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Delphine Jubillar a disparu à Cagnac-les-Mines (Tarn) dans la nuit du 15 au 16 décembre 2022. (Illustration)

Michaël Mitz

Où est Delphine Jubillar? De sa disparition à l’arrestation de son mari, récit d’une affaire entourée de mystère

Delphine Jubillar a disparu dans la nuit du 15 au 16 décembre 2020 à Cagnac-les-Mines, dans le Tarn. Près de cinq ans plus tard, le procès de son mari, Cédric Jubillar, s'ouvre à Albi ce lundi 22 septembre. Récit d'une affaire qui tient en haleine depuis près de cinq ans.

Le 15 décembre 2020, Delphine Jubillar passe le pas de sa banque à Albi dans le Tarn, avec une idée précise en tête. Elle explique sa situation à sa conseillère: elle et son mari sont en instance de divorce. Pourtant, ce dernier continue d'utiliser sa carte bancaire sans son accord. Il arrive qu'il la lui prenne à son insu, pendant qu'elle dort. Elle souhaite donc changer son code confidentiel pour qu'il cesse d'y avoir accès. La conseillère comprend l'urgence de la situation et lui donne rendez-vous trois jours plus tard.

À cet instant, elle ne le sait pas, mais sa cliente n'honorera pas cette rencontre: une poignée d'heures plus tard, dans la nuit du 15 au 16 décembre 2020, Delphine Jubillar se volatilise en laissant presque toutes ses affaires derrière elle.

Quatre ans ont passé depuis sa disparition. Même si le corps de l'infirmière n'a jamais été retrouvé, les enquêteurs se sont peu à peu dirigés vers la piste d'un crime conjugal commis par Cédric Jubillar. Aujourd'hui âgé de 38 ans, le peintre-plaquiste comparaît à compter de ce lundi 22 septembre devant les assises du Tarn.

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Des tensions minent le couple Jubillar

En fin d'après-midi, ce 15 décembre 2020, l'infirmière de 33 ans va chercher son fils à l'école avant de rejoindre ses pénates, à Cagnac-les-Mines. Cela fait plus de six ans qu'elle et son mari se sont installés dans cette ancienne cité minière: en 2012, Cédric Jubillar y a acheté un terrain et a fait construire une maison qui verra naître leurs deux enfants. Pourtant, alors qu'il s'y était engagé, le peintre-plaquiste n'a jamais terminé les travaux.

La maison où vivaient Delphine et Cédric Jubillar à Cagnac-les-Mines le 6 mars 2025
La maison où vivaient Delphine et Cédric Jubillar à Cagnac-les-Mines le 6 mars 2025 © Lionel BONAVENTURE © 2019 AFP

La maison laisse en effet un arrière-goût d'inachevé. Ses briques rouges, joints apparents, tranchent avec la pierre beige des habitations voisines. Des parpaings empilés forment un mur bancal dans l'allée menant au garage. Des jouets semblent laissés à l'abandon. Dans le jardin mal délimité, la nature a repris ses droits.

Comme tant d'autres sujets, les travaux sont devenus une source de tensions dans le couple. Malgré tout, la vie suit son cours. À dix jours de Noël, un sapin trône dans le salon.

Cédric Jubillar rentre chez lui en fin de journée. Il se met au lit dans la soirée, tandis que son épouse et son fils s'installent devant la télé pour regarder l'émission La France a un incroyable talent. Soirée classique dans une France qui s'apprête à passer les fêtes en pleine pandémie de Covid-19, sous couvre-feu, dans ce coin tranquille du Tarn où rien ne saurait troubler la tranquillité.

Disparition soudaine

Sauf peut-être un appel passé à la gendarmerie, à 4h09, en pleine nuit. Au bout du fil, Cédric Jubillar. Sa femme a disparu, explique-t-il. Il raconte avoir été réveillé par les pleurs de sa fille et s'être rendu compte à ce moment-là de l'absence de Delphine. Celle-ci ne répond plus au téléphone.

Quarante minutes plus tard, deux gendarmes se garent devant la maison. Mais elles se demandent si elles ne se sont pas trompées d'adresse: par la porte vitrée, elles aperçoivent un homme en train de mettre du linge dans sa machine à laver. Loin de l'image qu'elles se font d'un mari à la recherche de son épouse disparue. C'est pourtant bien Cédric Jubillar qui leur ouvre la porte. Interrogé plus tard à ce sujet, il expliquera avoir voulu s'occuper pour ne pas tourner en rond avant l'arrivée des gendarmes.

