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"Deal secret", "nitroglycérine" et "entourloupes": le récit d'un an sous très haute tension à l'Assemblée nationale
Une dissolution-surprise, une campagne d'à peine trois semaines et un hémicycle plus électrique que jamais. Un an jour pour jour après le second tour des législatives, BFMTV vous plonge dans le chaudron bouillonnant de l'Assemblée nationale.
En à peine 12 mois, le Palais-Bourbon a connu deux Premiers ministres, vu des alliances jusqu'ici inédites se nouer et le spectre de nouvelles législatives anticipées continuer de planer, le tout dans une atmosphère souvent explosive.
"De la nitroglycérine entre les mains"
Le ton est donné dès le premier jour de cette 17e législature. Une semaine après le second tour, les députés se réunissent pour la première fois pour élire leur nouveau président. Le cérémonial a beau être rodé, il flotte une atmosphère étrange dans cette Assemblée divisée en trois morceaux, entre le Nouveau front populaire (193), le Rassemblement national et les députés d'Éric Ciotti (142), plus haut que jamais, et la macronie (166).
Les nouveaux élus sont pourtant loin d'être des novices. 423 députés sortants sont réélus et parmi les petits nouveaux, nombreux sont des poids lourds de la politique comme l'ex-chef de l'État François Hollande ou encore l'ancien président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes Laurent Wauquiez, à la tête d'un groupe qui représente moins de 10% des députés de l'Assemblée.
La première épreuve stratégique, digne d'un jeu d'échecs, est l'élection du président de l'Assemblée. Sans majorité et en attente du choix d'Emmanuel Macron pour nommer un successeur à Gabriel Attal, la Chambre basse semble encore suspendue. Le chef de l'État choisira-t-il de nommer à Matignon une personnalité de gauche, sortie en tête des urnes? Tentera-t-il une alliance avec la droite? Autant d'éléments qui rendent difficiles le choix du nouveau locataire du Perchoir.
"On a tous en tête que ce qui va se passer préjuge de la suite et de qui finira par être nommé à Matignon. On a un bulletin de vote entre les mains mais en réalité, c'est de la nitroglycérine," explique un député socialiste auprès de BFMTV.
Difficile de lui donner tort: pas moins de six candidats s'affrontent - un chiffre inédit. Parmi ceux qui ont une chance de gagner, on trouve notamment la présidente sortante Yaël Braun-Pivet, le communiste André Chassaigne et le RN Sébastien Chenu.
"Un deal secret" pour faire élire Yaël Braun-Pivet
Au moment des votes, les rebondissements sont nombreux. Mais après une alliance entre la droite et la macronie qui pose les bases de la coalition gouvernementale à venir, c'est Yaël Braun-Pivet qui est réélue, avec 13 petites voix d'avance seulement, notamment grâce aux votes de 17 ministres élus députés qui, d'après l'usage parlementaire, ne sont pas sensés prendre part à ce type de vote.

La manoeuvre à gauche ne passe pas. Les communistes dénoncent "une alliance contre-nature", le socialiste Olivier Faure dénonce un "deal secret".
"Je n'ai jamais cru qu'Emmanuel Macron nomme un Premier ministre de gauche mais ça a eu le mérite de la clarté. Je me suis dit que la coalition qu'on entrevoyait entre LR et le président allait bien avoir lieu", reconnaît un député Liot.
Le scénario se répète à nouveau le lendemain pour élire les vice-présidents et les questeurs qui tiennent les cordons de la bourse de l'Assemblée nationale. Autant dire des postes-clefs dans un hémicycle que beaucoup pressentent (déjà) comme ingérables.
Soucieux d'accélérer la recomposition en cours et alors qu'Emmanuel Macron attend tout l'été pour nommer un Premier ministre, le président des députés LR Laurent Wauquiez et son homologue au Sénat Bruno Retailleau décident alors de sortir du bois et mettent sur la table "un pacte législatif".
L'espoir Barnier
De quoi finalement faire tomber la pièce du côté de la droite avec la nomination de Michel Barnier à Matignon qui amène la création du "socle commun". Concrètement, à l'Assemblée nationale, le nouveau chef du gouvernement peut compter sur les forces des LR, de la macronie, du Modem et d'Horizons.
Cela ne fait certes toujours pas 289 députés pour parvenir à une majorité absolue mais laisse augurer de la possibilité de parvenir à des accords texte par texte avec une partie de la gauche?
Une fois le gouvernement composé, avec pas moins de la moitié issue des LR - un quasi miracle dans un parti tenu loin du pouvoir depuis presque 13 ans, Michel Barnier s'attelle au budget.
L'exercice s'annonce très délicat tant politiquement que sur le plan des finances publiques avec à peine quelques semaines pour boucler le budget le plus compliqué de la Ve République. À la recherche de 60 milliards d'économies, le Premier ministre pose sur la table la désindexation des pensions de retraite de l'inflation, le déremboursement de certains médicaments et la suppression de 4.000 postes de fonctionnaires.
Premier ministre le plus éphémère
Très vite, la machine s'enraye. Pas question pour la gauche de voter un budget jugé "austéritaire". Quant au Rassemblement national, il hésite. Faut-il renverser le gouvernement et rappeler qu'il est désormais le faiseur de roi ou au contraire faire monter les enchères et pousser Michel Barnier à présenter un budget plus conforme à leurs attentes?
Les troupes de Marine Le Pen optent finalement pour les deux options. Après avoir obtenu plusieurs concessions de la part du Premier ministre, elles décident finalement de le censurer. À peine 90 jours après son arrivée à Matignon, Michel Barnier déclenche l'article 49.3 de la Constitution pour faire adopter le budget de la sécurité sociale.

