Après trois semaines de procès, Cédric Jubillar poussé dans ses retranchements mais toujours inflexible

Les avocats de Cédric Jubillar, Alexandre Martin (g) et Emmanuelle Franck, au procès de leur client pour le meurtre de son épouse, le 6 octobre 2025 à la cour d'assises du Tarn, à Albi - Lionel BONAVENTURE
Nul doute que cette troisième semaine au procès de Cédric Jubillar à Albi (Tarn), qui s'est achevée ce vendredi 10 octobre, a été intense. Riche en témoignages, traversée par une galerie de personnages au profil varié, elle laisse pourtant un arrière-goût de statu quo. Jugé depuis maintenant treize jours pour le meurtre de son épouse, Delphine, l'accusé persiste à nier et l'on ne sait toujours pas avec certitude ce qu'il est advenu de l'infirmière, volatilisée une nuit de décembre 2020 à Cagnac-les-Mines.
Dès lundi 6 octobre, pourtant, l'espoir d'un rebondissement était permis. À l'issue du témoignage de l'amant de Delphine Jubillar, venu raconter leur idylle naissante et livrer sa conviction sur la culpabilité de l'accusé, la défense fait une révélation fracassante.
"Est-ce que vous vous êtes rendus à Cagnac-les-Mines le 15 décembre?", demande Me Emmanuelle Franck au quadragénaire en chemise bleue, lunettes posées sur le nez. "Je ne me suis jamais rendu à Cagnac-les-Mines", affirme Donat-Jean Macquet.
À ces mots, l'avocate de Cédric Jubillar indique alors que le téléphone portable de cet homme a activé un relais téléphonique non loin du domicile des Jubillar, la nuit de la disparition. Pourtant, ce dernier vit à Montauban, soit à 80 kilomètres de Cagnac-les-Mines. Au total, pendant l'enquête, 215 lignes téléphoniques vont faire l'objet d'une étude approfondie. Seule celle de l'amant manque à l'appel.
Étonné, Donat-Jean Macquet n'a pas d'explication: il se trouvait bien chez lui, à Montauban, le soir des faits. Il doit donc s'agir d'un bug informatique, estime-t-il.
Un "bug", c'en était effectivement un. Un poil penaud, l'enquêteur chargé de la téléphonie lors des investigations vient s'en expliquer le lendemain: "Son numéro figure bien sur les factures, mais en tant que correspondant de Delphine Jubillar. J’ai fait une erreur de copier-coller et il s’est retrouvé dans la liste. Mais il n’était pas sur le lieu de commission du crime. C’est une erreur de ma part."
"J’hésite entre le fait d’être atterrée par cette réponse et le fait de savoir si c’est crédible", commente Me Emmanuelle Franck.
"C'est pas le Cédric que je connais"
Après cet épisode, deux membres de la famille d'accueil ayant recueilli Cédric Jubillar pendant son enfance sont venus livrer leur souvenir d'un enfant "très souriant, affectueux". "Nous étions très attachés à lui, il était très attaché à nous", se souvient Catherine M., qui ajoute que "Cédric était une belle personne".
"J'arrive pas à imaginer qu’il ait pu changer de personnalité, programmer, planifier des choses, être méchant. C’est pas le Cédric que je connais. (...) À aucun moment on n'a imaginé qu'il avait fait une bêtise", assure-t-elle.
Quant au dernier témoin cité par la défense jeudi, il n'a fait qu'agacer l'accusation et la cour. Cet élu proche du parti d'Eric Zemmour, ex-policier, ex-surveillant pénitentiaire et qui a fait la connaissance de l'accusé via un jeu Game of Thrones en ligne, plaide la présomption d'innocence, s'indignant de l'absence de preuves dans le dossier. "Si j’ai voulu m’investir dans cette affaire, c’était pour que la justice puisse rayonner et soit digne de ce qu’elle doit être."
Sa déposition suscite à l'évidence de nombreuses réactions. La raison pourrait en être résumée ainsi: c'est la première fois ce jeudi, dans l'enceinte du tribunal, que Cyril H. rencontre physiquement Cédric Jubillar. Jusqu'ici, les deux "amis virtuels" ne s'étaient parlés que sur les réseaux sociaux.
"Je vous rassure, monsieur, on n'a pas besoin de vous", tranche Nicolas Ruff, l'un des avocats généraux.
"On va pas se mentir, pour nous, c'est lui"
Toute la semaine, c'est "un pas en avant, un pas en arrière" pour la défense comme pour l'accusation. Entre les partisans de l'accusé et ceux qui l'accablent, un témoignage en balaie un autre. Mercredi, par exemple, cinq anciens codétenus de l'accusé sont invités à s'exprimer. Trois d'entre eux, en visio, ne comprennent visiblement pas ce qu'ils font là et nient avoir entendu un quelconque aveu de Cédric Jubillar en détention, si ce n'est sur le ton de l'humour. "De la façon dont il parle, je le trouvais pas assez intelligent pour faire ce genre de choses", lâche l'un d'entre eux.
