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"La mise sur orbite est réussie": comment Bruno Retailleau a réussi à devenir président des LR

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Bruno Retailleau est désormais le numéro 1 des LR après sa victoire contre Laurent Wauquiez ce dimanche. Totalement méconnu du grand public l'été dernier, le ministre de l'Intérieur a capitalisé sur son passage place Beauvau et peut regarder vers la prochaine élection présidentielle.

Une ascension fulgurante en moins de neuf mois: nommé ministre de l'Intérieur en septembre 2024, Bruno Retailleau est devenu ce dimanche 18 mai le président du parti Les Républicains, devançant largement Laurent Wauquiez avec 74,31% des suffrages, contre 25,69% pour son adversaire. Dans un parti qui a la culture du chef, cette victoire lui ouvre les portes d'une candidature pour la prochaine élection présidentielle, en 2027.

"Rien n'est fait, il peut encore se passer beaucoup de choses d'ici là mais on a passé une première étape avec une mise en orbite réussie", sourit un sénateur LR.

D'outsider à favori

Sur le papier, rien n'était gagné. Déjà candidat en décembre 2022 face à Éric Ciotti pour devenir président des LR, Bruno Retailleau avait bien rivalisé, sans réussir toutefois à dépasser son statut d'outsider.

Son concurrent l'avait emporté avec une promesse: faire de Laurent Wauquiez le champion de la droite pour la présidentielle de 2027. Depuis, le député des Alpes-Maritimes a quitté le mouvement pour rallier Marine Le Pen aux dernières législatives, laissant la place libre.

Tandis que Laurent Wauquiez est revenu sur la scène nationale, en devenant chef des députés LR. Longtemps, il a été le seul candidat en lice pour la présidence, avant de finalement perdre son avance. La nomination de Bruno Retailleau, méconnu du grand public, à l'Intérieur attire tous les regards.

"Tous les regards se tournent vers Bruno"

Laurent Wauquiez se serait bien vu à Beauvau lui aussi, mais le nouveau Premier ministre Michel Barnier a préféré le Vendéen à l'Auvergnat. Quant à Bercy, proposé à ce dernier, ce fut non. La donne profite alors à Bruno Retailleau. Le voilà aux commandes d'un ministère de l'urgence, en pleine lumière.

"L'Intérieur, c'est nuit et jour, tout le temps, sur tous les faits divers. Forcément, on ne voit que vous. Même si le Parlement est redevenu central, ça n'a rien à voir. Évidemment que tous les regards se tournent vers Bruno et que Laurent est presque transparent", remarque un sénateur LR.

Laurent Wauquiez croit pourtant toujours en sa chance, d'autant plus qu'un accord est censé lier les deux hommes, expliquera-t-il après coup. À Bruno Retailleau le poste de ministre, à lui le parti. Le patron des députés LR a-t-il péché par excès de naïveté?

Alors que la rumeur devenait persistante, l'élu du Puy-en-Velay a tenté de dissuader son futur adversaire lors d'un dîner, le mettant en garde contre le risque d'une "guerre des chefs". Un terme évocateur qui ramène la droite aux mauvais souvenir d'affrontements internes épiques à la Fillon-Copé en 2012.

"C'était son moment"

Las. L'ancien du Mouvement pour la France, longtemps proche du fondateur du parti souverainiste Philippe de Villiers, se lance dans la course le 12 février.

"Est-ce qu'il pouvait vraiment dire non? Il monte dans les sondages, il nous redonne de la fierté après 12 ans dans l'opposition. C'était son moment, il l'a saisi", résume un député LR.

Mais pas question, précise-t-il d'emblée, de se "prêter au jeu des petites phrases".

Le lendemain, Laurent Wauquiez officialise sa candidature, avec la ferme intention de stopper l'élan de son adversaire. Comment? En multipliant les déplacements pour faire une campagne "à la Chirac", proche des militants avec au moins deux meetings par jour. Et surtout, en tenant une stratégie on ne peut plus claire: cibler la liberté de parole et d'action de Bruno Retailleau au ministère de l'Intérieur, faute de grand désaccord sur le fond entre ces deux figures de la droite dure.

"Il n'a pas 150 options pour gagner. Donc il choisit le plus simple: dire que le ministre n'a pas de marge d'action à Beauvau et qu'il est condamné à échouer et que travailler avec François Bayrou, proche d'Emmanuel Macron, ce n'est pas de droite", décrypte un maire LR.

En surplomb

La méthode vise à montrer qu'en cas de victoire à la présidence LR, la droite gagnerait à porter une parole totalement libre, la sienne, à la tête du parti. Et les occasions ne manquent pas: les tensions entre la France et l'Algérie alors que Bruno Retailleau veut pousser à la fin des accords de 1968 entre les deux pays, la nomination de Richard Ferrand au Conseil constitutionnel, les attaques contre des établissements pénitentiaires en France...

Tout est bon pour s'opposer à l'exécutif et à travers lui à Bruno Retailleau, contraint parfois de respecter une certaine solidarité gouvernementale. En face, le sexagénaire reste en surplomb, se contentant de défendre son bilan, dont il reconnaît "certaines limites" le 10 avril, faute de "majorité parlementaire", tout en assurant se "battre chaque jour comme l'impossibilisme".

