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Police-Justice

"Vous ne pouvez pas le condamner": au procès de Cédric Jubillar, ses avocats mettent leurs dernières forces dans sa défense

Alexandre Martin, à gauche et Emmanuelle Franck, à droite, les avocats de Cédric Jubillar, le 10 octobre 2025, à la cour d'assises du Tarn, à Albi

Alexandre Martin, à gauche et Emmanuelle Franck, à droite, les avocats de Cédric Jubillar, le 10 octobre 2025, à la cour d'assises du Tarn, à Albi - Lionel BONAVENTURE © 2019 AFP

La parole était à la défense en cet avant-dernier jour de procès. Mes Emmanuelle Franck et Alexandre Martin ont plaidé tour à tour, pointant les failles de l'enquête et l'absence de preuves accablantes à l'encontre de leur client, jugé depuis le 22 septembre à Albi (Tarn) pour le meurtre de son épouse, Delphine Jubillar.

Quatre ans et demi qu’ils défendent leur client, sont ses seuls interlocuteurs quand sa mère et ses enfants n’ont plus de contacts avec lui. En cette avant-dernière journée au procès de Cédric Jubillar, jugé au tribunal d’Albi pour le meurtre de son épouse en 2020, ses avocats ont livré leurs dernières forces dans sa défense.

Sans surprise, c’est l’acquittement que les conseils de l’accusé, derniers à plaider comme le veut la procédure, ont demandé aux jurés ce jeudi 16 octobre. Après avoir rappelé à ces derniers qu’ils doivent se prononcer d’après leurs certitudes – dans un dossier sans corps, ni scène de crime, ni aveux -, Me Alexandre Martin a clôturé sa plaidoirie en engageant leur responsabilité.

"Vous ne pouvez pas condamner Cédric Jubillar. Au contraire votre devoir vous dicte de l’acquitter", a-t-il conclu.
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"Personne n'a envie de le croire"

C'est Me Emmanuelle Franck qui s’élance la première à la barre, concentrée. "Quand j’y pense, mon cœur bat plus fort", démarre-t-elle. Ceux auxquels l’avocate "pense", ce sont les frères et la sœur de Delphine, "silencieux et dignes" depuis le début. A Louis et Elyah, aussi, les deux enfants que son client a eus avec Delphine Aussaguel, et auxquels elle ne souhaite pas que l’on présente "comme une vérité que maman n’est plus là à cause de papa", à l’issue du procès.

"Nous sommes les dernières voix d’un homme écrasé depuis plus de quatre ans et qui ne sait plus comment dire qu’il est innocent. Il pourra bien le dire comme il veut, personne n’a envie de le croire", poursuit-elle, évoquant encore un accusé pris dans une "machine à broyer", un "cirque judiciaire".

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Pourtant, selon elle, les preuves à l’encontre de l’accusé sont maigres. En plaidant, ce jeudi, elle répond point par point aux éléments qui composent le faisceau d’indices visant Cédric Jubillar, pour mieux dénoncer les manquements de l’enquête.

La défense dénonce des incohérences

A commencer par la griffure, constatée sur le bras de son client au lendemain de la disparition de Delphine, et dont l’accusation dit qu’elle aurait pu survenir lors du meurtre de l‘infirmière. "Quelle escroquerie, cette griffure sur le bras", commente Me Emmanuelle Franck en rappelant qu’elle n’a jamais été prise en photo par les gendarmes.

Les cris d’une femme, entendus par les deux voisines la nuit des faits? Les témoins les ont situés vers 22h50. Or, à cette heure-ci, le fils des Jubillar, Louis, se trouvait encore sur le canapé, dans le salon, avec sa mère. Il aurait donc assisté à la dispute entre ses parents si elle avait eu lieu, pointe l’avocate.

Quant à la voiture de Delphine, retrouvée garée dans le sens de la descente au matin de la disparition, contrairement aux habitudes de l'infirmière, c’est "logique", estime la défense: Delphine revenait de l’école où elle était allée récupérer son fils. Elle arrivait donc par le haut de la rue, d’où ce stationnement.

