INFO BFM BUSINESS. Le syndicat des sapeurs-pompiers volontaires a porté plainte contre Sébastien Lecornu pour "excès de pouvoir" sur la réforme des retraites

Manifestation de sapeur pompiers SDIS pour réclamer plus de moyens, une prime pour les Jeux olympique, une augmentation de leur prime de feu et leur qualité de vie au travail, à Paris, le 16 mai 2024. - Photo par REMI BREMOND / HANS LUCAS / HANS LUCAS VIA AFP
Le dernier geste de Sébastien Lecornu a échaudé les pompiers. Selon nos informations, le syndicat des sapeurs-pompiers volontaires de France (SSPVF) a porté plainte, ce vendredi 10 octobre dans l'après-midi, contre le Premier ministre démissionnaire pour "excès de pouvoir". Alors que Matignon a annoncé la mise en oeuvre, dès 2026, d'une bonification de trimestres pour la retraite, il reproche à Sébastien Lecornu de ne pas respecter la loi du 14 avril 2023.
"Une loi a été votée et doit être respectée et appliquée. Le Premier ministre n'est pas libre de la modifier comme bon lui semble", s'insurge son secrétaire général Bruno Ménard auprès de BFM Business.
Ce vendredi matin, le cabinet de Sébastien Lecornu a annoncé, par communiqué, que dès l'année prochaine, les sapeurs-pompiers volontaires bénéficieront d'un trimestre offert dès lors qu'ils auront cumulé 15 années de service, puis un trimestre supplémentaire tous les cinq ans, dans la limite de trois trimestres offerts au total.
Un décret d'application en attente
Or, la loi du 14 avril 2023, qui correspond à la très décriée réforme des retraites, prévoit, à l'article 24, que les sapeurs-pompiers volontaires bénéficient d'une attribution de plusieurs trimestres pour leur retraite dès 10 années de service. "Les assurés ayant accompli au moins 10 années de service, continues ou non, en qualité de sapeur-pompier volontaire ont droit à des trimestres supplémentaires pris en compte pour la détermination du taux de calcul de la pension et la durée d'assurance dans le régime, dans des conditions et des limites prévues par décret en Conseil d'État".
Mais le décret en Conseil d'État, nécessaire pour appliquer ce qui est prévu à l'article 24 de la loi du 14 avril 2023, n'est jamais paru au Journal officiel. En plus de la plainte, le syndicat des sapeurs-pompiers volontaires a également procédé à un recours en carence auprès du Premier ministre ce vendredi, pour dénoncer l'inapplication de la bonification de trimestres pour la retraite des sapeurs-pompiers volontaires, alors que la réforme des retraites est mise en oeuvre depuis le 1er septembre 2023.
"L’absence prolongée de décret d’application prive donc les intéressés d’un avantage social légalement reconnu et porte ainsi atteinte au principe d’effet utile de la loi, et peut être regardée comme une rupture d’égalité devant les charges publiques", peut-on lire dans ce document signé par Bruno Ménard et daté de ce vendredi 10 octobre 2025.
Qui plus est, le fameux décret en question aurait dû paraître au JO depuis décembre 2023, si l'on se fie au calendrier prévisionnel en ligne sur le site de l'Assemblée nationale. Plusieurs parlementaires ont d'ailleurs interpellé le gouvernement ces derniers mois. Dans une question écrite publiée le 12 août dernier sur le site de l'Assemblée nationale, le député Horizons du Nord Jean Moullière rappelle qu'"en mai 2025, le ministre auprès du ministre de l'intérieur, François-Noël Buffet s'était engagé devant la représentation nationale à une publication du décret d'ici la fin du mois de juin".
"Or en août 2025, le texte n'a toujours pas été publié. Il lui demande donc de faire respecter la parole de l'État et le vote des parlementaires en publiant ce décret sans délai", pressait-il.
Contacté par BFM Business, le cabinet du Premier ministre justifie la condition d'avoir servi au moins 15 ans en tant que sapeur-pompier volontaire par la mention "au moins" qui précède "10 années de service" dans l'article 24 de la loi du 14 avril 2023. "En moyenne, la durée de service des spaeurs-pompiers volontaires est de 12 ans et demi", ajoute l'entourage de Sébastien Lecornu.
S'agissant de la plainte, Matignon considère qu'elle est impossible en l'état puisque le projet de décret n'est pas encore passé à l'examen du Conseil d'État.
"Cela se fera pour une publication au Journal officiel avant la fin de l'année", indique-t-on.
L'entourage de Sébastien Lecornu estime aussi qu'il n'est juridiquement pas possible de s'attaquer directement à lui, au regard de ses fonctions.
BFM Business s'est néanmoins procuré, plus tard cet après-midi, le procès-verbal du dépôt de plainte effectué par Bruno Ménard, auprès de la police nationale de Cholet (Maine-et-Loire). Et celle-ci vise bien le Premier ministre démissionnaire en personne.
"En qualité de secrétaire général du Syndicat des Sapeurs Pompiers Volontaires de France que je représente, je dépose plainte à l'encontre de Monsieur Sébastien Lecornu, Premier Ministre Démissionnaire pour des faits d'abus d'autorité", peut-on lire.
Un recours administratif en préparation
Et ce n'est pas tout. Le syndicat des sapeurs-pompiers volontaires de France prépare aussi, accompagné d'un "pool" de quatre avocats, un recours administratif au civil pour annuler le décret. Mais pour que cette procédure soit effective, il faut que le texte soit bien paru au Journal officiel, ce qui ne devrait pas se produire avant la fin de l'année.
"La plainte déposée par M. Ménard est une plainte contre X même si elle vise effectivement Monsieur Lecornu. En déposant plainte, le président du syndicat de sapeurs-pompiers volontaires agit habilement pour éteindre l'incendie et que le gouvernement recule", commente auprès de BFM Business Me Bertrand Salquain, avocat au barreau de Nantes.
S'agissant de l'immunité supposée de Sébastien Lecornu, celle-ci serait "discutable" selon l'avocat.
"Ce que veut dire Matignon, c'est que M. Lecornu serait protégé de la même manière que le président de la République dispose d’une immunité. Je me doute bien que cette plainte les met en difficulté. Est-ce qu’un Premier ministre par intérim est couvert par l’immunité alors qu’il n'est là que depuis quelques jours ? On est gouverné par des administrations avec des ministres qui sont de passage et signent n’importe quoi", cingle-t-il.