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"On n’a toujours pas Delphine": au procès Jubillar, Cédric condamné pour le meurtre de sa femme mais un mystère qui perdure
Il est resté stoïque en apprenant sa sentence. Les dénégations de Cédric Jubillar quant au meurtre de son épouse pendant ces quatre semaines d'audience n'auront finalement pas payé: les six jurés et les trois magistrats ont décidé à la majorité de le reconnaître coupable, le condamnant à 30 ans de réclusion criminelle au tribunal d'Albi (Tarn), ce vendredi 17 octobre.
"Je tiendrai à dire que je n'ai absolument rien fait à Delphine", a prononcé l'accusé en dernière intention l'accusé, au matin du verdict, ne déviant pas de la ligne qu'il s'est fixée depuis le début de son procès.
Rien, ni les témoignages des proches de son épouse, ni les mots de sa propre mère, pas même une lettre écrite par son fils de 11 ans ne l'auront fait flancher: pendant ces quatre semaines d'audience, Cédric Jubillar est resté inflexible, ne cédant ni à la colère ni aux larmes, clamant seulement son innocence et ne levant dont pas le voile sur ce qui est arrivé à Delphine Aussaguel.
"La disparition de ma femme, ça me touche"
22 septembre 2025. Des curieux se massent devant le tribunal, avec l'espoir d'avoir une place dans la salle d'audience. Cédric Jubillar, lui, arrive dans son box cerné par les caméras et appareils photo des journalistes, dans une veste de jogging bleue qui fera jaser, crâne rasé, amaigri. En ouverture d'audience, invité par la présidente à dire quelques mots, il articule: "Je conteste toujours les faits qui me sont reprochés."
Cette première journée est consacrée à un point central de l'enquête: la personnalité de Cédric Jubillar. Pour les parties civiles, le peintre-plaquiste est "manipulateur" et "menteur", violent notamment avec son fils, Louis, insultant et grossier au possible. Pour sa défense, c'est un homme blessé par une enfance marquée par les abandons et les maltraitances, mais résilient et surtout incapable de ce dont on l'accuse.
"Qu'est-ce qui vous touche?", lui demande un avocat. "Bah la disparition de ma femme déjà, ça me touche", évoque l'accusé, qui poursuit en parlant de ses enfants et de ses grands-parents.
Une enquêtrice de personnalité le décrit à la barre comme quelqu'un de "plutôt agaçant", mais qui "ne ment pas sur sa personnalité": "C'est quelqu'un qui est sans filtre, il le dit: 'moi je suis un connard et j'assume'."
L'infirmière "discrète" et le "bad boy"
Lors des deux premières semaines, de longues heures sont aussi réservées aux témoignages de proches de Delphine Jubillar. Défilant un par un à la barre, leurs témoignages esquissent le portrait d'une infirmière douée et dévouée, d'une mère aimante, d'une amie "discrète" mais soucieuse, et d'une femme qui avait pour objectif de prendre son envol, les mois précédant sa disparition.
L'infirmière de 33 ans a rencontré son futur mari lors d'une soirée, en 2005. Ses proches confient avoir alors espéré que leur relation "soit courte" au vu de la personnalité de Cédric Jubillar, qu'ils décrivent comme le profil-type du "bad boy". Le couple s'est pourtant marié en 2013, a eu Louis l'année d'après, puis Elyah cinq ans plus tard.
Mais depuis quelque temps, le vent semblait avoir tourné, racontent les amies de Delphine à la barre. Celle-ci supportait de moins en moins les violences verbales de son mari, son addiction au cannabis et son incapacité à garder un emploi. A contrario, elle paraissait plus émancipée, avait davantage confiance en elle. En septembre 2020, elle annonce à son mari son intention de divorcer.
Stéphanie, sœur de la disparue, a une conviction: "Elle n'aurait jamais laissé ses enfants. Ce n'était pas son genre." Pour son amie Chloé, Delphine "est devenue le symbole des féminicides": "Le fait qu'elle le quitte, qu'il puisse perdre la maison, tout ça lui était totalement insupportable (à Cédric Jubillar, ndlr). Une façon de s'accaparer sa vie jusqu'à la mort."
"Intime conviction" et "erreur de copier-coller"
Surtout, Delphine Jubillar avait rencontré un homme, Donat-Jean Macquet, sur un site de rencontres extraconjugales. Ce vendeur chez Leroy-Merlin et l'infirmière tombent amoureux, se retrouvent en cachette, tirent des plans sur la comète, ont des "discussions intarissables". Ils rêvent d'une vie à deux, d'un mariage et d'enfants, comme le décrit celui qui a été surnommé "l'amant de Montauban" à la barre, en troisième semaine du procès.
