BFMTV
Gouvernement

"Tout glisse sur lui": trois mois après son arrivée à Matignon, François Bayrou en position de force

François Bayrou à Paris le 10 mars 2025

François Bayrou à Paris le 10 mars 2025 - Ludovic MARIN / AFP

90 jours après sa nomination, le Premier ministre peut avoir le sourire. Entre le contexte international qui plaide pour la stabilité et l'absence de texte à l'Assemblée susceptible de fâcher la gauche, François Bayrou a toutes les chances de tenir au moins jusqu'à l'automne.

Un soupir de soulagement. Trois mois jour pour jour après son arrivée à Matignon ce jeudi 13 mars, le Premier ministre peut se vanter d'avoir désormais tenu plus longtemps que Michel Barnier. Le centriste peut également mettre à son actif d'être parvenu à faire adopter le budget de l'État et de la sécurité sociale, là où avait échoué son prédécesseur. De quoi lui donner de l'oxygène, pour l'instant du moins.

"J'ai commencé à déballer tout récemment des affaires personnelles dans mon bureau. Je voulais être sûr de ne pas défaire mes cartons pour rien", résume tout sourire un collaborateur ministériel auprès de BFMTV.com.

"Il a surtout de la chance"

Il faut dire que sur le papier rien n'était gagné lors de son arrivée rue de Varenne. Le centriste n'avait d'ailleurs pas fait semblant, assurant "ne rien ignorer de l'Himalaya qui se dresse devant nous".

Mais avec la nomination d'Éric Lombard à Bercy, un très proche d'Olivier Faure, le patron des socialistes, et à la faveur de quelques concessions faites aux députés PS, de la fin de la suppression de 4.000 postes d'enseignants prévus dans le budget 2025 à l'organisation d'un conclave sur la réforme des retraites, François Bayrou est parvenu à obtenir la bienveillance d'une partie de la gauche.

"Lui, il n'a pas été négocié son budget avec Marine Le Pen et ses députés. C'est peut-être ce qui lui a permis de passer le cap", raconte sans phare le député PS Arthur Delaporte.

"On n'avait plus le choix. Personne ne comprenait qu'on n'ait pas de budget. Bayrou a eu cette chance-là, mais ce n'est pas dû à ce que certains appellent son talent politique. Il a surtout de la chance", griffe l'un de ses collègues à l'Assemblée.

"Comme il dit peu, toujours difficile de l'attaquer"

Depuis, le locataire de Matignon a dû affronter l'affaire Notre-Dame-de Bétharram. Le chef du gouvernement est accusé par des témoins d'avoir été au courant d'accusations d'agressions sexuelles au sein de cet établissement catholique, où plusieurs de ses enfants étaient scolarisés dans les années 1990 et où sa femme a enseigné le catéchisme.

François Bayrou, qui nie avoir été au courant de la situation, va être prochainement convoqué dans le cadre d'une commission d'enquête sur les violences scolaires. De quoi abîmer son image, sur le papier du moins.

"On parle de faits très graves à Bétharram. Il s'est défendu très maladroitement, n'a même pas eu un mot pour les victimes. Et on a l'impression que ça ne l'atteint pas. Vraiment, j'ai du mal à comprendre", explique, perplexe, un député Renaissance.

"Vous savez, Bayrou, il est comme un canard. Tout glisse sur lui. Comme il dit peu, c'est toujours difficile de l'attaquer. Il le sait bien et c'est sa méthode depuis des années", relate un sénateur Modem.

"Il ne fâche personne"

Une façon de faire qui se retrouve jusqu'à son style de management au sein du gouvernement. Alors que cohabitent au sein de la même équipe Bruno Retailleau, très apprécié de la droite jusqu'au Rassemblement national et le socialiste Éric Lombard, jamais François Bayrou ne s'agace des points de vue divergents entre ses ministres.

Pour qualifier ce qu'on aurait appelé des couacs sous Michel Barnier, la porte-parole du gouvernement Sophie Primas préfère, elle, parler de "polyphonie".

"Il laisse de la liberté à ses ministres. Ça permet de faire des clins d'œil à la gauche ou à la droite quand c'est le bon moment. Il ne fâche personne. C'est malin dans une Assemblée aussi fragmentée", sous-titre un député Modem.

La situation internationale avec le retour de Donald Trump à la Maison Blanche joue aussi en faveur du chef du gouvernement. Dans un moment de bascule géopolitique autour d'un rapprochement entre Washington et Moscou, difficile pour les oppositions d'assumer une vacance du pouvoir en cas de censure de François Bayrou.

La guerre en Ukraine, facteur de "stabilité gouvernementale"

"On ne peut pas se payer le luxe d'une crise politique au moment où on a des défis immenses sur la sécurité de la France", résume le député Renaissance Pieyre-Alexandre Anglade.

"Bien sûr que quand on parle d'économie de guerre, comme l'a fait Emmanuel Macron, ça favorise la stabilité gouvernementale. Tout le monde sent bien qu'on est dans un moment grave", avance le parlementaire Modem Cyrille Isaac-Sibille.

Dernière chance pour François Bayrou: le calendrier politique des partis. Dans les rangs de la droite tout comme chez les socialistes, les regards sont tournés vers les congrès qui désigneront leurs nouveaux chefs dans les prochains mois.

"Je ne vais pas dire qu'on a la tête ailleurs mais oui, on est un peu plongé dans la cuisine interne en ce moment", reconnaît d'ailleurs un sénateur LR, bien aidé par le calendrier parlementaire relativement clairsemé des prochaines semaines.

"Pas d'occasion de croiser le fer"

"Pas de projet de loi du gouvernement veut dire pas beaucoup d'occasions de croiser le fer", explique un conseiller ministériel qui ne voit comment les prochains textes annoncés, que ce soit sur le narcotrafic, la fin de vie ou la réforme du scrutin pour les municipales à Paris, Lyon et Marseille peuvent "mettre en danger" le gouvernement.

Seule petite ombre au tableau: Marine Le Pen. Lors d'une conférence de presse ce mardi, la présidente des députés RN. "Si demain nous considérons qu'une décision de François Bayrou va profondément à l'encontre de l'intérêt des Français, nous en tirerons des conséquences", a menacé l'ex-candidate à la présidentielle.

"Il faut quand même une raison pour censurer. Là, franchement, je n'en vois pas", répond un député Modem.

C'est plutôt à l'automne que Matignon pourrait à nouveau se retrouver en difficulté lors de la préparation des budgets pour 2026. À Bercy, on s'active déjà à identifier de nouvelles sources d'économies tandis qu'à Matignon, on réfléchit aux dossiers chauds qui pourraient tendre l'atmosphère avec la gauche. Jusqu'ici, pour le Premier ministre, tout va bien.

Marie-Pierre Bourgeois