Dernier scrutin serré, succession de Martine Aubry… À Lille, qui remportera la bataille du beffroi aux municipales de 2026?

Roger Vicot, Arnaud Deslande (PS), Stéphane Baly (Les Écologistes) et Violette Spillebout (Renaissance) sont candidats à la mairie de Lille - BERTRAND GUAY/ FRANCOIS LO PRESTI (AFP) / SYLVAIN LEFEVRE (HANS LUCAS))
À Lille, les prochaines élections municipales, prévues en mars 2026, s’apparentent à une course d’athlétisme: il faudra être très attentif à la "photo-finish", tant la compétition s’annonce serrée, plus de cinq ans après le précédent scrutin, qui s'était joué à 227 voix seulement entre socialistes et écologistes.
Les anciens amis, alliés dans la majorité de 2001 à 2020, vont à nouveau s’affronter, mais dans un contexte totalement différent. Cette fois-ci, la championne en titre ne sera pas en lice. Martine Aubry, 74 ans, a raccroché les crampons en mars, à un an de l’échéance, mettant un terme à un règne de quatre mandats, soit quasiment un quart de siècle à la tête du beffroi.
Duel socialiste
Pour que l’hégémonie socialiste se prolonge à Lille - la ville est toujours restée rose sous la Ve République - deux membres de son camp sont sur la ligne de départ, avant qu’un vote des militants ne les départage le 6 novembre prochain.
D’abord, celui que Martine Aubry a choisi lors de ses adieux, un fidèle parmi les fidèles: Arnaud Deslandes, 42 ans, devenu maire quelques jours plus tard, après un vote du conseil municipal.
Entré à la mairie dès 2005 comme stagiaire, il a gravi tous les échelons auprès de l’ancienne ministre du Travail de Lionel Jospin, exerçant notamment comme son directeur de cabinet, avant de devenir premier adjoint.
Mais un autre socialiste n’a pas attendu la passation de pouvoirs pour se lancer: le député du Nord et conseiller municipal lillois Roger Vicot, 61 ans, candidat depuis la fin du mois de septembre 2023, sans l’assentiment de la patronne des lieux, irritée par cette démarche.
Le parlementaire veut poser "un regard critique" sur son bilan, même si elle a été une "grande maire" d'après lui, parlant par exemple de "regarder ce qui a marché ou non" pour Lille 3.000, une saison culturelle qui a connu plusieurs éditions depuis 2004, année où la ville a été élue capitale européenne de la Culture.
À l'inverse Arnaud Deslandes a dit lors de sa nomination inscrire son "action dans la ligne de ce qui a été accompli", revendiquant "l'héritage de Martine Aubry en politique" et évoquant "la rénovation des quartiers populaires", la "défense des services publics", ou encore une ville "résiliente" face aux changements climatiques.
Faute d’avoir les faveurs de Martine Aubry, Roger Vicot sait se mettre en valeur. En rappelant, par exemple, son rôle lors des municipales de 2020, lui l’ancien maire de Lomme (2012-2022), l’une des deux communes associées de Lille avec Hellemmes, appelées elles aussi à voter pour l’élection du maire. C’est dans son fief que Martine Aubry a obtenu les précieuses voix nécessaires à sa victoire.
Quel rôle pour Martine Aubry dans la bataille interne?
En résumé, l’élu de l’Assemblée prétend avoir "beaucoup plus d’atouts et de légitimité" que son concurrent interne, "totalement inconnu dans les communes associées, mais aussi à Lille, même s’il déploie beaucoup d’énergie pour y remédier", selon lui.
Déjà mis en cause par ses opposants sur ce point, lesquels le réduisent à un "maire par intérim", le principal intéressé a répondu par avance aux critiques lors de sa nomination, affirmant: "Je prouverai que je ne suis pas un maire de transition"; "J’ai un an pour faire mes preuves".