"J'ai l'intime conviction que c'est Cédric Jubillar", lance Donat-Jean Macquet, chemise bleue et lunettes sur le nez, sous les regards curieux du public, le 6 octobre.
"Ce que j'ai jamais compris, c'est pourquoi M. Jubillar n'a jamais cherché à me rencontrer. Si les rôles étaient inversés, j'aurais cherché à le rencontrer pour lui casser la figure, ça c'est certain." Dans son box, l'intéressé le fixe sans réaction notable. Depuis le début du procès, seule sa jambe est constamment agitée de soubresauts nerveux.
Le même jour, on croit assister à un coup de théâtre: les avocats de la défense Emmanuelle Franck et Alexandre Martin demandent à l'amant s'il se trouvait à Cagnac-les-Mines la nuit des faits. Il n'y est jamais allé, assure-t-il. Ils dégainent un dernier atout, expliquant avoir épluché les lignes téléphoniques ayant borné dans les alentours du village à ce moment-là. La ligne de Donat-Jean Macquet apparaît sur cette liste, assure la défense, mais n'a visiblement jamais été étudiée par les enquêteurs.
Branle-bas de combat. Le lendemain, on fait venir le gendarme en charge de la téléphonie. D'emblée, ce dernier s'excuse: il s'agit d'une erreur de "copier-coller" de sa part. Donat-Jean Macquet apparaît bien dans la liste des communications qui bornent sur la commune de Cagnac-les-Mines… mais seulement en tant que correspondant de Delphine Jubillar.
"J’hésite entre le fait d’être atterrée par cette réponse et le fait de savoir si c’est crédible", commente Me Emmanuelle Franck, qui ajoute ne pas "croire" à cette erreur.
Les regrets de la mère de Cédric
Le lendemain, un personnage très attendu s'avance à la barre. Nadine F., veste bleue accordée à son vernis, démarre sa déposition en assurant qu'elle n'a "pas abandonné" son fils. "Je me suis retrouvée à la rue, et dans un but de protéger mon fils, j’ai demandé de l’aide", explique-t-elle.
Mais Nadine F. le reconnaît rapidement: ce n'est pas en tant que "mère" de l'accusé qu'elle témoigne aujourd'hui et qu'elle s'est constituée partie civile, mais en tant que "grand-mère" de Louis et Elyah. D'ailleurs, interrogée sur les menaces que son fils a proférées à l'encontre de sa compagne devant elle, quelques jours avant sa disparition, elle confirme: "Il m'a dit: 'J'en ai marre, elle m'énerve, je vais la tuer, je vais l'enterrer, personne ne va la retrouver'."
"Aujourd'hui, je regrette de ne pas avoir donné plus de sens à cette phrase", commente-t-elle encore. "Vous auriez tout fait pour qu’il ne la tue pas?", la relance Me Laurent Nakache-Haarfi, côté parties civiles. "Si vous le dites, mais ce ne sont pas mes mots", répond-elle.
Interrogé sur ce témoignage accablant, Cédric Jubillar déclare n'avoir "rien à déclarer de plus". Et son avocat, Me Alexandre Martin, de se tourner vers Nadine F.: "J’aurais eu beaucoup de questions, certaines peu amènes, mais Cédric nous a demandé de ne rien vous demander."
"Pas du tout", "tout à fait"
Cette journée-là, comme toutes les autres, difficile d'interpréter ce que pense l'accusé. Son visage ne manifeste pas d'émotion particulière. Cédric Jubillar ne s'épanche jamais. Ses réponses, très souvent laconiques, se bornent à "je ne sais pas", "pas du tout" ou "tout à fait". Lors de son interrogatoire du 10 octobre, il prononce cette dernière expression à plus de 130 reprises. ll semble parfois se tenir à distance de son propre procès, mais reste concentré sur ce que disent ceux qui défilent à la barre.
C'est le cas lorsque Séverine L., une femme avec laquelle il a eu une relation de quelques mois en 2021, après la disparition de Delphine, vient livrer son sentiment à la cour. Il lui est déjà arrivé, dit-elle, de penser que Cédric avait pu tuer sa femme. "Mais au jour d'aujourd'hui, je ne pense pas que ce soit lui." Il garde également son calme lorsque Jennifer C., une autre ex-compagne interrogée en visioconférence, raconte avoir recueilli ses aveux sur le meurtre de l'infirmière lors d'une série de parloirs, début 2025.
"Non, je n’ai jamais reconnu l’avoir tuée. Ça, elle l’invente complètement. Elle m’a posé la question plein de fois. Je lui ai dit 'écoute, ce n’est pas moi, maintenant, crois ce que tu veux'", se contente de répondre Cédric Jubillar, sûr de lui.
