TOUT COMPRENDRE. Manifestations, prise du pouvoir par l'armée, président déchu... Que se passe-t-il à Madagascar?

Des membres d'un contingent de l'armée malgache se rassemblent avec des manifestants alors que ceux-ci célèbrent leur discours depuis la mairie d'Antananarivo, le 11 octobre 2025. - LUIS TATO / AFP
Le pouvoir a basculé à Madagascar. L'île de Madagascar est en proie à une crise depuis le 25 septembre dernier, une crise sociale devenue une crise politique conduisant ce mardi 14 octobre à la destitution du président Andry Rajoelina et à la prise du pouvoir par l'armée.
Des manifestations de masse, portées par la jeune génération, ont éclaté à la fin du mois de septembre pour dénoncer les conditions de vie dans ce pays parmi les plus pauvres du monde et revendiquer le départ du président.
Elles ont été réprimées dans le sang avant qu'une unité militaire ne fasse défection, se joigne aux manifestants puis "prenne le pouvoir". Le président contesté, retranché dans un lieu inconnu a été destitué par l'Assemblée nationale.
• Pourquoi la Gen-Z est descendue dans la rue le 25 septembre dernier?
"Stop à une vie faite de bidons jaunes et de noirceur"; "Nous ne voulons pas de troubles, nous voulons juste nos droits"; "Y en a marre"; "On veut vivre, pas survivre" ... Munis de banderoles et de pancartes, une foule de jeunes a déferlé dans les rues de la capitale malgache le jeudi 25 septembre dernier pour protester contre les coupures incessante d'eau et d'électricité.
"Les coupures de plus en plus longues ont des conséquences désastreuses, que ce soit sur l'hygiène, la vie quotidienne ou l'activité économique", nous explique Christiane Rafidinarivo, politologue, chercheuse associée au Cevipof Sciences Po.

Les protestataires ont été appelés à se mobiliser via les réseaux sociaux, à travers un mouvement baptisé "Gen Z", en référence à la génération Z, les personnes nées entre la fin des années 1990 et le début des années 2010.
Ce mouvement - qui reprend à son compte le drapeau pirate tiré du manga One Piece, signe de ralliement vu en Indonésie ou au Népal - réclame également le respect des droits fondamentaux et la fin de la corruption qui mine le pays.

"Il y a un ensemble de privation des libertés publiques, le pouvoir en place réprime les opposants ou les autres mouvements sociaux ainsi que les journalistes. La corruption, au plus haut niveau du pouvoir ou au sein des grandes entreprises, s'érige dans un système qui prend le pas sur l'État", souligne la politologue.
Avant d'ajouter: "Les jeunes, de milieux modestes ou aisés, étudiants, actifs ou jeunes parents, sont tournés vers un horizon sans avenir, incertain. L'appauvrissement s'aggrave de jour en jour". Bien que l'île soit riche en ressources naturelles et qu'elle ait enregistré une croissance de 4,2% en 2024, près des trois-quarts de ses 32 millions d'habitants vivaient sous le seuil de pauvreté en 2022, selon la Banque mondiale.
Une autre revendication a rapidement émergé de la protestation "Gen-Z": la "démission immédiate" du président Andry Rajoelina, de son clan et le démantèlement des institutions.
Les manifestations, qui se sont poursuivies dans plusieurs villes de province, ont été violemment réprimées par les forces de sécurité à leurs débuts. Selon l'ONU, au moins 22 personnes ont été tuées et plus d'une centaine ont été blessées. Ce bilan a été démenti par le chef de l'État malgache qui évoque 12 morts, tous "des pilleurs, des casseurs", selon lui.
Le Haut-Commissaire de l'ONU aux droits de l'homme Volker Türk s'était dit le 29 septembre dernier "choqué par la réponse violente" aux manifestations. Outre le gaz lacrymogène et les balles en caoutchouc, certains officiers ont utilisé des balles réelles, selon l'ONU. Les forces de sécurité ont accusé certains manifestants de mener des actions violentes et des pillages.


