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"Preuve de confiance" ou coup de billard à trois bandes pour gagner du temps? Pourquoi Sébastien Lecornu renonce au 49.3

Le Premier ministre Sébastien Lecornu prend la parole dans la cour de l'Hôtel Matignon, à Paris, le 3 octobre 2025.

Le Premier ministre Sébastien Lecornu prend la parole dans la cour de l'Hôtel Matignon, à Paris, le 3 octobre 2025. - ALAIN JOCARD / POOL / AFP

Le Premier ministre a choisi de se priver du recours au 49.3 qui permet de faire adopter le budget sans vote. Si la macronie salue ce changement de pied, certains se demandent si Sébastien Lecornu ne va pas tenter de sauver sa peau à tout prix, quitte à jouer à l'apprenti sorcier.

Un coup de poker. Très avare de ses prises de parole, Sébastien Lecornu est sorti du bois ce vendredi 3 octobre au matin en annonçant à la surprise générale qu'il avait "décidé de renoncer à l'article 49.3 de la Constitution" sur le budget 2026.

Très concrètement, cela signifie que le Premier ministre s'engage à ne pas utiliser cette possibilité qui permet d'adopter le projet de loi de finances de l'État et de la Sécurité sociale sans vote dans les prochaines semaines. Le geste, qu'il n'a pas choisi au hasard, est extrêmement symbolique.

"Le gouvernement se prive de lui-même d'un outil majeur pour faire voter le budget. Ça veut dire qu'on va devoir faire des concessions difficiles. Je dis chapeau de cette preuve de confiance", salue le député macroniste Guillaume Gouffier-Valente auprès de BFMTV.

Le PS pas naïf

La manœuvre, validée par Emmanuel Macron ce jeudi soir lors d'un dîner, a deux buts: d'abord satisfaire les socialistes et ses 68 députés qui réclamaient que le locataire de Matignon s'engage sur ce point. Ces dernières années, le 49.3 a été utilisé à de très nombreuses reprises et a souvent été perçu par les oppositions comme une façon de les court-circuiter, comme lors de la réforme des retraites en 2023.

Dernier épisode en date: le renversement de Michel Barnier qui avait dégainé cette cartouche sur le budget de la Sécu à l'hiver 2024. L'usage du 49.3 permet en effet aux oppositions de déposer dans la foulée une motion de censure. Largement adoptée en décembre, elle avait fait tomber le Premier ministre d'alors.

Sébastien Lecornu cherche donc à s'éviter un bis repetita. Ce gage donné au PS est-il suffisant pour s'assurer de leur bienveillance? La réponse est non.

Le président des députés PS Boris Vallaud a rappelé dans la foulée de l'allocution du Premier ministre que le gouvernement disposait d'outils pour "caporaliser" le Parlement et faire voter un budget conforme à sa volonté. Comprendre: le non-recours du 49.3 n'est pas une solution magique pour tenir à Matignon et n'évite pas que le gouvernement obtienne ce qu'il souhaite.

Exit le 49.3, bonjour le 44.3?

Le Premier ministre pourra en effet avoir recours par exemple au vote bloqué lors des débats budgétaires. Prévu par l'article 44.3 de la Constitution, ce dispositif permet au gouvernement de ne soumettre au vote que le texte qu'il souhaite. La méthode avait par exemple été utilisée lors des débats sur les retraites au Sénat en 2023 pour mettre fin aux tentatives de la gauche de modifier largement le projet de loi.

Pour faire preuve de sa bonne foi, le gouvernement pourrait bien accepter de lâcher du lest et laisser les débats en séance sur le budget se dérouler sans guère intervenir. Il pourrait ainsi s'en remettre à la sagesse des députés et accepter de ne pas s'opposer à certains amendements qui vont à l'encontre de ce que souhaite le Premier ministre.

Mais Sébastien Lecornu est-il prêt à accepter que les députés mettent par exemple fin à la réforme des retraites en séance si la gauche et le RN sont assez nombreux à ce moment-là? Jusqu'ici, le Premier ministre a fermé la porte à cette possibilité tout en promettant des "améliorations" pour la retraite des femmes, déjà annoncées par François Bayrou.