On se met alors à la recherche de Delphine. Sa disparition ne ressemble pas à un départ volontaire: son sac, ses papiers et son porte-monnaie sont restés chez elle, seul son téléphone manque à l'appel. Plus intriguant encore, alors que Delphine est myope, ses lunettes de vue sont posées sur l'îlot de la cuisine, cassées. Une des branches a disparu et sera découverte derrière le canapé lors d'une perquisition, trois semaines plus tard.

Les heures puis les jours passent sans que la disparue ne donne signe de vie. Le 18 décembre, la gendarmerie diffuse un appel à témoins. Un chauffeur de taxi contacte les autorités, il croit avoir vu Delphine à quelques kilomètres de chez elle la nuit de la disparition. La piste est explorée mais ne donne rien. Les enquêteurs reçoivent d'autres témoignages sans qu'aucun ne les aide réellement.

Coupable idéal

Rapidement, l'effervescence gagne le village. Des gendarmes font du porte-à-porte pour recueillir tout témoignage utile. D'autres vérifient chaque axe routier pour être sûrs de ne pas être passés à côté d'un indice. Des groupes de recherches s'organisent. Des battues citoyennes sont programmées, nourrissant l'espoir de retrouver l'infirmière avant Noël. Chaque puits, chaque terrain privé comme public, chaque étendue d'eau, chaque trou est passé au crible. Sur Facebook aussi, des milliers de personnes s'improvisent enquêteurs et font part de leurs suspicions.

L'affaire mobilise autant qu'elle inquiète. L'entourage de Delphine Jubillar en est convaincu: celle-ci n'a pas pu abandonner ses enfants, avec qui elle était très proche. Le parquet de Toulouse, en charge des investigations, s'éloigne lui aussi peu à peu de cette hypothèse, reconnaissant que "rien n'indique" qu'il puisse s'agir d'une disparition volontaire. Le 23 décembre, la piste criminelle s'impose et une information judiciaire est ouverte pour "arrestation, enlèvement, détention ou séquestration arbitraire".

Dans l'opinion publique comme dans la presse, on commence à rapprocher la disparition de Delphine Jubillar de l'affaire Alexia Daval, joggeuse disparue en 2017 et dont le mari Jonathann Daval avait fini par reconnaître le meurtre. Or, à cette époque, Cédric Jubillar, lui, "n'a jamais été auditionné autrement qu'en qualité de témoin", répond l'un de ses avocats, Me Jean-Baptiste Alary (qui a depuis décidé de ne plus travailler sur le dossier) sur BFMTV, le 8 janvier 2021.

Mais au milieu de ce branle-bas de combat, Cédric Jubillar apparaît plutôt calme, presque décontracté. Le jour des faits, entre 3h54 et 9h52, il tente bien de joindre son épouse 185 fois, soit un appel toutes les 80 secondes. Mais il consulte en parallèle des applications comme Instagram ou Le Bon Coin. Le soir du 16 décembre, il reprend ses habitudes, se rend sur des sites pornographiques notamment, comme l'établit l'étude de ses données.

Cédric Jubillar participe le 23 décembre 2020 à Cagnac-les-Mines, près d'Albi, aux recherches pour retrouver sa épouse disparue
Cédric Jubillar participe le 23 décembre 2020 à Cagnac-les-Mines, près d'Albi, aux recherches pour retrouver sa épouse disparue © Fred SCHEIBER © 2019 AFP

S'il participe à la première battue pour retrouver sa femme et à la marche blanche, il ne prend pas part aux autres recherches. Rapidement, ce mari qui semble peu investi concentre les soupçons et devient le "coupable idéal".

"Au début, son comportement ne collait pas avec ce qu'il se passait. Il était ricaneur et provocateur. Et quand il a vu tous ces gens se souder et commencer à chercher le corps, gratter le moindre brin d'herbe à Cagnac tous les week-ends, il est devenu agressif", décrit Me Philippe Pressecq, avocat de la cousine et meilleure amie de Delphine Jubillar. "Et puis la mâchoire s'est resserrée sur lui."

