Consultations et extrême discrétion: la méthode de Sébastien Lecornu peut-elle vraiment lui permettre de durer?

Sébastien Lecornu à la sortie de l'Elysée, le 6 mars 2024 à Paris - STEPHANE DE SAKUTIN
Sébastien Lecornu aurait-il gardé les habitudes de la Grande muette? Depuis son arrivée à Matignon il y a tout pile deux semaines, le Premier ministre est très discret. Une interview à la presse quotidienne régionale, quelques annonces très consensuelles comme le gel des frais de communication de l'État. Et c'est tout pour l'instant, avant de finalement dévoiler en fin de semaine de toutes premières propositions sur le budget.
Plutôt que de se faire connaître des Français en multipliant les interviews télévisées, exercice généralement incontournable pour tout nouveau Premier ministre ou de nommer ses ministres, l'ex-ministre des Armées préfère consulter.
"Ça ne va pas pouvoir durer éternellement"
Rendez-vous avec les socialistes la semaine dernière, un déjeuner avec les chefs de partis du socle commun ce mardi, une rencontre ce mercredi avec l'intersyndicale. Sans forcément surcharger la barque: cette semaine, seules trois réunions apparaissent à son agenda.
La méthode ressemble furieusement à celle déjà adoptée par Michel Barnier et François Bayrou, sans leur permettre pourtant de se maintenir à la tête du gouvernement. Mais promis, ça n'a rien à voir.
"Le Premier ministre assume de travailler le 'quoi' avant le 'qui'", résume l'entourage de Sébastien Lecornu auprès de BFMTV.
Traduction: à Matignon, on préfère tenter de trouver un accord sur le budget avec les partis, à commencer par les socialistes, plutôt que de plancher sur la liste des nouveaux ministres ou donner son avis à tout-va.
"Il est lucide, il connaît ses dossiers. Ça change un peu de son prédécesseur mais quand on rentre dans le détail, il ne dit rien de concret. Ça ne va pas pouvoir durer éternellement", s'agace un député LIOT.
Problème par problème
Sébastien Lecornu ne sortira de l'ambiguïté qu'à ses dépens et il le sait. Les troupes d'Olivier Faure réclament une taxation sur les patrimoines qui dépassent les 100 millions d'euros portée par l'économiste Gabriel Zucman? La droite, elle, ferme la porte à toute hausse d'impôts même si la macronie, elle, met de l'eau dans son vin.
La suspension de la réforme des retraites espérée depuis des mois par la gauche? "C'est niet", lâchait tout de go un proche d'Emmanuel Macron mi-septembre.
"La méthode Lecornu, c'est de couper les problèmes un par un et d'essayer de trouver des réponses. Et après, il fait des annonces sujet par sujet mais une fois qu'il a des choses à dire", détaille l'un de ses anciens conseillers.
Pour l'instant, l'approche laisse dubitatif. Dernier exemple en date ce mardi lors d'un rendez-vous pour discuter du sort de l'aide médicale d'État (AME) avec l'ancien ministre socialiste de la Santé Claude Evin et Patrick Stefanini, un très proche de Valérie Pécresse, auteurs d'un rapport sur le sujet.
Ce dispositif qui permet à des personnes sans titre de séjour d'avoir la gratuité totale des soins médicaux, hospitaliers et pharmaceutiques crispe depuis des années le Rassemblement national et la droite. Faut-il comprendre que le Premier ministre est prêt à y mettre fin?
"Pas de différence avec la situation de François Bayrou"
Là encore, impossible à dire. Claude Evin évoque tout juste des discussions sur la proposition "de limiter le dispositf aux soins urgents et aux pathologies graves". Au passage, le sujet a suscité la colère des socialistes, très attachés au dispositif.
"On arrive à la limite de l'exercice. Est-ce qu'on peut réussir à donner des gages à la droite et au PS si aucun d'entre eux ne veut faire un pas vers l'autre? Je ne vois pas la différence avec la situation de François Bayrou", avoue un élu macroniste spécialiste des questions budgétaires.
En attendant, se jugeant en position de force, prêt à aller jusqu'à la dissolution, le PS demande à Sébastien Lecornu d'abattre ses cartes. "Le compromis, ce n'est pas la moyenne en tout" s'agace le député Arthur Delaporte.
Le constat est partagé par les syndicats qui n'ont pas mâché leurs mots ce mercredi à la sortie de leur rendez-vous avec le Premier ministre. "Le compte n'y est pas, il n'y a aucune réponse claire. C'est un rendez-vous manqué", a regretté la représentante de la CFDT Marylise Léon.
Le constat a poussé l'ensemble des syndicats à organiser une nouvelle journée de grève le 2 octobre, après une première mobilisation réussie le 18 septembre dernier. De quoi donner encore un peu plus de force aux socialistes pour ne pas faire de cadeau à Sébastien Lecornu.
Laisser vraiment la main aux députés
Manifestement soucieux de ne pas attirer la foudre, le Premier ministre pourrait tenter de sortir de l'ornière en évitant de trop prendre les coups. Exit peut-être un discours de politique générale comme le veut l'usage mais qui n'a rien d'obligatoire. Son absence permettrait d'éviter de dérouler une longue feuille de route avec des mesures précises.
À la place, Sébastien Lecornu pourrait se contenter de présenter un budget à l'Assemblée nationale le 7 octobre et laisser très largement la main aux députés pour l'amender. Charge alors à ses futurs ministres de l'Économie et du Budget de laisser passer des mesures qu'ils ne soutiendraient pas forcément mais qui récolteraient un large assentiment dans l'hémicycle, le tout sans 49.3 à la fin.
"On n'a jamais fait voter un budget comme ça. C'est à l'opposé de notre culture d'un gouvernement qui veut tout maîtriser au Parlement. S'il y arrive, chapeau bas", souligne un député Renaissance.
Reste encore à y parvenir jusque-là. Les insoumis ont déjà annoncé vouloir déposer une motion de censure dès le 1er octobre prochain. Les socialistes pourraient en toute probabilité y joindre leurs forces. Si le RN la votait également, Sébastien Lecornu serait immédiatement censuré.