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"Suspendre la réforme des retraites, c'est non": pour se maintenir, Sébastien Lecornu doit-il s'émanciper d'Emmanuel Macron?

Sébastien Lecornu et Emmanuel Macron le 14 juillet 2025

Sébastien Lecornu et Emmanuel Macron le 14 juillet 2025 - MOHAMMED BADRA / POOL / AFP

Pour tenter de parvenir à faire passer un budget, Sébastien Lecornu doit donner des gages au PS. Mais parmi les propositions des socialistes, plusieurs veulent mettre fin à des marqueurs des quinquennats d'Emmanuel Macron comme l'absence de hausse d'impôts pour les très riches. Le chef de l'État y est-il prêt?

Une équation particulièrement difficile à résoudre. Comment Sébastien Lecornu, successeur de Michel Barnier et François Bayrou dans un paysage politique éclaté, pourrait-il se maintenir à Matignon?

Pour éviter d'être renversé comme les deux précédents chefs du gouvernement, le Premier ministre optera-t-il pour un rapprochement avec la gauche? Une direction qui pourrait avoir pour conséquences de détricoter les constructions de Renaissance pendant huit ans, et donc de s'alliéner Emmanuel Macron dont il est si proche.

Pour le parti de gauche, si le chef de l'État ne donne pas des marges de manœuvre au nouveau Premier ministre Sébastien Lecornu pour tenter d'obtenir un accord de non-censure avant le vote du budget 2026, le nouveau Premier ministre court droit vers la censure.

La situation rendrait très probablement inéluctable une nouvelle dissolution aux allures de cauchemar pour l'Élysée et renforcerait les appels à la démission d'Emmanuel Macron, à gauche, au Rassemblement national mais aussi désormais à droite. Le locataire de Matignon pourrait choisir de rompre avec le président, ou du moins de reculs consentis.

Des promesses de "ruptures sur le fond"

Pour le Premier ministre, il y a urgence à se mettre autour de la table avec les députés socialistes, ce qu'il semble avoir entendu. Lors de la passation de pouvoir avec François Bayrou, son successeur a promis "des ruptures et pas que sur la forme, pas que dans la méthode, des ruptures aussi sur le fond".

Concrètement, cela laisse donc entendre que le locataire de Matignon ne compte donc pas reprendre le budget proposé par François Bayrou, et ce en dépit d'un calendrier très serré. Reste encore à savoir ce que Sébastien Lecornu veut faire évoluer et avec quel coût politique acceptable pour Emmanuel Macron. Côté PS, on est bien décidés à faire monter les enchères.

"On ne négociera pas avec Sébastien Lecornu tant qu'il ne ne nous dit pas exactement ce qu'il souhaite reprendre dans notre proposition de contre-budget", explique ainsi le député Philippe Brun, élu du même territoire que le nouveau Premier ministre.

Mais de quelle latitude dispose vraiment le Premier ministre pour revenir sur certains totems des années Macron? "C'est au Premier ministre de mener les discussions" avec les oppositions, se contente d'expliquer sobrement un proche du chef de l'État à BFMTV.

La taxe Zucman? "Hors de question"

Toujours est-il qu'en choisissant de nommer un intime dans lequel il a toute confiance, le chef de l'État s'est bien assuré que le nouveau chef du gouvernement ne sortira pas de son chapeau des concessions au PS sans vérifier en amont que l'Élysée est d'accord.

Problème: ce que demandent les socialistes pourrait bien se rapprocher de l'indigestion pour le camp présidentiel.

Sur la liste de courses, on trouve par exemple la suspension de la réforme des retraites, la taxe Zucman sur les patrimoines à partir de 100 millions d'euros, et une réduction substantielle de l'exonération de cotisations sur les bas salaires pour le patronat. Bref, une potion bien amère qui, jusqu'ici, n'a jamais été acceptée par l'Élysée.

Pourtant, le président semble bien prêt à lâcher du lest. La semaine dernière, alors que la chute de François Bayrou semblait déjà inéluctable, Emmanuel Macron a appelé le socle commun à "travailler avec les socialistes".

Ce mercredi soir, quelques heures après sa nomination, Sébastien Lecornu a expliqué devant des responsables du socle commun qu'il était prêt à avancer sur "un partage plus important de l'effort fiscal". La formule est suffisamment floue pour séduire le PS sans (trop) effrayer la macronie.