"Ce mariage l'éteignait"

Au cours des auditions de divers témoins, les langues se délient. Pendant sa seconde entrevue avec les enquêteurs, le fils aîné du couple, Louis, révèle s'être levé de son lit la nuit des faits en entendant ses parents se disputer dans le salon. Par l'entrebaîllement de la porte, il les voit "se pousser mutuellement avec les bras", indique l'ordonnance de mise en accusation. "Arrête-toi", aurait alors lancé sa mère. Ce à quoi Cédric Jubillar aurait répondu: "Alors on va se séparer".

D'autres proches rapporteront aux enquêteurs les difficultés que le couple traversait depuis plusieurs mois. Mariés depuis 2013, huit ans après leur rencontre, Cédric et Delphine Jubillar voient alors leurs relations se tendre. En cause: l'incapacité du mari à garder un emploi sur le long terme, sa consommation de stupéfiants, qu'il finance principalement grâce aux revenus de sa femme, et son manque d'implication dans les travaux de la maison.

"Depuis quelques années, les amis de Delphine Jubillar voyaient bien que ce mariage l'éteignait un petit peu. Il lui parlait mal, il la rabrouait, il n'était pas gentil avec elle", détaille Me Philippe Pressecq.

Bientôt, Delphine s'inscrit sur des sites de rencontre, discute avec plusieurs hommes. L'un d'eux, marié comme elle, retient son attention. De longues conversations s'engagent sur les réseaux sociaux. Une rencontre est organisée, puis de nombreuses autres. Ensemble, ils tirent des plans sur la comète. Alors qu'ils n'ont pas officialisé leur relation ni prévenu leurs conjoints respectifs, ils rêvent d'une vie à deux. À partir d'août 2020, peu à peu, ces projets se concrétisent: Delphine annonce à son mari son intention de demander le divorce.

Mais Cédric Jubillar semble beaucoup plus réticent. S'il s'est lui aussi créé un profil sur Meetic, ses proches relatent qu'il confie avoir du mal à accepter ce divorce, faisant de l'amant de Delphine une obsession, promettant de "faire la misère" à son épouse si jamais cela se confirmait, raconte une témoin.

"J'en ai marre, je vais la tuer"

Selon l'ordonnance de mise en accusation, Cédric Jubillar exerce alors à ce moment-là une surveillance accrue sur les faits et gestes de sa femme. Il épie ses comptes bancaires, tente de faire de même avec son téléphone, traque ses recherches internet. Environ un mois avant la disparition de Delphine Jubillar, il confie ses doutes à sa mère et lance: "J'en ai marre, je vais la tuer, je vais l'enterrer, personne ne la retrouvera". Aux enquêteurs, Cédric Jubillar dira qu'il s'agissait de paroles en l'air.

Il faudra attendre six mois pour que Cédric Jubillar soit entendu en tant que suspect. Le 16 juin, six mois pile après la disparition de son épouse, le peintre-plaquiste est placé en garde à vue. Pendant des heures, les enquêteurs réécoutent sa version, étudient son discours, tentent de repérer des contradictions. Et le confrontent aux éléments factuels et aux témoignages glanés lors des investigations.

Après 48 heures de garde à vue, même s'il maintient qu'il n'a rien à voir avec la disparition de son épouse, Cédric Jubillar est mis en examen pour "homicide volontaire par conjoint" et placé en détention provisoire à la maison d'arrêt de Toulouse-Seysses (Haute-Garonne).

Un fourgon arrive à Cagnes-les-Mines où va se dérouler une reconstitution de la nuit de la disparition de Delphine Jubillar, le 13 décembre 2022 dans le Tarn
Un fourgon arrive à Cagnes-les-Mines où va se dérouler une reconstitution de la nuit de la disparition de Delphine Jubillar, le 13 décembre 2022 dans le Tarn © Charly TRIBALLEAU © 2019 AFP

Le 13 décembre 2022, un acte très attendu intervient dans le dossier: une reconstitution est organisée au domicile des Jubillar. Pour l'occasion, le suspect est extrait de sa cellule et conduit à Cagnac-les-Mines. Minute par minute, les juges d'instruction lui font rejouer la dernière soirée de Delphine Jubillar, vérifiant leurs hypothèses. Pour Me Philippe Pressecq, qui a assisté à cette reconstitution, ce moment a été "révélateur".

"C'est depuis cette reconstitution que j'ai eu l'intime conviction qu'il était coupable. Il a été confronté à tous ces mensonges", se souvient-il. "On peut mentir tant qu'on veut dans un bureau, devant un juge d'instruction. Mais quand on doit mimer nos mensonges, c'est des fois plus compliqué."

