Entre Benoît Payan et Sébastien Delogu, la gauche désunie peut-elle conserver Marseille?

Le maire de Marseille, Benoît Payan, le 29 janvier 2023 - CLEMENT MAHOUDEAU / AFP
Deux figures de la gauche pour une seule place. À Marseille, Benoît Payan, le maire actuel, qui n'a encore jamais été élu sur son nom, devrait affronter le député insoumis Sébastien Delogu, un très proche de Jean-Luc Mélenchon au printemps 2026. Si aucun des deux hommes ne s'est déclaré candidat pour l'instant, peu de doutes demeurent quant à leurs intentions.
La configuration est inédite: en 2020, la ville est passée à gauche après plus de 25 ans à droite, à la faveur d'une alliance. Nommée le Printemps marseillais, elle est parvenue à réunir sur la même liste des socialistes, des écologistes, des communistes et de simples citoyens, sans étiquette politique.
"La faim" de la gauche
Si quelques insoumis en sont bien membres, LFI ne fait pas partie de ce mariage. Six ans plus tard, exit l'idée même d'une liste sur ce même modèle.
"Beaucoup se disent que ce qui s'est passé à l'époque était exceptionnel, qu'on n'y arrivera plus. Et on a affaire à deux personnes qui n'ont encore jamais été élus sur leur nom. Ça donne très très faim à la gauche", observe un macroniste marseillais auprès de BFMTV.
À gauche, on trouve donc le sortant, Benoît Payan, devenu maire à la faveur d'un vaudeville dont Marseille a le secret. Ce n'est pas son nom qui est sorti des urnes en 2020 à la faveur des élections mais celui de Michèle Rubirola qui représentait le Printemps marseillais. Mais après six mois de mandat exercé dans une atmosphère lourde, entre problèmes de santé et réticences à exercer le pouvoir, celle-ci jette l'éponge.
Et en l'absence d'adversaire interne, c'est Benoît Payan jusqu'ici son premier adjoint qui se voit désigner par le conseil municipal nouveau maire de Marseille. Dans un étonnant jeu de chaises musicales, c'est Michèle Rubirola qui devient désormais son bras droit. Très vite, le nouveau patron de la cité phocéenne s'acclimate. Il faut dire que le tout juste quadragénaire a du métier.
L'impossible mandat
Formé à la politique par le sulfureux Jean-Noël Guérini, alors président du conseil départemental des Bouches-du-Rhône, Benoît Payan sait qu'il est attendu au tournant. Les Marseillais ont voté pour une femme médecin, au parcours féministe et écologiste, engagée dans les quartiers nord et dans l'aide aux personnes SDF et ils se retrouvent finalement avec un apparatchik pur sucre, un professionnel de la politique.
La mission a tout d'une ascension de l'Everest par la face Nord pour celui désormais aux manettes d'une mairie avec "une organisation adaptée à 1953 pas à 2020", comme il l'explique sur BFM Marseille, le tout sur fond de dossiers aux allures cauchemardesques. Finances exsangues, habitats insalubres mis en exergue par le drame de la rue d'Aubagne, écoles avec des rats dans les classes, manque endémique de transports en commun, l'explosion du narcotrafic qui tue des dizaines de mineurs chaque année...
Les promesses du Printemps marseillais semblent impossibles à tenir, d'autant plus que de nombreux leviers sont en réalité dans les mains de Martine Vassal, la présidente LR de la métropole Aix-Marseille-Provence. Mais bon an mal an, les relations se détendent avec elle, bien aidées par les ambitions d'Emmanuel Macron pour la cité phocéenne avec son plan Marseille en grand, avec un premier bilan qui n'a pas à le faire rougir en dépit des critiques de la Cour des comptes.
Jean-Luc Mélenchon à la maison
Mais plus à gauche sur l'échiquier politique, certaines manoeuvres ne passent pas. Dans les rangs des insoumis, on évoque pêle-mêle la hausse de la taxe foncière, le retour des caméras de vidéosurveillance ou encore une réforme de l'administration municipale qui met en colère les organisations syndicales. Mais surtout, les insoumis jugent désormais la ville gagnable. Longtemps hermétiques aux scrutins municipaux, LFI a changé son fusil d'épaule, entre raisonnement tactique pour affaiblir le PS et députés qui, peu à peu, réussissent à être très identifiés localement.
Et puis, à Marseille, les troupes de Jean-Luc Mélenchon ont de bonnes raisons de tenter leurs chances: déjà arrivé en 2017 au premier tour, le fondateur de La France insoumise dépasse les 30% en 2022, très très loin de son score national de 21,95%. Mieux encore, dans la cité phocéenne, il est près de dix points devant Emmanuel Macron et Marine Le Pen.
Si les législatives en 2022 et en 2024 ne font pas des miracles - LFI ne remporte que trois circonscriptions sur seize, puis seulement deux après l'éviction d'Hendrik Davi du groupe insoumis -, les députés de Marseille ne sont pas des inconnus. Aux manettes, on trouve Manuel Bompard, désormais patron du mouvement et surtout Sébastien Delogu, l'ancien chauffeur de Jean-Luc Mélenchon quand il venait à Marseille et que le leader des insoumis était alors lui-même député.
Sébastien Delogu, déjà désigné champion des insoumis?
