram.

Mais pour François Bayrou, ces propos "n'ont aucun sens", comme il l'explique dans le document suivant:

L'enquête ouverte contre le père Carricart pour viol et tentative de viol, qui mènera à sa mise en examen, n'a eu lieu qu'en 1998, soit deux ans après l'arrivée de la professeure de mathématiques dans ce nouveau lycée.

Par ailleurs, Françoise Gullung est arrivée à Bétharram en 1994 alors que le père Carricart n'était plus directeur de l'établissement.

En pointant ce que le Premier ministre appelle "les contradictions" de François Gullung en termes de dates, il cherche à discréditer son témoignage sur les alertes qu'elle aurait lancées auprès de François Bayrou.

Pourtant, comme le rapporte notamment le livre d'Alain Esquerre, le porte-parole des victimes de Bétharram, le père Carricart a continué d'occuper un rôle important dans l'établissement scolaire après son départ de son poste de directeur.

Par ailleurs, Françoise Gullung a rapporté devant la commission d'enquête une réunion autour des professeurs début 1996 où le religieux avait mis en garde "contre toute prise de parole publique" après le dépôt d'une plainte d'un élève contraint de passer la nuit dehors en plein hiver en sous-vêtements.

•François Bayrou affirme "ne pas se souvenir" de sa rencontre avec le juge Mirande

Ce qui est reproché à François Bayrou

Le Premier ministre a toujours nié avoir eu une quelconque influence sur la procédure judiciaire, faute d'avoir été au courant des faits reprochés. Il le réaffirme à nouveau dans les documents qu'il produit.

Mais Christian Mirande, l'ancien juge d'instruction en charge du dossier, affirme avoir rencontré de façon privée François Bayrou en 1998 pour évoquer le sujet. À l'époque, l'ancien directeur de l'institution catholique du Béarn, le père Carricart, est accusé de viol par un ancien élève, le premier à avoir dénoncé de tels faits.

"Il était inquiet parce qu'il avait l'un de ses enfants qui était élève à Bétharram", a raconté l'ancien juge d'instruction sur BFMTV en février dernier. "Tout le monde en parlait, les journaux locaux... Il n'a rien appris en venant me voir qui n'ait été publié auparavant dans les médias", a-t-il encore expliqué sur notre antenne. Christian Mirande a maintenu sa version des faits devant la commission d'enquête.

"Je n'ai pas compris" que François Bayrou "ait pu occulter nos échanges" après "être venu me voir", a encore expliqué l'ex-magistrat devant les députés.

"François Bayrou n'arrivait pas à croire la réalité" des faits reprochés au prêtre accusé de viol, "qu'il semblait connaître", a ajouté Christian Mirande devant la commission d'enquête.

Comment se défend François Bayrou

Cette visite a été niée dans un premier temps par François Bayrou. Sa propre fille Hélène Perlant a ensuite assuré auprès de Médiapart puis de BFMTV que son père avait bien rencontré le juge Mirande.

Devant la commission d'enquête, le Premier ministre a finalement expliqué "n'avoir aucun souvenir de tout ça". "Encore aujourd’hui, je n’ai aucun souvenir. Mais je fais confiance à Christian Mirande qui dit qu’on s’est rencontrés chez lui", a-t-il affirmé, en évoquant une fréquentation "amicale" avec le juge, l'un de ses voisins.

Dans les documents publiés par François Bayrou, le Premier ministre explique à nouveau "ne s'être simplement pas souvenu" d'une discussion précise avec le juge Mirande, "25 ans après".

Après avoir indiqué n'avoir "jamais discuté de cela" avec le magistrat, François Bayrou insiste sur son changement de version qui date d'une interview du 15 mars 2025 dans La République des Pyrénées, indiquant depuis avoir "toujours admis sa rencontre avec le juge".

• Bayrou plaide la "bonne foi" après avoir expliqué à tort qu'un surveillant de Bétharram avait été licencié

Ce qui est reproché à François Bayrou

Devant la commission d'enquête, François Bayrou avait indiqué qu'un surveillant condamné pour violences sur un élève de Bétharram en 1996 avait ensuite été licencié.

Le Premier ministre, qui était ministre de l'Éducation (1993-1997) à l'époque des faits, a même présenté un courrier - joint à la liste des documents transmis - mentionnant le renvoi de ce surveillant, quelques mois après une inspection diligentée par ses soins à Bétharram.

Problème: le collectif des victimes a indiqué le contraire. "Entre 1997 et 1998, ce surveillant est toujours présent à Bétharram, ayant même obtenu une promotion étant CPE", a fait ainsi valoir Alain Esquerre, leur porte-parole auprès du Parisien deux jours après la déclaration de François Bayrou.