"On essaye de prendre des pièces du puzzle et on force, on force quand ça ne rentre pas. Le problème, c’est que ça ne colle pas", commente Me Franck.

Larmes dans la voix

Ce que l’avocate, tout comme son confrère quelques heures plus tard, reproche particulièrement aux enquêteurs, c’est d’avoir d’après elle centré leurs investigations autour de Cédric Jubillar, dès le départ. "Le biais intellectuel, c’est de partir du principe que c’est lui", explique l’avocate, pour qui de nombreuses autres pistes n’ont pas été suffisamment approfondies.

Elle évoque à ce sujet un chiffre "glaçant": au total, à cette époque, 288 personnes inscrites au Fijais (le fichier qui recense les auteurs d’infractions sexuelles) se trouvaient dans les environs de Cagnac-les-Mines fin 2020. Parmi elles, seules 66 ont été interrogées durant l’enquête.

C’est finalement très émue que Me Emmanuelle Franck conclut sa plaidoirie presque quatre heure après l'avoir commencée, des larmes, sans doute d’épuisement, dans la voix. "Je me serais battue, à chaque instant, chaque minute, pendant quatre ans et demi et quatre semaines d’audience. (…) Je vais me taire parce que c’est seuls, dans le silence et le recueillement, que vous pourrez mettre fin à ce cauchemar", adresse-t-elle finalement aux jurés.

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"Erreur judiciaire"

Au cours d’une plaidoirie à peine moins longue, l’après-midi, son confrère Me Alexandre Martin confie avoir autant "attendu" que "redouté" ce moment, certain pourtant de devoir "combattre jusqu’à sa dernière phrase". "Ce procès est en lui-même vicié. C’est dérouler un tapis rouge à l’erreur judiciaire que d’accepter même qu’il se tienne", entame-t-il.

Il l’annonce d’emblée, s’il se tient à la barre, c’est pour parler de "Cédric" aux jurés, "de ce que vit depuis le 16 décembre 2020" cet homme qu’on "épie", qu’on "scrute" et qu’on "accuse" dès le départ, aujourd’hui "présenté comme un coupable, dans sa cage en verre".

"Quatre ans et demi d’isolement, seul dans une cellule de 9m2, il ne parle qu’aux murs, ou aux fantômes sans visages des cellules d’à côté. Quatre ans et demi qu’il a pour plaisir, une heure par jour, de regarder le ciel grillagé. Quatre ans et demi qu’il n’a pas vu un carré d’herbe. Quatre ans et demi qu’il n’a pas senti l’odeur de la campagne qu’il aimait tant. Vous voulez qu’on sorte indemne d’un tel traitement?", interroge l’avocat.

"L'exigence" plutôt que la "compassion"

Me Alexandre Martin déploie enfin le portrait d’un homme "seul", dont le père ne s’est jamais occupé, placé en famille d’accueil puis en foyer. Plus tard, Cédric Jubillar est battu par le nouveau compagnon de sa mère. "Maltraité" mais "résilient", personne n’a jamais vu Cédric Jubillar céder violemment à la colère, affirme son avocat. Mais, estime-t-il, selon l’accusation, "il faudrait imaginer que Cédric Jubillar va exploser, commettre un crime passionnel".

"Il faudrait imaginer un autre personnage? Pourquoi?", demande-t-il à la cour.

Dans son box, celui dont on parle est fidèle à lui-même. Il écoute ce que déroule son avocat, sans pour autant réprimer quelques bâillements. Alors que pendant quatre semaines d’audience, nul ne l’a vu céder, son avocat indique: "Il a dû beaucoup pleurer, Cédric. Peu de gens l’ont vu. Il a droit à sa pudeur."

Quant aux jurés, qui auront le dernier mot le lendemain, Me Martin les implore d’être "exigeants" et de ne pas laisser la "compassion" guider leur décision, même si "nul n’est insensible à la douleur de la famille Aussaguel". Le jury, composé de quatre hommes, deux femmes et trois magistrats se prononceront vendredi, mettant un terme à quatre semaines d’un procès hors-normes.

Elisa Fernandez