Deux de ses anciens codétenus, également entendus, affirment eux aussi que le peintre-plaquiste a avoué le crime en prison. "Marco", notamment, relate que celui qui se fait appeler "la star du Tarn" lui a confié avoir dissimulé le corps de Delphine "près d'une ferme qui a brûlé". "Il me gavait à me poser tous les jours la question", se justifie le mis en cause à ce sujet. "C'était une blague?", demande la présidente. "Oui, c'était une blague", répond-il.
A genoux sur des legos
Trois jours avant la fin du procès, un témoignage imprévu bouscule l'audience. Celui de Louis, aujourd'hui âgé de 11 ans et témoin capital du dossier, qui n'est cependant pas venu déposer. Dans une lettre de trois pages adressée à la présidente Hélène Ratinaud, le petit garçon raconte d'une écriture ronde que son père (qu'il appelle "Cédric") a pu avoir un comportement violent avec lui.

Avant que sa mère disparaisse, "Cédric me demandait de m'agenouiller, les mains sur la tête 30 mn, au coin, les genoux sur les legos, lorsque je faisais une bêtise", écrit l'enfant, qui évoque aussi des fessées et des insultes telles que "petit ou gros con".
Il réitère ensuite ce qu'il a expliqué aux gendarmes, pendant l'instruction: il a bien vu ses parents se disputer et s'empoigner dans le salon, la nuit des faits, alors qu'il était censé dormir. Trois semaines plus tôt, l'administratrice ad hoc des enfants Jubillar assurait que le petit garçon était "convaincu" de la culpabilité de son père.
La défense livre ses dernières armes
Le dernier acte de ce procès-fleuve, ce sont les avocats des parties civiles, du parquet puis de la défense qui l'ont joué cette semaine. Me Pauline Rongier, dans les premières, plaide un "féminicide" commis par un homme qui se fait appeler "le magicien". "Je sais qu'il va falloir du courage pour condamner quelqu'un sans corps, au dela de la question de la culpabilité. Il y a dans cette affaire un moment historique dans la lutte contre les violences conjugales", lance-t-elle à la barre.
Mes Laurent Boguet et Malika Chmani implorent de leur côté de "rendre Delphine" à leurs clients, les enfants du couple Jubillar. "Moi, je ne vous fais pas confiance, M. Jubillar, je ne vous accorde aucun crédit, rien, vous êtes un menteur", tance Me Boguet.
Après avoir rappelé les éléments désignant l'accusé comme le seul coupable possible de la disparition de Delphine Aussaguel, les deux avocats généraux assènent leurs réquisitions, mercredi: ils demandent 30 ans de réclusion criminelle. Combative, la défense prend les armes le lendemain pour livrer sa dernière bataille.
A commencer par Me Emmanuelle Franck qui, dans une plaidoirie minutieusement, remarquablement construite, répond point par point aux éléments qui composent le "faisceau d'indices" visant son client. Pas de corps, pas de scène de crime, pas d'aveux... L'enquête a été bâclée, martèle l'avocate, évoquant plusieurs pistes n'ayant que très peu été approfondies par les gendarmes.
"Je me serais battue à chaque instant, chaque minute, pendant quatre ans et demi et quatre semaines d’audience. (…) Je vais me taire parce que c’est seuls, dans le silence et le recueillement, que vous pourrez mettre fin à ce cauchemar ", termine l'avocate, émue et épuisée, avant de laisser la parole, l'après-midi, à son confrère Me Alexandre Martin.
Ce dernier déploie le portrait d'un homme "seul" depuis le début de son existence, particulièrement depuis son placement à l'isolement depuis quatre ans et demi. Sous les yeux de son client, qui l'écoute attentivement sans pour autant retenir quelques bâillements dans son box, l'avocat demande aux jurés de s'appuyer sur leurs "certitudes" et de ne pas "condamner Cédric Jubillar".
"Votre devoir vous dicte de l'acquitter" seront ses derniers mots avant qu'un second procès ne s'ouvre dans un délai d'un an. Les avocats de Cédric Jubillar ont en effet d'ores et déjà annoncé faire appel de sa condamnation à 30 ans de réclusion criminelle.
Si la condamnation de Cédric Jubillar est un "soulagement" pour les parties civiles, reste malgré tout un goût amer. "Même si on a une vérité judiciaire qui est établie, on n'a toujours pas Delphine. Delphine ne reviendra pas", constate devant les caméras Me Mourad Battikh, avocat de l'oncle et la tante de Delphine. "Delphine est morte dans la nuit du 15 au 16 décembre 2020. Elle a été tuée par son mari. Cédric Jubillar nous prive, encore, du corps de Delphine". Ce dernier, estiment les parties civiles, n'a pas livré tous ses secrets.