Élu des quartiers nord, ces territoires qui comptent parmi les plus pauvres en Europe, cet ancien chauffeur de taxi se voit déjà la mairie, bien aidé par sa popularité qui a explosé apès avoir sorti le drapeau de la Palestine en plein hémicycle, ce qui lui vaudra la sanction maximale prévue par le règlement de l'Assemblée nationale.
La séquence a fait le tour des télévisions, y compris à l'étranger, lui permettant d'être désormais reconnu à chaque déplacement. Résultat: lors des dernières législatives surprises de juillet 2024, il est élu dès le premier tour avec près de 60% des voix.
"Je ne suis pas encore candidat à la mairie de Marseille mais je suis à 20 %", se félicite même celui qui a fait ses armes dans le syndicalisme contre Uber lors d'une interview à la télévision d'État algérienne lors d'un voyage sur place en juin dernier.
Reste que le déplacement de Sébastien Delogu en Algérie a laissé quelques mauvais souvenirs à LFI, poussant le mouvement à se désolidariser de certains de ses propos - un fait rarissime dans ce mouvement, le tout sur fond de plusieurs problèmes judiciaires. Sébastien Delogu a ainsi été condamné à 5.000 euros d'amende en février pour des violences sur deux cadres de la direction d'un lycée marseillais en 2023. La police judiciaire marseillaise a également perquisitionné son domicile et sa permanence dans le cadre d'une affaire de "vol et recel de vols de documents".
De quoi pousser LFI à remettre son choix en cause? Contactés, plusieurs députés LFI n'ont pas répondu à nos sollicitations. Mais dans l'écosystème marseillais, pas grand-monde ne voit les insoumis reculer.
"Il s'est rendu incontournable, peu importe ce qu'il dit et ce qu'il fait", observe un élu PS de la métropole.
D'autant plus que Sébastien Delogu est l'anti-Benoît Payan. Là où le maire de Marseille est peu identifié en dehors de sa ville, le député insoumis joue avec les codes de TikTok entre vidéos de chats, ses conversations avec l'influenceuse controversée Maeva Ghennam et sa proposition de permettre à d'anciens dealers de vendre du cannabis une fois qu'il serait dépénalisé. Au risque de se brûler les ailes?
Macronie et LR main dans la main
En tout cas, la situation de la gauche, qui part en ordre dispersé, donne de l'appétit. Le président de la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur Renaud Muselier, qui a annoncé dès décembre dernier sa candidature dans une mairie de secteur, vante les mérites d'une "alliance" allant "des écologistes raisonnables à LR".
Cette stratégie a bien marché lors des régionales de 2021, même si elle reste optimiste, le camp présidentiel n'ayant plus aucun député depuis 2024 à Marseille, une ville où il n'a jamais vraiment réussi à s'implanter. "En 2020, ce qui avait manqué à la droite et au centre et qui a expliqué son échec, c'est la désunion (...). Cette fois la configuration est différente: tous les partis sont d'accord pour dire qu'il faut une liste unique", souligne un conseiller LR.
"La situation de Marseille n’est pas différente de celle de Paris, s’il n'y a pas d’accord (au sein du bloc central, NDLR) ça perd", considère également l'ex-députée des Bouches-du-Rhône Sabrina Agresti-Roubache (Renaissance). Avant de préciser : "Il faut une alliance beaucoup plus large que celle avec la droite. Je crois que les forces du centre gauche à la droite forment l'équation pour remporter la ville si on veut battre les extrêmes."
Si la droite et les macronistes venaient à toper, Martine Vassal, présidente de la métropole Aix-Marseille-Provence, déjà candidate à la mairie en 2020, pourrait prendre la tête de ce rassemblement. "Elle réunit toutes les qualités nécessaires d'expérience, d'enracinement, de réalisation, de sérieux, d'engagement", valide Valérie Boyer sénatrice LR des Bouches-du-Rhône.
Quelle que soit la personnalité désignée, le conseiller LR cité plus haut veut rester prudent: "On a un maire qui n'a pas été élu mais il reste un maire sortant, c'est toujours compliqué. La deuxième chose, c'est la force du Rassemblement national, même si on est sur des élections locales."
Le RN veut surfer sur la vague brune des législatives
L'extrême droite compte effectivement peser de tout son poids, forte de scores très flatteurs dans les Bouches-du-Rhône aux élections législatives de 2024. En effet, parmi les seize circonscriptions qui composent le département, onze ont été remportées par le RN (contre six en 2022, NDLR) et son nouvel allié, l'UDR, le parti du député Éric Ciotti
Si cette percée vaut surtout pour les territoires en dehors de Marseille, le RN espère confirmer cette tendance aux municipales avec l'objectif de peser ou à défaut de réussir à l'emporter. Le candidat est déjà connu: ce sera Franck Allisio, député des Bouches-du-Rhône depuis 2022.
Ce dernier devra composer avec un certain Stéphane Ravier. Anciennement au FN, puis au RN, avant de rejoindre Éric Zemmour en 2022, le sénateur était la tête de liste du parti de Marine Le Pen aux municipales de 2020... avec Franck Alisio sur sa liste. Interrogé par l'AFP le mois dernier, Stéphane Ravier a appelé à l'union, car "l'expérience nous a montré qu'on ne gagnait jamais seul une ville comme celle-là".
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