Malgré la répression, les manifestations de masse ont continué. Le collectif Gen-Z a été rejoint par des fonctionnaires appelés à la grève par plusieurs syndicats et des protestataires de toute génération.
• Comment l'armée en est-elle arrivée à "prendre le pouvoir"?
La situation a commencé à basculer samedi 11 octobre, lors de la plus importante manifestation depuis le début de la contestation. Une unité militaire d'élite majeure, le Capsat (Corps d'armée des personnels et des services administratifs et techniques), a fait défection au pouvoir en place. Ce contingent de l'armée malgache a appelé les forces de sécurité à "refuser les ordres de tirer" sur la population.

Les militaires ont ainsi rejoint dans les rues de la capitale les milliers de manifestants, qui les ont accueillis avec joie. Tôt ce dimanche, le Capsat a déclaré que "désormais, tous les ordres de l'armée malgache, terre, air, mer, émaneront" de leur quartier général. La plupart des forces armées leur ont emboîté le pas depuis et ont changé de commandement, y compris la gendarmerie, auparavant en première ligne de la répression des manifestations.
Alors que le colonel du Capsat, Michael Randrianirina, disait ce week-end aux médias locaux "vouloir protéger la population" sans "prendre le pouvoir", les faits ont rapidement démenti ces paroles. Ce mardi 14 octobre, l'unité militaire a annoncé "prendre le pouvoir" lors d'un discours devant le palais présidentiel d'Antananarivo. Et ce, juste après un vote de l'Assemblée nationale destituant le chef de l'État.

"On va prendre le pouvoir à partir d'aujourd'hui et on dissout le Sénat et la Haute cour constitutionnelle. L'Assemblée nationale, on la laisse continuer à travailler", a indiqué le colonel Michael Randrianirina dans le centre de la capitale malgache. La Constitution est aussi suspendue.
Un conseil militaire a été institué "composé d'officiers venant de l'armée, de la gendarmerie, de la police nationale" pour "assurer le travail de la présidence". La Haute cour constitutionnelle, ayant constaté la "vacance" du poste de président, a "invité" dans un communiqué "l'autorité militaire compétente incarnée par le colonel Randrianirina Michaël, à exercer les fonctions de chef de l'État".
La nomination d'un "Premier ministre de consensus" et d'un gouvernement civil de transition doit suivre. Le colonel Randrianirina a promis des élections dans 18 à 24 mois.
Scènes de fête et concerts ont suivi cette annonce sur la place du 13-mai. Drapeaux malgache et chants de célébration ont envahi ce lieu symbolique, baptisé en hommage aux personnes tuées lors d'un soulèvement populaire en 1972 qui a conduit au départ du premier président. "Je suis vraiment très heureuse, en tant que jeune, ici, à Madagascar, on est libre maintenant. On a obtenu la victoire", s'est réjouit Jouannah Rasoarimanana, 24 ans.
Ce mercredi matin, la capitale Antananarivo était calme, mais une certaine incertitude régnait quant à la suite des événements. Les Nations unies ont dit qu'elles attendaient que "la poussière retombe", tout en se déclarant "préoccupées par tout changement de pouvoir inconstitutionnel".
Le quai d'Orsay de son côté a appelé dans un communiqué les autorités militaires à "scrupuleusement préserver la démocratie, les libertés fondamentales et l'État de droit", tout en estimant que "les aspirations profondes du peuple malgache (...) à une vie meilleure, plus juste et plus digne, doivent être pleinement entendues et prises en compte".
• Comment le président Andry Rajoelina a été destitué?
Réélu président en 2023 lors d'une élection boycottée par les oppositions, Andry Rajoelina, 51 ans, a été destitué ce mardi 14 octobre par l'Assemblée nationale de Madagascar pour "vacances du pouvoir". L'institution a voté sa destitution avec 130 des 163 députés, soit plus de la majorité des deux tiers requise. Ce vote a été avalisé par la Haute cour constitutionnelle, malgré sa dissolution annoncée par le colonel de la Capsat.
L'ancien maire d'Antananarivo, qui a refusé tout démission, est en effet retranché dans un lieu inconnu, possiblement à l'étranger. Lors de sa première prise de parole depuis le début des manifestations, ce lundi 13 octobre, le président s'est dit dans un "lieu sûr" après une "tentative de meurtre", sans plus de précisions sur sa localisation.