De quoi ouvrir la porte à sa censure. Dans la foulée, le Premier ministre tombe avec 331 voix, soit largement plus que les 288 nécessaires, devenant ainsi début décembre le Premier ministre le plus éphèmère de la Ve République.
"Il n'avait pas de majorité en devenant Premier ministre et il n'en avait pas plus en étant à Matignon. Ce n'est pas plus compliqué que ça. Notre erreur a sûrement été de croire que la donne avait changé entre-temps", admet, lucide, un sénateur LR.
Le PS, à l'affût d'une victoire politique
Une fois Michel Barnier sorti du jeu, qui pour le remplacer? Comme souvent en matière de casting, Emmanuel Macron hésite. D'un côté, le ministre de la Défense Sébastien Lecornu, issu des LR, de l'autre le patron du Modem François Bayrou. C'est finalement le centriste qui l'emporte, et qui n'a pas hésité à aller au chantage en menaçant de faire sortir ses 36 députés du "socle commun".

Désormais Premier ministre, celui qui entre à Matignon au même âge que Michel Barnier n'a qu'une obsession: durer. Et pour ce faire, il n'a pas le choix, il doit à tout prix s'assurer qu'une majorité, même étriquée, peut le soutenir.
Il y a urgence: depuis la chute de son prédécesseur, la France n'a pas de budget. Si plusieurs dispositions constitutionnelles existent bien dans ce cas, les députés sont interpellés sur le terrain, les inquiétudes montant dans le monde économique et associatif. De quoi pousser les socialistes en janvier à accepter la main tendue par François Bayrou, bien aidé par son ministre des finances Éric Lombard, un intime d'Olivier Faure, le premier secrétaire du PS.
Un deal est conclu entre Matignon et les députés socialistes: si les élus du parti à la rose acceptent le budget présenté par le Premier ministre, le centriste rouvrira le dossier de la retraite à 64 ans. La mesure, portée par Élisabeth Borne, alors à la tête du gouvernement, n'a jamais été votée à l'Assemblée nationale après un recours au 49.3 en mars 2023.
"Quand on a compris qu'il nous proposait de la remettre à plat, on n'a pas hésité. D'abord, on est responsables en parvenant à avoir un budget. Et puis surtout, ça nous permet de décrocher une victoire politique, de montrer qu'on ne laisse pas passer les trains", se targue un élu socialiste.
"L'entourloupe" de François Bayrou
François Bayrou y met les formes: il promet publiquement de discuter du passage à la retraite "sans totem" ni "tabou" à l'occasion d'un "conclave" qui prendra la forme d'une réunion chaque semaine pendant trois mois entre partenaires sociaux et patronat. Il promet également de reprendre leurs propositions dans un projet de loi présenté à l'Assemblée nationale.
"C'est très malin de sa part. Il fait une offre que le PS ne peut pas refuser", se félicite un député Modem, y voyant "une belle occasion d'enfoncer dans un coin LFI".
Dans le camp des insoumis, on n'apprécie guère le geste des socialistes. "Il faut revenir à la raison", juge ainsi la présidente des députés LFI Mathilde Panot sur BFMTV, regrettant que les socialistes acceptent de mettre leurs pas dans ceux d'un gouvernement "battu à plusieurs reprises dans les urnes".
"C'est compliqué pour eux qu'on puisse obtenir un truc avec la discussion quand c'est leur stratégie inverse depuis des mois", souligne un socialiste tout en leur accordant "un point". "Cela me fait mal de le dire mais ils ont vu venir l'entourloupe bien avant nous".

"Pris pour des idiots"
Une fois le budget voté, le ton change du côté de Matignon. "Non", François Bayrou ne croit pas possible de revenir à la retraite à 62 ans, comme il l'explique au micro de France inter en mars. Ses propos, qui sont dans la droite lignée d'un courrier envoyé aux syndicats les appelant à "rétablir l'équilibre du système des retraites", ont des allures de provocation, au point de pousser la CGT à claquer la porte du conclave.
"C'est la quintessence de la méthode Bayrou. Chacun entend ce qu'il veut mais à la fin quand on comprend son intention, on se dit qu'on a été pris pour des idiots", regrette un député socialiste.
L'élastique va-t-il finir par lâcher par les deux bouts? Alors que le parti à la rose brandit la menace d'une motion de censure en voyant venir l'échec du conclave sur les retraites, les LR commencent à s'autonomiser. Désormais dotée d'un nouveau chef de parti avec la figure du ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau, la droite se voit pousser des ailes, quitte à aller à l'encontre d'une grande partie de ses partenaires à l'Assemblée et du bilan d'Emmanuel Macron.