Les deux derniers se présentent à la barre, libres aujourd'hui. Et ils ont un autre discours. "On va pas se mentir, pour nous, c’est lui. Il a dit à la fenêtre: 'j’ai fait le crime parfait'. Quarante détenus l’ont entendu, si vous voulez savoir!", affirme l'un d'eux. Le second, "Marco", va plus loin: Cédric Jubillar lui aurait dit avoir enterré le corps de Delphine "près d'une ferme qui a brûlé". "Il a dit 'j’ai pété les plombs, je m’en suis débarrassé, j’ai vrillé'. C’est sorti cash", soutient-il encore à la barre.
Pourtant, un autre codétenu prévient: "Marco" est "fou, un mythomane". Dès lors, plus personne ne sait auquel accorder plus de crédit qu'aux autres.
De la même façon, deux femmes avec lesquelles Cédric Jubillar a eu des relations après la disparition de son épouse, entendues jeudi, ne s'accordent pas sur la culpabilité de l'accusé. Même si elle a pu avoir des doutes, "aujourd'hui", Sévrine L. "ne pense pas que ce soit lui", le meurtrier de Delphine. Autre son de cloche chez Jennifer C.: "Il me dit que si jamais je le trompe, je vais finir à côté de Delphine", raconte-t-elle en ajoutant avoir recueilli les aveux de son ex-compagnon lors de plusieurs parloirs à la prison de Seysses.
Un accusé imperturbable
Les conclusions du psychologue qui a expertisé Cédric Jubillar au cours de cinq séances ne révèlent, elles non plus, pas grand-chose de plus. Elles confirment cependant que le peintre-plaquiste est toujours dans le contrôle de ses propos. "Il est suffisamment intelligent pour savoir que s’il dit quelque chose au psychologue, ce dernier doit le rapporter à la juge", détaille l'expert, longuement interrogé par les parties civiles à la barre, vendredi.
Il décrit Cédric Jubillar comme un "joueur": "Quand il est joueur, il contrôle. Quand il se confie, il ne contrôle plus."
Justement, lors de cette troisième semaine de procès comme lors des précédentes, Cédric Jubillar ne se confie jamais. Il répond laconiquement, toujours sur le même ton, bardé de tics de langage. Vendredi après-midi, lors de son interrogatoire, il prononce près de 13O fois l'expression "tout à fait", a-t-on compté sur les bancs réservés à la presse.
Imperturbable, même lorsque les avocats des parties civiles tentent le tout pour le tout, le poussant dans ses retranchements au cours de son interrogatoire, Cédric Jubillar ne ploie pas. "Je ne l'ai pas tuée, c'est une certitude", insiste-t-il.
"Tu vas pas faire comme ton père!"
Le témoignage qui aura sans doute le plus marqué les débats cette semaine est celui de Nadine F., la mère de Cédric Jubillar. Ce mercredi, elle le précise d'emblée, elle ne vient pas "en tant que mère, mais en tant que grand-mère". Fidèle à elle-même depuis le début du procès, elle s'est avancée à la barre, en bleu jusqu'au bout des ongles, cheveux blonds courts et lunettes sur le nez.
Tantôt dans un souffle, tantôt d'une voix plus affirmée, elle raconte les liens complexes entre elle et son fils, placé en famille d'accueil à deux reprises au cours de son enfance. Peu à peu, au cours de sa déposition, le portrait qui se dessine est celui d'une mère ambivalente, dévouée à son fils, proche de ses petits-enfants, émue lorsqu’elle parle d’eux. Et pourtant capable de conseiller à Cédric, début 2021, de "monnayer" ses photos dans la presse, donc se faire de l’argent sur la disparition de son épouse.
Capable aussi, un jour qu’elle a la garde d’Elyah, sa petite-fille, d’avoir cette réflexion troublante en la voyant taper quelqu’un au visage à l’aide d’un coussin: "Tu vas pas faire comme ton père!" De l’humour "très mal placé", "dans l'euphorie et la bêtise", s'excuse-t-elle aujourd'hui.
Ultime interrogatoire lundi
Plutôt prolixe, Nadine F. admettra un manque de répondant face aux menaces que son fils a proférées, début décembre 2020, à l’encontre de son épouse. Environ trois semaines avant la disparition de Delphine Jubillar, Cédric la rejoint sur le parking de son lieu de travail. "J’en ai marre, elle m’énerve, je vais la tuer, je vais l’enterrer, personne ne va la retrouver", lui dit-il alors, selon son récit.
"Je n’ai pas compris la portée de ses mots au départ. J’ai mis ça sur le compte de la colère", raconte-t-elle en pleurant. "Aujourd’hui je regrette de ne pas avoir donné plus de sens à cette phrase." Dans le prétoire, le public s'agite. Cédric Jubillar, comme à son habitude, reste stoïque dans son box. Plus tard, il reconnaîtra les menaces, mais les évoquera comme des paroles en l'air, prononcées "par habitude".
Les a-t-il finalement mises à exécution, dans la nuit du 15 au 16 décembre 2020? Si cette semaine d'audience n'a pas permis de trancher cette question, peut-être en sera-t-il autrement lundi 13 octobre. Dans l'après-midi, Cédric Jubillar sera cette fois interrogé sur sa version des faits la nuit de la disparition de Delphine.