Madagascar, Maroc, Népal... Pourquoi la génération Z s'embrase aux quatre coins de la planète

Une génération qui entend prendre son destin en main. Le président malgache Andry Rajoelina a été renversé cette semaine, contraint à fuir le pays après des semaines de manifestations de la "Gen Z", un mouvement composé de jeunes protestataires.
Si la chute du président s'est soldée par un putsch, les militaires qui ont pris le pouvoir ont promis qu’un premier ministre de consensus serait choisi "en concertation avec la Gen Z", signe du poids de la jeunesse dans l'avenir politique du pays.
La révolte des jeunes Malgaches fait écho à d'autres mouvements de colère qui ont éclaté dans le monde ces derniers mois. De l'Indonésie au Népal, en passant par le Pérou et le Maroc, la génération Z - née entre la fin années 90 et le début des années 2010 - fait entendre sa voix contre les gouvernements. Jusqu'à, parfois, les faire plier.
Des contextes sociaux et politiques comparables
Au Népal, la pression de la rue était telle que le Premier ministre n'a eu d'autre choix que de démissionner. La crise avait débuté le 8 septembre, lorsque la police a ouvert le feu dans la capitale sur un cortège de milliers de jeunes qui dénonçaient le blocage des réseaux sociaux et la corruption des élites du pays.
A Madagascar, les "zoomers" étaient d'abord descendus dans la rue pour protester contre les coupures d'eau et d'électricté, sur une île où les richesses naturelles ne profitent pas à la population. Au Maroc, c'est le décès de huit femmes venues accoucher par césarienne dans un hôpital d'Agadir, symbole des défaillances du service de santé public, qui a mis le feu aux poudres cet été.
Si ces mouvements de contestation n'ont pas exactement les mêmes causes, ils ont émergé dans des contextes comparables.
"Les pays concernés font partie du Sud global (par opposition au pays du Nord occidentaux, NDLR) et ont une histoire ancienne de contestation coloniale puis post-coloniale", décrypte pour BFMTV Paolo Stuppia, docteur en sciences politiques à l’université Paris 1, enseignant à Science Po et chercheur associé au Centre Européen de Sociologie et de Science Politique (CESSP).
"Ces pays ont des caractéristiques semblables, notamment au niveau démographique puisque la génération Z y représente au moins un quart de la population", poursuit le chercheur, évoquant aussi "un niveau d'éducation et une urbanisation qui augmentent".
"Elites corrompues et déconnectées"
Les manifestants ont donc la particularité d'être jeunes, et de se revendiquer sous la bannière de "Génération Z" ou "Gen Z". De l'Afrique à l'Asie en passant par l'Amérique du Sud, leurs revendications sont similaires.
"Il y a une volonté de dénoncer la malgouvernance de ces pays dirigés par des élites politiques considérées comme corrompues et déconnectées du quotidien de la jeunesse", souligne Paolo Stuppia, co-auteur de Géopolitique de la jeunesse - engagement et (dé)mobilisations (avec Valérie Becquet, Le Cavalier Bleu, 2024).
"Ces jeunes, aujourd'hui, agissent sur d'autres revendications que des revendications purement politiques. Ils ont un besoin radical de cohérence, d'authenticité. Ils veulent comparer, ils jugent tout, ils voient tout, parce qu'ils ont accès constamment aux réseaux sociaux", ajoute Élodie Gentina, professeur à l’IESEG School of Management spécialiste de le Génération Z citée par RFI.
C'est justement sur les réseaux sociaux que les manifestations sont nées. Au Népal, tout a commencé par la publication sur Instagram et TikTok de vidéos montrant la vie luxueuse des enfants des dirigeants politiques. Des hashtags tels que #NepoKids, dans un raccourci pour népotisme, pointaient le contraste entre le quotidien des citoyens ordinaires et la vie de rêve que les enfants de dirigeants politiques étalent sans complexe.
Discord, un parlement virtuel
La colère s'est ensuite déplacée, pour mieux se structurer, vers la plate-forme Discord, une messagerie instantanée prisée des communautés de joueurs de jeux vidéos. C'est sur un groupe baptisée "Youth Against Corruption", fort de 160 000 membres, que les manifestations étaient planifiées.
Au Maroc aussi, le collectif GenZ 212 a fait le choix de Discord. Dans les boucles de conversations, les membres échangent par écrit et ou l'oral sur leurs revendications et fixent leurs prochains lieux de rendez-vous.
"Cette culture du web et du gaming se retrouve dans les manifestations avec cette idée de coopération entre des acteurs qui jouent chacun un rôle différent, comme dans les jeux de rôle en ligne", explique Paolo Stuppia.
Les plateformes numériques sont aussi des lieux d'expression démocratique pour prendre des décisions. Ainsi chaque soir au Maroc, un vote sur la reconduction du mouvement était organisé en ligne. Au Népal, le groupe Discord est devenu un véritable parlement virtuel, au centre des décisions politiques. L'ancienne cheffe de la Cour suprême Sushila Karki a ainsi été nommée Première ministre après être arrivée en tête d'un sondage organisé sur l'application.
Drapeau "One Piece"
"Ce détournement des plateformes numériques n'est pas une nouveauté absolue. C'est quelque chose qu'on avait déjà remarqué au moment des printemps arabes en 2011-2012 ou au moment des protestations à Hong Kong contre la loi de sécurité du gouvernement chinois en 2019-2020", rappelle Paolo Stuppia.
"Ça montre aussi que derrière les dénonciations du quotidien ou des prédations économiques, il y a cette idée de remettre au centre de jeu quelque chose qui avait déjà été remarqué à ce moment-là, en 2012, à savoir l'idéal même de la démocratie", poursuit le sociologue.

Les réseaux sociaux ont aussi permis de connecter ces mouvements les uns aux autres. Le sociologue Paolo Stuppia observe une "une circulation des pratiques de manifestation mais aussi des symboles".
De l'Indonsésie au Pérou, le drapeau du pirate Luffy, héros du manga One Piece, est ainsi brandi comme un étendard par cette jeunesse éprise de liberté. En Indonésie, le pavillon à la tête de mort et au chapeau de paille est devenue un tel symbole de protestation que le gouvernement a décidé de l'interdire, y voyant "une forme de trahison" contre les institutions.
L'avenir de ces mouvements de jeunesse reste incertain. Au Népal, le départ du Premier ministre et la perspective de nouvelles élections en 2026 a - pour le moment - satisfait les jeunes manifestants. Mais à Madagascar, c'est la crainte d'une récupération qui plane après la prise de pouvoir des militaires. Au Pérou, la jeunesse affronte les forces de l'ordre, et le gouvernement a annoncé qu'il allait déclarer l'état d'urgence.
"Ces mouvements ont pour point commun de ne pas avoir de leader désigné", note le géopolitique Pascal Boniface, directeur de l'institut de recherche Iris, sur sa chaîne Youtube. "A terme, ce pourrait être un obstacle à un débouché politique de leur révolte."