Les LR et le RN, bras dessus-dessous
Fin des zones à faibles émissions (ZFE), moratoire sur le financement des éoliennes, réintroduction d'un insecticide toxique pour les abeilles... Les députés LR s'autonomisent et n'hésitent pas à voter main dans la main avec le RN, en particulier sur des propositions de loi autour de l'environnement.
"Qu'on ait des différences, je peux le comprendre. Mais là on touche quand même à des fondamentaux. On ne peut pas remettre en cause la réalité du réchauffement climatique comme semble le faire certains", regrette un député macroniste.
"On a été un certain nombre à se retirer au second tour des législatives pour ne pas faire élire un député RN. Et on se retrouve avec des LR qui votent comme eux. Franchement, c'est raide", se lamente de son côté un ex-parlementaire Renaissance.
De quoi largement démotiver une partie des députés qui se font désormais de plus en plus rares dans l'hémicycle. Coincés entre des propositions de lois, ces textes déposés à l'initiative des députés, qui n'aboutissent pas faute de volonté au Sénat, un Premier ministre mal aimé et le spectre d'une nouvelle dissolution qui rôde, "on a tous la tête un peu ailleurs", reconnaît un élu LIOT.
"Bravo l'artiste"
Mais François Bayrou fait le dos rond, bien décidé à tenir coûte que coûte. Il laisse donc vivre les dissensions au sein du socle commun d'un côté et met toute son énergie à éviter que le conclave sur les retraites ne tourne au fiasco. Las. En juin, à quelques jours de la fin de la session parlementaire, les socialistes, accompagnés des écologistes, des socialistes et des communistes tentent de le faire tomber.
Moins que l'échec de cette motion de censure, prévisible sans les forces du RN, c'est la fin de la bienveillance du PS vis-à-vis de Matignon qui inquiète.
"Si on fait les comptes, on a des socialistes qui sont fâchés, des LR qui se la jouent libres et un RN dont on ignore tous des intentions. Bravo l'artiste Bayrou", grince un député Horizons.
Le Premier ministre, préfère, lui, blâmer sur BFMTV le "climat désespérant" de l'Assemblée nationale dans lequel il voit un lieu d'une "extrême violence" en visant notamment les insoumis.
Le Pen inéligible
François Bayrou peut cependant compter sur sa chance. Depuis la condamnation de Marine Le Pen pour "détournement de fonds publics" en mars dernier, l'ex-candidate à la présidentielle est sous le coup d'une peine d'inéligible de cinq ans avec application immédiate.
Si elle a fait appel, cela signifie concrètement, qu'en cas de nouvelle élection, elle ne pourra pas se représenter. Le contexte a de quoi dissuader les députés RN de censurer le gouvernement et d'entraîner dans la foulée une éventuelle dissolution.

Conscient que pas grand-monde à l'Assemblée nationale ne souhaite revenir devant les électeurs, Emmanuel Macron entretient, lui, volontairement le flou en la matière. Depuis la fin du mois de juin, le chef de l'État peut cependant à nouveau appuyer sur ce bouton si nécessaire.
L'atmosphère donne également de l'élan au Premier ministre qui a présenté mi-juillet 43,8 milliards d'euros d'économies pour espérer boucler le budget 2026. Le centriste a préféré attendre les vacances des députés pour les laisser digérer plusieurs annonces explosives comme le non-remplacement d'un fonctionnaire sur trois parti à la retraite ou le gel des pensions de retraite et leur laisser la possibilité de négocier avec lui.
"Le but, c'était d'avoir presque trois mois avant que le budget n'arrive dans l'hémicycle. Donc on va lâcher sur certaines choses au fur et à mesure avec l'espoir que le PS ne nous censure pas à la fin", résume un conseiller ministériel.
"Le désir de renverser les obstacles"
Suffisant pour que François Bayrou tienne, éviter une nouvelle dissolution et que les députés puissent vivre une seconde année entière à l'Assemblée? La question se pose.
"Aujourd'hui, on a un tiers de députés qui ne pensent qu'aux municipales au printemps, un tiers qui n'en peut plus et le reste qui ne fait que du terrain en cas de dissolution", résume un conseiller ministériel.
"Tout le monde se fait des fantasmes mais Bayrou ou non, quel intérêt à dissoudre? On sera là jusqu'en 2027 avec lui ou quelqu'un d'autre", assène un pilier de l'Assemblée nationale.
Et le Premier ministre, garde-t-il le moral? "Nous avons le devoir" et "le désir de renverser les obstacles", philosophe le centriste lors de sa conférence de presse sur le budget, croyant toujours en sa bonne étoile. De plus en plus seul.