Si Martine Aubry s'est dite "convaincue", lors de ses adieux, que les Lillois auront "envie de continuer avec lui", rien n'assure que son soutien sera décisif. "En 2020, elle a failli perdre et la manière dont elle a géré sa succession a été très critiquée. Donc, on ne sait pas si elle va s’engager et si elle s'engage on n’est pas en mesure de dire si cela aura une influence réelle", analyse le politologue Pierre Mathiot, ancien directeur général de Sciences Po Lille.
Les Écologistes à la bonne heure ?
Pendant que les socialistes sont coincés dans les starting blocs, l’écologiste Stéphane Baly, qui est "plutôt coureur de fond que sprinteur" est déjà à pied d'œuvre. Le candidat malheureux de 2020 veut en finir avec ce mauvais souvenir de quelques centaines de voix.
Désigné plus tôt que la fois précédente par les militants et avec un résultat net, cet enseignant en école d’ingénieur de 53 ans, élu conseiller municipal dès 2014, croit en son heure. Au point de parler d’un "alignement des planètes", entre une "maire sortante qui ne se présente pas" et une "transmission de témoin" qu’il qualifie de "ratage total".
"Le programme de 2020 de la candidate qui a gagné tenait en cinq lettres: Aubry. Là, on est sur la fin d'un cycle. À nous d’écrire un nouveau chapitre", se projette-t-il.
Plutôt que "les dynamiques nationales" - portés par une vague verte en 2020, Les Écologistes ont ensuite enchaîné les revers, que ce soit lors de la présidentielle ou aux élections européennes - Stéphane Baly préfère donc retenir les enjeux locaux".
Après la rupture de 2020, l’élu vert prône un discours nuancé, rappelant que son parti a été aux côtés de Martine Aubry pendant "trois mandats" et donnant des bons points à la municipalité, comme sur "l’éducation".
Pour autant, il compte évidemment se distinguer et a rappelé par exemple à l’AFP sa volonté de "tout reprendre à zéro" pour le projet d’aménagement de la gare Saint-Sauveur, grande friche urbaine au cœur d’un bras de fer entre écologistes et socialistes.
LFI part en conquête
Dans cette confrontation des gauches, socialistes et écologistes ne sont pas seuls. La France insoumise revendique la médaille d'or, ne manquant pas de souligner les scores retentissants du mouvement aux dernières élections. Notamment au premier tour de la présidentielle où Jean-Luc Mélenchon a réuni 40,53% des voix, très loin devant Emmanuel Macron (25,67%) et Marine Le Pen (11,77%).
Élu député à Lille en 2024, dans la circonscription auparavant occupée par Adrien Quatennens, Aurélien Le Coq a directement annoncé la couleur en présentant la ville comme "insoumise". Un discours en droite ligne de l’ambition affichée par LFI qui souhaite s’investir davantage qu’à l'accoutumé dans le scrutin municipal, espérant glaner plusieurs mairies et continuer à peser dans le rapport de force à gauche.
Aurélien Lecoq balaye le résultat de 2020 (8,84% des voix pour le candidat Julien Poix, NDLR) à Lille, rappelant le très haut niveau d’abstention (68,27%) de cette élection organisée pendant l’épidémie de Covid-19. "La clé de voûte de la campagne si l’on veut réaliser l’union populaire est que le peuple aille voter", dit-il, reprenant un refrain bien connu des insoumis.
En ce sens, LFI pousse à l’inscription sur les listes électorales et a imprimé un tract à 100.000 exemplaires, proposant de lutter "contre le logement indigne", "le stationnement payant dans les quartiers populaires" et soutenant "des transports gratuits et fonctionnels", ainsi que "des parcs à Saint-Sauveur et ailleurs".
Quant à la tête de liste, "il y a plusieurs options sur la table", indique Aurélien Le Coq, qui ne s’exclut pas de l’équation, contrairement à Ugo Bernalicis, lui aussi député à Lille. Le choix sera connu d’ici "la rentrée, au courant du mois de septembre".
Violette Spillebout en embuscade
Une députée du camp présidentiel observe l'émiettement de la gauche avec appétit. Arrivée troisième au second tour en 2020 avec près de 20 points de retard sur Martine Aubry et Stéphane Baly, Violette Spillebout sait qu’elle a besoin d’une division des voix chez ses adversaires pour espérer l’emporter.