Traduction d'un participant à la réunion: "la taxe Zucman, c'est hors de question, on ne le fera pas. Mais faire contribuer un peu plus les hauts revenus, ça, oui".

Et tant pis si ces dernières années ce sont bien les très hauts patrimoines qui ont explosé. Et ce bien plus que les revenus du travail, y compris des professions très rémunératrices. Ce qui justifie que le PS pousse à taxer lourdement les premiers plutôt que les seconds.

"On a tous acté qu'il faudrait bouger sur la fiscalité des très riches, à l'Assemblée comme à l'Élysée. Après, la question, c'est l'ampleur de notre renoncement", reconnaît encore un député Renaissance issu des LR.

Sébastien Lecornu pourrait ainsi accepter de rendre pérenne et non plus exceptionnelle la contribution sur les très hauts revenus, lancée sous Michel Barnier et adoptée par François Bayrou.

"C'est symbolique et pas trop coûteux politiquement", reconnaît mezza-voce un élu macroniste qui suit de près les questions budgétaires.

Le retour improbable du conclave sur les retraites

Quant à l'éventuelle suspension de la retraite à 64 ans pour réouvrir un conclave sur les retraites, le calcul semble plus délicat. C'est pourtant ce format de discussions entre les syndicats et le patronat qui avait permis à François Bayrou en janvier d'obtenir la clémence du PS pour faire passer son budget.

Si le conclave a finalement explosé en plein vol, Sébastien Lecornu a pris le temps d'appeler les centrales syndicales pour les sonder. Le PS ne ferme pas la porte mais y met son prix.

"On dira oui pour un nouveau conclave mais si et seulement si cela s'accompagne d'une suspension de la réforme le temps des discussions", insiste le député PS Philippe Brun.

Mais Emmanuel Macron serait-il vraiment prêt à lâcher sur la seule réforme emblématique de son quinquennat, ce qu'il n'a jusqu'à présent jamais fait en dépit d'une très forte mobilisation dans la rue?

"Suspendre les retraites? C'est non", lâche l'un de ses proches. L'option d'un nouveau conclave semble donc globalement bien faible, d'autant plus que la CFDT a annoncé ce jeudi matin s'y opposer.

"Lâcher un peu mais pas trop"

Quant à la fin des exonérations de cotisations patronales sur les bas salaires, souvent considérées comme "des trappes à bas salaires", pas grand-monde n'y croit non plus en macronie. Dans ce camp, beaucoup sont en tout cas convaincus que les socialistes pourraient accepter un accord avec Matignon, même si les compromis obtenus étaient bien minces.

"Je ne suis pas sûr qu'à la fin, ils ont vraiment envie d'une dissolution à quelques mois des municipales et alors que La France insoumise veut présenter un candidat contre eux dans chaque circonscription", analyse un conseiller ministériel.

"Il faut lâcher un peu mais pas trop non plus parce qu'on n'en a pas besoin", tranche, plus abrupt, un parlementaire macroniste, convaincu que les socialistes "ne voudront pas d'une nouvelle dissolution".

À voir. Plusieurs sondages montrent que les socialistes qui partiraient avec les communistes et les écologistes récolteraient près de 20% des voix contre seulement 9% pour les insoumis.

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"Faire de la popol"

Autrement dit, les élus PS ne perdraient quasiment pas de sièges par rapport à ce qu'ils ont aujourd'hui et la stratégie permettrait de préparer peut-être une candidature commune avec les écologistes pour la présidentielle.

De quoi donc pousser le parti à la rose s'accorder avec Sébastien Lecornu (et en filigrane avec Emmanuel Macron) que si et seulement s'il estime avoir obtenu des concessions suffisantes.

"Sébastien Lecornu sait faire de la popol, comme nous. S'il sent qu'il faut lâcher plus pour obtenir la non-censure, il saura bien l'expliquer à Emmanuel Macron", juge un socialiste qui, lui, plaide pour la stabilité politique.

"On n'a pas peur de la dissolution", lance d'avance, bravache, le président des sénateurs PS Patrick Kanner. La pression sur le chef de l'État ne pourrait bien ne pas redescendre.

Marie-Pierre Bourgeois