Des témoins rapportent des "aveux"

Depuis, plusieurs personnes ont affirmé avoir reçu des aveux de Cédric Jubillar quant au meurtre de Delphine. Fin 2021, l'un de ses anciens codétenus demande à être entendu par les enquêteurs, leur disant avoir recueilli des confidences accablantes du suspect. Ce dernier lui aurait expliqué avoir "vrillé" en découvrant que Delphine avait un amant, et s'être "débarrassé" d'elle, précisant avoir caché le corps de son épouse "à côté d'un endroit qui avait brûlé".

Rapidement, les enquêteurs organisent des recherches autour d'une ferme qui a pris feu en avril 2021 sans que l'on sache pourquoi. Ces fouilles ne permettent cependant pas de retrouver le corps de Delphine.

Au procès qui s'ouvre ce lundi, une ex-compagne du mis en cause (avec qui il a eu une relation après la disparition de Delphine Jubillar) doit elle aussi être entendue. Elle dit avoir recueilli des propos troublants de la part de Cédric Jubillar lors d'un échange au parloir.

Selon elle, l'homme aurait indiqué le lieu où il aurait enterré le corps de son épouse, à savoir "sur une exploitation agricole (...) pas très loin d'un chantier sur lequel il avait travaillé".

"Il m'a fait comprendre qu'il avait eu le temps de préparer le lieu où il l'a enterrée et qu'il s'était servi pour cela d'une pioche. Pas le soir même mais bien avant", a-t-elle expliqué dans les colonnes du Parisien, le 10 juillet dernier.

"Le fait qu'il ait tué sa femme, ça devenait banal dans les discussions qu'il avait avec moi", a-t-elle récemment confié à BFMTV.

Cédric Jubillar, en détention, aurait remimé la scène sur elle, lors d'une discussion au parloir. "Il se met derrière moi, en fait, il met son avant-bras sur mon front et il me colle contre lui, son autre bras, en clé de coude", raconte la jeune femme à BFMTV.

Au procès, l'espoir d'un "moment de vérité"

Depuis la disparition de son épouse, face aux enquêteurs, Cédric Jubillar ne cesse de nier son implication. Malgré les déclarations du codétenu et de l'ex-compagne du suspect, le corps de la disparue n'a lui jamais été retrouvé.

En mai dernier, Me Pauline Rongier, avocate de la meilleure amie de Delphine Jubillar a révélé l'existence d'un rapport d'expertise montrant que le téléphone de l'accusé a borné à 17 reprises dans une zone boisée non fouillée, le mois précédant la disparition de l'infirmière.

Selon l'avocate, qui a écrit à la présidente de la cour d'assises du Tarn pour lui demander de mener de nouvelles recherches dans ce lieu, cet élément pourrait indiquer que l'homme s'est rendu dans le secteur pour, plus tard, y enterrer le corps de son épouse. Requête rejetée par la justice quelques jours plus tard.

Or, en l'absence de corps, ces derniers ne disposent que d'un faisceau d'indices pour confirmer leurs soupçons, à l'image du témoignage de deux voisines qui ont indiqué avoir entendu des cris de femme le soir des faits, de la voiture de Delphine garée dans le sens inverse à ses habitudes, ou encore des quelques traces de sang retrouvées sur un plaid et sur une housse de couette.

"Dans ce dossier, les juges d’instruction ont réalisé un travail conséquent permettant de réunir une accumulation d’indices concordants", pointe Me Mourad Battikh, avocat d'un oncle, d'une tante et des cousins et cousines de la disparue.

En effet, l'absence de preuves accablantes et d'aveux officiels n'a pas empêché son renvoi devant une cour d'assises. Lors de son procès, prévu pour durer quatre semaines, les parties civiles espèrent a minima un "moment de vérité" de la part de Cédric Jubillar, selon l'avocat.

Le mis en cause, lui "aborde ce procès avec une certaine ambivalence", indique à BFMTV l'une de ses avocats Me Emmanuelle Franck. "D'un côté, conscient des enjeux, il appréhende, à la fois le procès, son déroulement et le verdict. Et en même temps, il lui tarde que cette échéance arrive. Il a depuis le début cette conviction chevillée au corps: dans la mesure où il n'a rien fait, à un moment donné, la justice va s'en rendre compte."

Elisa Fernandez et Théophile Magoria