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"Je suis très surpris par vos propos": l'économiste Gabriel Zucman répond à François Bayou qui ne veut pas de sa taxe sur les Français très riches

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Le Premier ministre a repoussé l'idée de mettre en place la "taxe Zucman" dans le prochain budget, considérant que cette mesure "inconstitutionnelle" détournerait les investissements de la France. Des critiques balayées par l'économiste.

François Bayrou s'est vivement opposé à l'introduction de la taxe proposée par l'économiste Gabriel Zucman dans le budget 2026, comme le souhaiteraient les partis de gauche, et notamment le Parti socialiste, au cours d'une interview à BFMTV et aux chaînes d'information en continu dimanche 1er septembre.

François Bayrou estime que la taxe Zucman constitue "une menace pour les investissements en France" parce qu'elle ferait fuir les contribuables concernés à l'étranger. Le Premier ministre considère également qu'elle est inconstitutionnelle alors que le Sénat a rejeté en juin une proposition de loi sur le sujet.

"N'inventons pas des obstacles juridiques ou économiques inexistants", lui a répondu Gabriel Zucman sur X.

"Je suis très surpris par vos propos sur l’impôt minimal sur les ultra-riches, soit les patrimoines de plus de 100 millions d’euros, environ 1.800 foyers fiscaux", a déclaré l'économiste à l'attention du Premier ministre.

"Exil très faible"

La crainte d'une diminution des investissements est jugée "incompréhensible" par Gabriel Zucman.

"L'impôt plancher ne touche pas les entreprises, mais les ultra-riches, sur leur fortune mondiale (...) Il ne s'agit pas d'augmenter l'impôt sur les sociétés. Il ne changerait rien à l'attractivité de notre pays pour les investissements étrangers", répond Gabriel Zucman.

L'économiste s'appuie notamment sur une récente étude du Conseil d'analyse économique (CAE), un organisme de recherche rattaché à Matignon. Les auteurs de cette note relèvent que "les départs des hauts patrimoines peuvent en théorie avoir des effets significatifs sur l’économie, en particulier lorsqu’ils détiennent des actifs professionnels".

Une étude menée en France en 2013, citée par le CAE, estime que l’expatriation d’un actionnaire détenant plus de 10% du capital d’une entreprise entraîne en moyenne une baisse de 15% du chiffre d’affaires cinq ans après son départ, tandis que la masse salariale diminue de 31% et la valeur ajoutée de 24%.

Toutefois, le CAE observe que "si la fiscalité du patrimoine a bien un effet significatif sur l’exil fiscal des plus hauts patrimoines, cet effet est relativement modeste". Ces flux de départ "restent suffisamment faibles pour n’avoir qu’un effet marginal sur l’économie française, même en tenant compte du poids important des hauts patrimoines dans l’activité économique et entrepreneuriale".

La porte-parole du gouvernement Sophie Primas avait toutefois indiqué en juin que cette "taxe impliquerait pour beaucoup d'entrepreneurs de devoir vendre tout ou partie de leur entreprise pour s'acquitter de l'impôt". Taxer "les créateurs ou les actionnaires des plus belles entreprises françaises aurait des conséquences économiques", a aussi estimé le gouverneur de la Banque de France en juin dernier, mettant en garde contre le risque d'une "illusion fiscale".

Une taxe "conforme au principe constitutionnel d'égalité devant l'impôt"

Gabriel Zucman a également réfuté l'idée que sa taxe serait "inconstitutionnelle".

"Non seulement l'impôt plancher est constitutionnel mais plus que cela: il viendrait mettre en conformité nos lois avec nos principes constitutionnels fondamentaux d'égalité devant l'impôt, qui sont aujourd'hui bafoués", répond Gabriel Zucman.

La constitutionnalité de ce dispositif n'a pas été tranchée à ce stade. La possibilité d'une censure des juges du Conseil constitutionnel a été soulevée par certains juristes. La commission des finances du Sénat avait aussi évoqué ce risque en l'absence d'un mécanisme de plafonnement.

Progressivité de l'impôt

La taxe Zucman est pensée comme la solution pour rendre l'imposition des "ultra-riches" plus progressive et dégager de nouvelles recettes. Une étude de l'Institut des politiques publiques (IPP) parue en 2023, démontre que le "taux d’imposition globale apparaît progressif jusqu’à des niveaux élevés de revenu puis devient régressif pour le sommet de la distribution: il atteint en effet 46 % pour les foyers les 0,1% les plus riches puis descend à 26% pour les 0,0002% les plus riches". En clair, plus on se rapproche du sommet de l'échelle fiscale, moins on paye d'impôts. Cela s'explique par la structure des revenus des "ultra-riches".

"Ces foyers fiscaux reçoivent de plus en plus de revenus par le biais des bénéfices des sociétés qu'ils détiennent, sans pour autant décider de se distribuer tous ces bénéfices", précise l'IPP.

Ces bénéfices peuvent rester logés dans des sociétés, principalement des holdings, où elles bénéficient d'un cadre fiscal particulièrement favorable. François Bayrou a indiqué vouloir s'attaquer "à ceux qui optimisent leur fiscalité", notamment via les holdings, sans préciser pour le moment la manière dont il comptait s'y prendre. Au printemps, l'exécutif avait évoqué un mécanisme proche de la taxe Zucman mais plus limité, en ce qu'il exonérerait notamment les biens professionnels.

Pierre Lann