"Ce surveillant n'a été nullement licencié comme a pu le dire le Premier ministre sous serment devant les députés", a-t-il encore insisté.

Comment se défend François Bayrou

François Bayrou plaide dans les documents produits "sa bonne foi", évoquant "les informations remontées" au rectorat assurant que ce surveillant "venait d'être licencié".

Dans une lettre du directeur de l'établissement joint par le Premier ministre, on peut d'ailleurs lire que ce dernier "a été licencié".

•Bayrou défend le rapport d'inspection académique

Ce qui est reproché à François Bayrou

Le Premier ministre, alors ministre de l'Éducation nationale, a fait diligenter une enquête académique sur Bétharram en avril 1996. Ce contrôle intervient après la révélation par la presse de 3 plaintes déposées dont une pour coups et blessures volontaire et une autre pour traitement inhumain et dégradant visant un surveillant de Bétharram (dont le licenciement sera ensuite annoncé à tort NDLR).

Depuis le début de cette affaire, le fait d’avoir commandé cette enquête au rectorat de Bordeaux est utilisé par le centriste pour affirmer qu'il a pris les mesures qui s'imposaient. Mais les conditions de cette inspection, ainsi que les conclusions qui en ont été tirées, ont interrogé les corapporteurs de la commission d'enquête Violette Spillebout et Paul Vannier.

On peut en effet y lire sous la plume de l'inspecteur académique régional de l'époque dans un document transmis par François Bayrou que "Bétharram n'est pas un établissement où les élèves sont brutalisés".

Des dizaines de plaintes déposées ces derniers mois par des anciens élèves évoquent pourtant des faits de violences sexuelles ou physiques pendant cette époque.

Auditionné par la commission d'enquête, l'inspecteur en charge de ce travail Camille Latrubesse a expliqué devant la commission d'enquête avoir été envoyé seul dans cet établissement qu'il ne connaissait pas, pressé par le recteur qui lui avait demandé de rendre son rapport en trois jours.

Il n'a d'ailleurs passé qu'une journée sur place. Alors que les plaintes sont révélées par la presse le 9 avril 1996, les conclusions du rapport sont rendues moins d'une semaine plus tard.

La corapporteure Violette Spillebout (Renaissance) a jugé cette inspection "express" et "superficielle". "Une vingtaine de personnes ont été auditionnées" peut-on lire dans le rapport transmis par François Bayrou lors de 10 entretiens, principalement menés avec des professeurs. Mais les élèves n'ont que peu été sollicités à témoigner devant l'inspecteur.

"Franchement, si on considère que c’est traité par-dessus la jambe, je trouve moi, que c’est une vraie vérification", a jugé de son côté François Bayrou devant la commission.

Quant à l'absence de suite donnée à ce rapport, François Bayrou a indiqué s'être basé sur le résumé du rapport du recteur de l'académie de Bordeaux, qui, pour synthétiser les travaux de l'inspecteur, a jugé le rapport "sage, objectif et favorable à Bétharram".

Mais la lecture d'un extrait d'un conseil d'administration de Bétharram a troublé la commission. "Le père Landel", futur directeur de l'institution à partir de 1998 et alors membre de l'équipe pédagogique, explique qu'il va falloir mener une réflexion sur la violence, demandée par monsieur Bayrou".

Cette phrase pourrait sous-entendre d'éventuels échanges entre le ministre de l'Éducation nationale de l'époque et la direction de Bétharram. François Bayrou l'a toujours nié.

Comment François Bayrou se défend

Le Premier ministre se contente d'évoquer dans les documents transmis des propos déjà tenus devant la commission d'enquête. En rapportant les conclusions du recteur de Bordeaux après le rapport de l'inspecteur, François Bayrou juge qu'il n'y avait "pas lieu de sanctionner l'établissement".

Le centriste rappelle également que dans la foulée de ce rapport, il a signé une circulaire sur la prévention de la violence en milieu scolaire complétée un an plus tard par une autre circulaire sur la prévention des mauvais traitements à l'égard des enfants.

La publication de ces documents peut-elle changer la donne pour le locataire de Matignon? François Bayrou semble y croire en affirmant dans "son mot de conclusion" joint au dossier qu'ils "établissent sans ambiguïté que toutes les accusations" qui le visent "sont des déformations, des diffamations et des falsifications".

En cas de mensonge sous serment, le Premier ministre risque 5 ans d'emprisonnement et 75.000 euros d'amende mais surtout une motion de censure qui pourrait le renverser.

Marie-Pierre Bourgeois