Selon la page Facebook spécialisée, Madagascar Aviation, et la radio française RFI, Andry Rajoelina aurait été exfiltré par un avion militaire français dimanche depuis l'île de Sainte-Marie vers l'île de La Réunion avant de partir vers une autre destination. Le même jour, l’ancien gendarme franco-malgache, Paul Rafanoharana Maillot, 62 ans, détenu depuis 2021 pour tentative présumée de coup d’État ainsi que sept autres détenus, dont le Français Philippe François, ont été grâcié par le président Andry Rajoelina.
Dimanche soir, les services du président ont assuré qu'il était resté sur l'île pour assurer les affaires courantes. Emmanuel Macron de son côté n'a rien voulu confirmer. "Je ne confirme rien aujourd'hui", a déclaré le chef de l'État français, appelant à la "stabilité du pays" et faisant part "de sa grande préoccupation".
"La France a depuis longtemps des liens avec Madagascar car c'est une ancienne colonie française, et ces liens ont été maintenus", souligne le professeur de géopolitique Jean-Baptiste Noé pour la revue Conflits dont il est rédacteur en chef.
Le président Andry Rajoelina a de plus acquis la nationalité française en catimini en 2014. "Il peut donc faire valoir l'aide de la France", avance le docteur en histoire économique.
Cette supposée exfiltration par la France a fait fleurir des pancartes anti-françaises dans les manifestations. "Dégage la France", "Dégage Rajoelina et Macron", pouvait-on y lire. Pour la politologue Christiane Rafidinarivo, il s'agit à ce stade d'une "forme de vigilance anti-colonialité française".

Avant que sa destitution ne soit votée mardi, Andry Rajoelina a lui-même laissé entendre sur X qu'il avait quitté l'île. Il a indiqué prévoir "plusieurs visites officielles chez des pays amis avant de rentrer au pays" pour suivre l'installation de nouveaux équipements de production d'électricité.
Sentant sa destitution venir, le président malgache a tenté de dissoudre l'Assemblée nationale "pour rétablir l'ordre" et "renforcer la démocratie", avant que le vote le visant pour abandon de poste n'ait lieu. La page Facebook de la présidence a publié un décret en ce sens. Si son authenticité a été confirmée à l'AFP par l'entourage du président, l'absence de signature et de cachet pouvait remettre en cause sa validité. Et les députés en ont bel et bien fait fi.
"Le pouvoir de Andry Rajoelina n'est plus effectif", nous confirme la chercheuse Christiane Rafidinarivo.
Le président a dénoncé à propos du vote de destitution une "réunion (...) dépourvue de toute base légale". Puis, concernant la prise de pouvoir des militaires, une "tentative de coup d'Etat" et une "déclaration illégale" de la Capsat.
Un communiqué de la présidence publiée sur Facebook, assure qu'Andry Rajoelina "demeure pleinement en fonction et veille au maintien de l'ordre constitutionnel et de la stabilité nationale". "La République de Madagascar ne saurait être prise en otage par la force", est-il ajouté.
• Est-ce une situation inédite dans le pays?
Madagascar a une longue histoire de soulèvements populaires depuis son indépendance de la France en 1960. Des soulèvements, déclenchés par des situations économiques et sociales déplorables, qui ont été suivis par la mise en place de gouvernements militaires de transition.
Mais surtout, le scénario se répète car le président destitué, Andry Rajoelina, avait lui-même accédé au pouvoir par un coup d'Etat en 2009 dans des circonstances similaires.
"Il avait mené un mouvement socio-politique également basé sur la jeunesse, et il a été appuyé par le même contingent militaire qui vient de le renverser, le Capsat", rappelle la politologue Christiane Rafidinarivo.
Andry Rajoelina a été installé une première fois au pouvoir en tant que président de transition de 2009 à 2014, avant de se retirer. Il s'est ensuite fait élire en 2018 puis réélire en 2023 lors d'un scrutin contesté.
"La différence est que, cette fois-ci, la Gen-Z se revendique apolitique", note-t-elle. Et les réseaux sociaux leur permettent une meilleure organisation. "Ils peuvent mieux se coordonner comparé aux mouvements sociaux passés".
Sur leur compte Instagram, le collectif Gen-Z estime "avoir gagné une bataille" mais "pas la guerre". "Ce n'est que le commencement. À suivre...", écrivent-ils.