"Il n'a pas vraiment prise sur les événements": avec la grève du 18 septembre, Sébastien Lecornu affronte sa première épreuve de force

Sébastien Lecornu à Mâcon le 13 septembre 2025 - JEFF PACHOUD © 2019 AFP
10 petits jours à peine après son entrée à Matignon et le voilà dans le dur. En pleine négociation avec les oppositions pour parvenir à trouver un budget en 2026 et sauver sa peau, Sébastien Lecornu doit affronter ce jeudi sa toute première grève. Écoles, hôpitaux, secteur de l'énergie... La mobilisation s'annonce très suivie, quelques jours à peine après le mouvement "Bloquons-tout".
"Le Premier ministre venait alors d'être nommé. Il n'était pas comptable de ce mouvement lancé sous François Bayrou. Là, le but est clairement de mettre la pression sur le gouvernement", reconnaît le député Renaissance Ludovic Mendes auprès de BFMTV.
Dispositif policier XXL
Preuve que le gouvernement suit comme le lait sur le feu cette journée, le ministre de l'Intérieur démissionnaire Bruno Retailleau va sortir l'artillerie lourde. 80.000 policiers et gendarmes vont être déployés sur le terrain, accompagnés si nécessaire de drones qui pourront survoler les lieux de rassemblement.
Les manifestants auront même le droit à des Centaures, ces véhicules entièrement blindés de la gendarmerie déployés lors des manifestations de Gilets jaunes et lors des émeutes liées à la mort du jeune Nahel à l'été 2023. Pour justifier ce déploiement de force, le locataire de Matignon évoque les 250 manifestations déjà déclarées en France, qui laisse présager des manifestations beaucoup plus importantes que celle du 10 septembre avec 200.000 personnes descendues dans la rue.
Officiellement pourtant, on ne s'inquiète pas rue de Varenne.
"Sébastien Lecornu a rencontré les syndicats. Il a une bonne vision des attentes de celles et ceux qui descendront dans la rue", explique ainsi l'un de ses proches.
Les syndicats sont loin de partager son diagnostic. La patronne de la CGT Sophie Binet a par exemple jugé "qu'aucune mesure catastrophique du musée des horreurs de François Bayrou n'était enterré".
"Pas vraiment de prise sur les événements"
Le Premier ministre pense au contraire qu'il a déjà donné des gages aux Français. Après avoir promis "des ruptures" sur "la forme" mais aussi sur "le fond" avec François Bayrou, l'ancien Premier ministre a annoncé abandonné la suppression des deux jours fériés, contenue dans la copie du budget 2026 de son prédécesseur.
Vertement critiqué par les syndicats qui dénonçaient le principe de journées de travail non-payées dans le secteur privé, la mesure avait également largement sucité l'ire des Français.
Manifestement soucieux de s'attaquer à quelques symboles, Sébastien Lecornu a également annoncé la suppression de certains avantages des anciens Premiers ministres le 1er janvier prochain comme "le véhicule de fonction" et son "conducteur" sans cependant toucher à la possibilité d'avoir un secrétariat particulier. Suffisant pour éviter de voir son nom fleurir sur les pancartes ce jeudi pour réclamer son départ?
"Tout ça est un peu étrange. C'est le budget de François Bayrou qui hérisse mais c'est lui qui le subit. Ça donne un peu le sentiment qu'il n'a pas vraiment prise sur les événements", lâche un conseiller ministériel démissionnaire.
"Mal se passer"
Pour couper court à ce sentiment de flottement, son équipe assure déjà que le Premier ministre "va suivre de très près ce qu'il se passera", sans toutefois oublier de faire de la politique. En pleine journée de grève, l'ancien ministre des Armées va ainsi recevoir Gabriel Attal, Édouard Philippe et Bruno Retailleau autour d'un déjeuner à Matignon.
L'occasion peut-être de préciser ses intentions sur le budget 2026 qui restent pour l'instant très floues et ce alors même que des revendications sur le pouvoir d'achat devraient être présentes dans les cortèges ce jeudi.
Difficile de savoir où veut vraiment aller Sébastien Lecornu sur les questions de finances publiques, lui qui n'a jamais été à Bercy et qui a toujours soigneusement évité ces dernières années de commenter d'autres sujets que ceux de son périmètre ministériel.
"Ce rendez-vous dans la rue, c'est quand même une façon pour les manifestants de lui dire que s'il persiste dans le budget présenté par François Bayrou, ça va mal se passer", le met en garde François de Rugy, qui a été un temps le ministre de tutelle de Sébastien Lecornu à l'Écologie.
Éviter toute convergence
La pression pourrait d'autant plus monter que les journées de manifestations devraient s'accélérer dans les prochaines semaines. Mobilisation des agriculteurs pour la troisième année le 26 septembre prochain, grève des contrôleurs aériens début octobre... Charge à Sébastien Lecornu de prendre rapidement ses marques avec les syndicats lui qui n'a non plus jamais hérité d'un ministère social comme le Travail et surtout d'éviter l'ouverture de fronts de tous les côtés.
Dans le camp présidentiel, c'est en effet moins les mobilisations en elles-mêmes qui inquiètent que la coagulation entre une Assemblée nationale qui pourrait décider rapidement de le censurer et la pression de la rue.
Avec le contre-exemple de la réforme des retraites en tête. En 2023, le camp présidentiel avait certes dû affronter pendant des semaines des mobilisations de centaines de milliers de personnes pour protester contre la réforme des retraites. Mais à l'époque, la Première ministre Élisabeth Borne avait tenu bon, déclencher un 49.3, cet article de la Constitution qui permet d'adopter un texte sans vote, et sauver sa peau face à une motion de censure qui n'avait pas fait le plein.
L'automne 2025 devrait être très différent, entre une Assemblée nationale plus fragmentée que jamais, un Premier ministre sans grande légitimité et une atmosphère sociale potentiellement explosive. Sans compter que les socialistes, qui négocient toujours avec Sébastien Lecornu, pourraient faire monter encore un peu plus les enchères en cas de colère sociale qui s'installe et tenter de lui tordre le bras pour profondément modifier le budget 2026 dans leur sens.
"Pour tenir à Matignon dans le contexte actuel, il n'y a qu'une seule façon: montrer qu'il permet la stabilité politique et sociale. Si on voit que dans la rue, ça dérape, ça permettra vite de dire aux socialistes et au RN que Sébastien Lecornu ne sert pas à grand-chose et de le faire tomber ou de monnayer leur soutien très cher", reconnaît déjà un député Horizons.