"Un budget à la Frankenstein"

Bien conscient de cette possibilité, le premier secrétaire du PS a exigé ce vendredi matin, avant un rendez-vous avec Sébastien Lecornu, que les députés puissent avoir un "vote" au Parlement sur la réforme des retraites dans les prochaines semaines. La gauche devrait en toute probabilité déposer dans le projet de loi de sécurité sociale un amendement pour supprimer la retraite à 64 ans ou au moins la suspendre.

Même topo pour la taxation des patrimoines qui dépassent les 100 millions d'euros portée par l'économiste Gabriel Zucman. Sébastien Lecornu a expliqué dans les colonnes du Parisien la semaine dernière y être opposé alors même qu'une partie du socle commun et l'ensemble de la gauche souhaitent la voter.

"Sans 49.3, le PS pourra la proposer, mais le gouvernement ne la soutiendra pas", assume ainsi un proche de Sébastien Lecornu.

Une taxe sur le patrimoine financier, bien moins ciblée que la taxe Zucman qui n'aurait concerné que quelques dizaines de foyers en France, a cependant été proposé par le Premier ministre dans son bureau à Olivier Faure ce vendredi.

"On va accoucher d'un budget à la Frankenstein où on lâche quelque chose par-ci, quelque chose par-là. Un budget, normalement, ça reflète la vision d'un gouvernement. Là, on bascule dans l'inédit", observe un familier des questions de finances publiques à l'Assemblée.

L'option de s'appuyer sur le RN

Des indices seront donnés dès les débats en commission des Finances sur le ton que souhaite adopter le gouvernement. Le socle commun et le RN accepteront-t-il de soutenir des amendements déposés par la gauche? La question est entière, d'autant plus que le bloc de gouvernement et les députés de Marine Le Pen ont noué un accord ces derniers jours pour se partager les postes-clefs à l'Assemblée nationale.

"Sébastien Lecornu se dit probablement qu'on peut mettre en minorité la gauche si on vote main dans la main avec le RN. C'est malsain d'un point de vue démocratique mais assez fin politiquement", observe un conseiller ministériel.

"Personne ne travestira ses convictions ou ne se trahira. On pourra voter librement, en conscience et ensuite l'assumer devant nos électeurs", défend de son côté l'ex-ministre du Logement Guillaume Kasbarian.

Faire traîner les débats pour reprendre la main

La méthode choisie par Sébastien Lecornu pourrait aussi viser à étirer les débats parlementaires. Sans 49.3, le Parlement a tout loisir de débattre pendant 70 jours du budget comme le permet la Constitution. Mais si à la fin, les échanges budgétaires ne se concluent pas par un vote, le gouvernement reprendra la main.

Sans budget voté, Sébastien Lecornu pourrait alors avoir recours à des ordonnances, une première sous la Ve République. Ces ordonnances, qui seraient présentées en Conseil des ministres, seraient entièrement conformes aux volontés du gouvernement.

"Ce serait assez malin de sa part. Il pourra dire qu'il a fait tout ce qu'il a pu et que les députés ne sont pas parvenus à se mettre d'accord et qu'à la fin, il faut bien un budget au pays", observe un très bon connaisseur du Parlement.

Autre possibilité: avoir recours à une loi spéciale comme l'avait fait François Bayrou après la chute de Michel Barnier. Cette disposition permet à l'Etat de continuer à lever l'impôt et de faire tourner les services publics avant de voter un nouveau budget. Mais là encore, il faut à la fin parvenir à un accord au Parlement.

Éviter l'obstruction

Au sein du bloc central, on préfère ne pas envisager cette situation et se dire que le Premier ministre n'est pas dans des coups de billards à trois bandes.

"Si les débats durent 70 jours, ça veut dire qu'il y aura eu de l'obstruction, des milliers d'amendements. Ce n'est pas sérieux. En tant que député, on doit assumer de choisir des combats et de ne pas encombrer les débats", défend le député Guillaume Kasbarian.

Le Premier ministre donnera-t-il d'autres gages que son renoncement au 49.3, se donnant un peu plus d'oxygène dans les prochains mois? Réponse la semaine prochaine lors de son discours de politique générale.

Marie-Pierre Bourgeois