D’ailleurs, l’ancienne directrice de cabinet de Martine Aubry (2008-2012) qui avait rejoint les marcheurs en 2018, fait une analyse de l’élection qui correspond à cette perspective: "Je pense que l’on peut avoir un premier tour très éclaté avec plusieurs candidatures proches des 15%."
Violette Spillebout estime ainsi que les "équilibres ont beaucoup changé" L’élue de 52 ans, qui est née à Lyon avant de grandir à Lille, voit d’un côté des écologistes "plutôt en déclin", et de l’autre "une montée des extrêmes", désignant à la fois La France insoumise et le Rassemblement national. Deux formations pouvant "créer la surprise", selon elle.
Dans une ville qui vote à gauche, Violette Spillebout ne s'embarrasse que très peu de l’étiquette de son parti, forcément moins dorée en ce moment alors que l'exécutif, et surtout le Premier ministre François Bayrou, est très impopulaire.
L'ancienne socialiste préfère mettre en avant un "esprit transpartisan", forte de son rôle de rapporteure, avec l’insoumis Paul Vannier, dans la commission d’enquête sur l’affaire Bétharram, qui lui a valu des tensions avec le Modem alors que François Bayrou est mis en cause dans ce dossier. Forte aussi de ses deux élections comme députée, en 2022 et 2024, qui renforcent son expérience et sa notoriété.
Ses priorités pour la ville: "la sécurité", "la propreté", "les commerces" et "la lutte contre la pauvreté".
Consciente qu'elle pourrait être doublée en restant divisée, la gauche se prépare. Une réunion a eu lieu en juin, notamment entre socialistes et écologistes mais sans les insoumis. "On s’est accordé sur le fait que se désunir dès le premier tour serait d’une stupidité totale", indique Roger Vicot, tandis que Stéphane Baly se dit prêt à "prendre ses responsabilités" s'il n’arrivait pas en tête.
Quoi qu’il arrive, il faudra aller vite, rappelle Pierre Mathiot. "Le premier tour a lieu un dimanche et les listes qui veulent fusionner entre elles devront être déposées le lundi. Autrement dit, il faut que les socialistes et les écologistes soient capables de se mettre d’accord en 24 heures", explique le politologue, qui estime que leur capacité à s’entendre "sera probablement la clé" de l’élection.
Le RN en cinquième larron avec la candidature de Matthieu Valet?
Dans cette course lilloise, déjà bien chargée, le Rassemblement national pourrait aussi prendre une part, aussi infime soit-elle. Un certain Matthieu Valet représentera peut-être le parti d'extrême droite, qui avait glané seulement 6,84% des voix en 2020.
Le médiatique eurodéputé du RN, ancien syndicaliste et policier, fait durer le suspense, même si certains de ses potentiels adversaires ne doutent pas qu’il franchira le Rubicon. "Pour l’instant je ne suis pas candidat, on est sur la préparation du programme", nous dit-il, renvoyant cette décision à "octobre ou novembre", mais rappelant son attachement à la capitale des Flandres: "Je réfléchis parce que Lille c’est ma ville, j’y suis né, j’y ai grandi."
"Le RN est faible à Lille mais peut espérer passer les 10% des votes exprimés (condition nécessaire pour accéder au second tour, NDLR) avec une figure nationale", commente Pierre Mathiot. "On pourrait donc avoir une quadrangulaire, voire une quinquangulaire au second tour (selon la participation, NDLR). Cela va être une élection assez intéressante de ce point de vue-là: c’est sûrement l’une des plus incertaines de France."
LES MUNICIPALES À COUTEAUX TIRÉS
Retrouvez les autres épisodes de notre série:
• Les frères ennemis de la Côte d’Azur: vers un duel explosif Éric Ciotti-Christian Estrosi aux élections municipales 2026 (1/5)
• "Elle est prête à tout faire péter": Rachida Dati peut-elle gagner seule Paris en 2026? (2/5)