"Il laisse la place à toutes les dingueries": à quoi peuvent mener les négociations de la dernière chance voulues par Emmanuel Macron?

Emmanuel Macron en Allemagne le 3 octobre 2025 - JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / POOL / AFP
Les 36 heures de la dernière chance. Au lendemain de la démission-surprise de Sébastien Lecornu, Emmanuel Macron a demandé à son Premier ministre désormais démissionnaire de lancer "d'ultimes négociations" pour "définir une plateforme d'action et de stabilité pour le pays".
Concrètement, charge à celui qui reste pour l'instant le locataire de Matignon a tenté de réunir ce mardi autour de la table tous les partis politiques. Le but est principalement de parvenir à un accord sur le budget de l'État et de la sécurité sociale dans un contexte financier très tendu.
Une sortie de crise "miraculeuse"
La date-butoir pour réussir là où il a échoué pendant un mois entier en poste est pourtant courte: mercredi soir.
"Il sera miraculeux qu'il en sorte quelque chose", reconnaît l'ancien ministre délégué à la Santé de Michel Barnier, Frédéric Valletoux (Horizons), auprès de BFMTV.
"Il y a un petit côté 'on rembobine et on efface tout' mais la politique, ça ne marche pas comme ça", regrette l'un des proches d'Emmanuel Macron.
En cas d'échec, très probable donc des négociations, c'est promis, le président "prendra ses responsabilités", comme le précise un communiqué de presse de l'Élysée. La formule, très floue, a le mérite de pouvoir être comprise de nombreuses façons différentes.
Dissoudre?
Première hypothèse: si aucun accord de non-censure n'est conclu ce mercredi soir, le président pourrait appuyer à nouveau sur le bouton de la dissolution. Le geste aura de quoi faire faire des cauchemars aux députés Renaissance.
Plusieurs sondages publiés à l'été avançaient que les macronistes pourraient revenir avec un nombre d'élus divisé par deux. Avant la dissolution de l'été 2024, le camp présidentiel comptait 169 députés. Il n'en compte plus que 91. Autant dire que de nouvelles législatives pourraient les faire passer sous la barre des 50.
Quant aux LR qui ont provoqué la chute de Sébastien Lecornu en faisant de la nomination de Bruno Le Maire aux Armées un casus belli tout en regrettant de ne se voir attribuer que trois ministères, un retour aux urnes n'aurait rien non plus d'une sinécure. Bref, Emmanuel Macron veut les pousser à trouver un accord qui leur permettrait de ne pas avoir à revenir devant les électeurs.
"Il met la pression sur les députés en leur disant que la solution est entre leurs mains. Sans accord, on a toutes les chances d'avoir une nouvelle Assemblée. On ne pourra pas dire qu'on n'a pas été prévenu", lance François Patriat, le président des sénateurs Renaissance.
"Payer le prix de la crise"
L'avertissement vaut aussi pour les socialistes qui ont jugé que la seule concession acceptée par Sébastien Lecornu - renoncer à activer l'article 49.3 de la Constitution -n'était pas suffisante pour accepter de ne pas le censurer.
Les troupes d'Olivier Faure, elles, n'ont eu de cesse de réclamer des concessions qui "font mal" pour reprendre l'expression du député PS Laurent Baumel. Le parti à la rose réclame en effet depuis des semaines la suspension de la réforme des retraites ou encore la création d'une taxe sur les patrimoines de plus de 100 millions d'euros, portée par Gabriel Zucman.
"Le spectre de la dissolution doit permettre à chacun de sortir du déni. On ne peut pas rester camper sur des positions et ne pas payer le prix de la crise", juge encore un conseiller ministériel démissionnaire.
La méthode a également l'avantage donc de renvoyer la responsabilité sur ses propres opposants, sans cependant convaincre très largement.
C'est bien lui en tant que chef de l'État qui a donné naissance à cette Assemblée nationale extrêmement fragmentée avec la dernière dissolution. De nouvelles législatives pourraient cependant bien ne rien résoudre si le nouveau visage du Palais-Bourbon ressemblait à celui qui existe déjà, empêchant une majorité absolue ou au moins des accords.
Poussé vers la sortie par Édouard Philippe
Seconde hypothèse pour justifier le laps de temps accordé aux partis politiques pour trouver un accord de la dernière chance: trouver une solution qui lui permettrait de faire redescendre la pression.
Certains lui soufflent quelques idées, à commencer par son ex-Premier ministre Édouard Philippe. Le patron d'Horizons, avec qui les relations sont glaciales, est sorti du bois ce mardi matin en appelant Emmanuel Macron à "une élection présidentielle anticipée" une fois le budget 2026 adopté à l'Assemblée nationale.
Concrètement, cela signifierait que le président prendrait l'engagement dans les prochains jours de quitter l'Élysée au début de l'année prochaine, poussant les oppositions à se mettre d'accord sur un socle budgétaire.
La petite musique pourrait-elle vraiment inspirer le chef de l'État? Pas grand-monde n'y croit pas dans le camp présidentiel, y compris le président des députés Renaissance Gabriel Attal, pourtant peu avare de directs décrochés au chef de l'État ces derniers jours.
"Les dingueries"
Une éventuelle démission semble d'autant moins probable qu'Emmanuel Macron a eu l'occasion à plusieurs reprises d'expliquer qu'il irait au bout de son second quinquennat.
"Le problème, c'est que la nature et encore plus la politique a horreur du vide. En ne décidant pas, en ne parlant pas, il laisse la place à toutes les dingueries. Il va falloir trancher dans le vif à un moment", observe une ex-ministre LR.
Ce temps d'attente préparerait-il les esprits et notamment la droite à un Premier ministre de gauche? L'annonce aurait tout du revirement. Jusqu'ici et ce en dépit d'un socre aux dernières législatives plaçant le Nouveau front populaire en tête au second tour, Emmanuel Macron s'y est toujours refusé.
"Pour nommer la gauche, ça voudrait dire qu'il accepte de faire de très grosses concessions dans un contexte où personne ne veut prendre ses responsabilités. C'est très peu probable", observe Bruno Millienne, un ancien conseiller de François Bayrou,
Le référendum, ultime solution?
La question d'un éventuel référendum pour tenter de sortir de la mélasse pourrait aussi également se poser. L'idée lui a été soufflée ce lundi par Valérie Pécresse, la présidente LR de la région Île-de-France. Il lui faudrait alors du temps pour trouver la bonne question à poser aux Français, lui permettant à la fois de reprendre la main et de dénouer pour quelques semaines au moins la situation politique.
Quand François Bayrou était à Matignon, le centriste avait évoqué la possibilité d'un référendum sur le redressement des finances publiques, rapidement balayé par le chef de l'État. Le président pourrait-il changer d'avis, permettant un débat qui poserait le sujet des pistes d'économies ou de nouvelles fiscalités à destination des plus aisés sur la table?
Lors de ses vœux le 31 décembre dernier, Emmanuel Macron avait promis de demander aux Français de "trancher" "des sujets déterminants". Le sujet est désormais au point mort. Les prochaines 36 heures changeront-elles la donne ou le président choisira-t-il encore de temporiser? Aucune prise de parole n'est pour l'instant prévue.
"Le problème, c'est qu'on part encore du principe que le président est capable de faire évoluer la situation. J'y croyais encore il y a quelques temps mais là, je vois de moins en moins comment on s'en sort sauf à faire table rase", confesse un macroniste.