Certes, Bruno Retailleau n'a pas de nouvelle loi immigration, comme il l'espérait. Mais il peut mettre à son crédit la fin de la circulaire Valls pour faciliter la régularisation des travailleurs sans-papiers, un durcissement de ton pour la naturalisation des étrangers, ou encore le vote de la proposition de loi sur le narcotrafic, initiée quand il était encore au Sénat.

"Les gros sabots" de Wauquiez

Peu coutumier des éclats de voix, l'ancien patron des sénateurs LR sort parfois de sa réserve, comme ce mercredi 12 mars sur RTL. En réponse aux piques de Laurent Wauquiez, il finit par lâcher: "peu me chaut. Les chiens aboient, la caravane passe".

La proposition de Laurent Wauquiez d'"enfermer" les étrangers "dangereux" sous le coup d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF) à Saint-Pierre-et-Miquelon, cet archipel français situé au large du Canada, lui donne à nouveau l'occasion de répliquer. Le ministre de l'Intérieur prend d'abord ses distances avec une proposition à "première vue déroutante". Avant de s'engager davantage, une nouvelle fois sur RTL:

"Je tiens à le dire parce que ma famille politique vient du gaullisme et j'y suis très attaché: Saint-Pierre-et-Miquelon est le premier territoire français à s’être rattaché à la France libre du général de Gaulle. Donc bravo! Vive Saint-Pierre-et-Miquelon."

Laurent Wauquiez, lui, persiste et signe, faisant de cette mesure la preuve de son activisme qu'il oppose aux "marquis de la bien-pensance", sans guère marquer de point dans les esprits.

"J'ai trouvé que ça résumait bien le match. L'un qui répond sur le fond et l'autre qui met ses gros sabots et qui dit que si on est contre, on est juste un idiot", griffe un sénateur LR.

"Boules puantes"

Mais Laurent Wauquiez continue de se battre et pour convaincre les militants LR, il accuse Bruno Retailleau début mai d'un potentiel rapprochement avec l'ancien Premier ministre d'Emmanuel Macron, Édouard Philippe en vue de l'élection présidentielle de 2027.

L''hypothèse a beau être écartée par l'ancien sénateur qui reconnaît cependant avoir "du respect" et de "l'estime" pour lui, elle est évoquée par certains de ses soutiens et ceux du patron d'Horizons.

"Quand Laurent Wauquiez l'accuse de vouloir se retirer au profit d'Édouard Philippe, c'est la boule puante qui peut jeter le trouble parmi les militants LR", reconnaît un élu LR.

De l'autre côté du ring, Bruno Retailleau trace sa route. Il se paye même le luxe d'un meeting avec plus de 2.000 personnes à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) le 11 mai. On connaît la suite de l'histoire.

Un départ du gouvernement dans l'air

Désormais confortablement élu à la tête des LR, le plus dur va commencer pour lui. À commencer par le fait d'avoir un bilan solide à l'Intérieur. Avec un pouvoir d'action limité, coincé entre François Bayrou et une Assemblée sans majorité, le sexagénaire risque de s'abîmer politiquement s'il reste durablement à Beauvau.

"À un moment, il actera la rupture, c'est sûr. Mais il faut trouver le bon moment. S'il claque la porte trop tôt, il donnera l'impression qu'il n'a pas assez essayé. S'il reste trop, il aura du mal à dire qu'il n'a pu faire tout ce qu'il voulait", résume un député Renaissance passé par la droite.

L'équation est très compliquée: Bruno Retailleau peut-il vraiment rester dans l'esprit des Français une fois qu'il ne sera plus ministre? La question est entière, d'autant plus qu'il est loin de plier le match dans les sondages pour la présidentielle. Pour l'instant, l'ancien sénateur récolte environ 10% des suffrages, ce qui ne lui permet pas de se qualifier au second tour.

"Les emmerdes commencent dès le lendemain"

"Il est connu parce qu'il est à Beauvau. S'il revient au Sénat, les gens vont rapidement l'oublier, d'autant plus que, même s'il a gagné la présidence, les couteaux vont vite ressortir", traduit une élue LR.

Le président de la région des Hauts-de-France Xavier Bertrand, le maire de Cannes David Lisnard et même Laurent Wauquiez qui pourrait maintenir ses ambitions élyséennes... La page de la compétition interne officiellement tournée, la question de la désignation du futur candidat LR à la présidentielle va reprendre de plus belle.

Quelques minutes après son élection, Bruno Retailleau a estimé sur TF1 que sa "famille est à même de porter un projet pour la présidentielle", sans s'exprimer sur le nom d'un candidat.

"Il voulait le job, il l'aura. À lui de montrer qu'il sait casser notre machine à perdre", résumait un sénateur LR début avril. Un député de droite, lui, est direct. "On est toujours content le soir de la victoire mais les emmerdes commencent dès le lendemain".

Baptiste Farge et Marie-Pierre Bourgeois