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"Est-on vraiment si pressé?": pourquoi Sébastien Lecornu pulvérise le délai de nomination d'un gouvernement

Sébastien Lecornu à la sortie de l'Elysée, le 19 février 2025 à Paris

Sébastien Lecornu à la sortie de l'Elysée, le 19 février 2025 à Paris - Ludovic MARIN

Treize jours après sa nomination comme Premier ministre, Sébastien Lecornu joue la carte de la lenteur pour nommer son équipe ministérielle. Si le socle commun se présente relativement patient, le calendrier du budget va bientôt obliger l'ancien ministre des Armées à sortir de l'ambiguïté.

Un record battu en toute discrétion. Presque deux semaines après sa nomination à Matignon, Sébastien Lecornu n'a toujours pas nommé de gouvernement. Seul Michel Barnier avait fait pire avec 9 jours, battant déjà à l'époque le record détenu par Georges Pompidou avec 8 jours en 1962.

Dans cette situation pour le moins inhabituelle, les ministres pourtant officiellement démissionnaires et seulement chargés des affaires courantes, semblent pourtant pleinement en fonction. En tout cas pour certains d'entre eux.

Le ministre des affaires étrangères Jean-Noël Barrot accompagne ainsi ce lundi Emmanuel Macron à New York pour reconnaître la Palestine devant les Nations-Unies. Quant à son collègue de l'Intérieur, Bruno Retailleau, il n'a pas hésité à demander aux préfets de saisir la justice administrative pour les mairies pavoisant leur fronton du drapeau palestinien.

Zéro inquiétude

Le Premier ministre, lui, continue ses consultations: Force ouvrière ce lundi 22 septembre, l'intersyndicale mercredi, et probablement dans les prochains jours les socialistes qui ont promis de revenir en sortant de Matignon en fin de semaine.

Sur le papier, Sébastien Lecornu a de bonnes raisons de ne toujours pas avoir dévoilé son gouvernement. Le successeur de François Bayrou continue de chercher une voie de passage, notamment avec les députés PS pour espérer nouer un accord de non-censure ou au moins obtenir leur bienveillance sur le budget et éviter de chuter dès l'automne. Le but: être parvenu à les faire toper avant de finaliser le casting ministériel.

"Les feux rouges continuent de fonctionner, on a de l'électricité. Et les administrations font toujours leur travail", banalise le député Renaissance Stéphane Travert, ex-ministre de l'Agriculture lors du premier quinquennat d'Emmanuel Macron auprès de BFMTV.

"Ne pas abattre ses cartes trop vite"

La situation semble d'autant plus sous contrôle que Sébastien Lecornu a un espoir. Avec un peu de patience, l'ancien ministre des Armées se dit qu'il peut parvenir à arrimer les socialistes en séduisant la CFDT. Son espoir est que le syndicat, proche de certains cadres du PS, accepte de retirer de la table des négociations la suspension de la réforme des retraites, réclamée depuis des mois par le parti à la rose.

Par effet de ricochet, les socialistes pourraient accepter de ne pas le censurer dans les prochains mois. Mais le calcul a des allures de chimère: les socialistes ont déjà annoncé leur intention de le renverser "pour l'instant".

"Je crois qu'il y a probablement l'idée de ne pas abattre ses cartes trop vite, y compris en matière de casting ministériel. Tant que rien ne filtre, on ne sait pas ce qu'il veut et c'est compliqué pour ses opposants ", observe un député macroniste.

Un calendrier sous pression

Les profils du futur gouvernement donneront en effet un indice de la tonalité que Sébastien Lecornu veut donner à son passage à Matignon. "Ruptures" sur "le fond" et "la forme" avec François Bayrou comme promis lors de la passation de pouvoir ou une tonalité très proche de ces 8 ans dernières années, plutôt logique pour ce très proche d'Emmanuel Macron? Pour l'instant, les figures du précédent gouvernement se voient toutes bien restées, de Gérald Darmanin à Bruno Retailleau en passant par Rachida Dati.

Et pourtant, l'horloge tourne. Le budget doit être présenté au plus tard le 7 octobre devant le Parlement. Sur le papier, il est impossible que des ministres démissionnaires défendent un projet de loi de finances de l'État et de la sécurité sociale devant le Parlement.

Et pour cause: les députés et les sénateurs ne sont pas censés légiférer sans gouvernement de plein exercice comme le rappelle une note du secrétariat général du gouvernment de juillet 2024.

"J'entends bien qu'on prend le temps des négociations mais il va falloir trancher. On ne doit pas s'habituer comme les Espagnols à ne pas avoir de gouvernement pendant des mois et on a une Constitution qui le rappelle", s'agace un député LR, ex-ministre de Michel Barnier.

Des éventualités "baroques"

Sébastien Lecornu devrait donc avoir nommé son équipe ministérielle d'ici le 7 octobre. À moins que... "La question de la possibilité juridique d’une activité législative" avec un gouvernement démissionnaire est "inédite et d’une résolution délicate", souligne ainsi le secrétariat général du gouvernement dans sa note.

Comprendre: cela n'est pas encore jamais arrivé mais ce n'est pas impossible. Sébastien Lecornu pourrait donc choisir de présenter seul le projet de loi de finances de l'État et de la sécurité sociale ce jour-là avant de nommer dans la foulée un gouvernement et donc le ministre de l'Économie des Finances et son collègue au Budget. À charge ensuite pour eux de mener les discussions avec les députés.

"Ce serait très baroque comme façon de faire, même dans la situation très particulière que nous connaissons", tranche un député du socle commun, routier du Parlement. "Mais est-on vraiment si pressé? L'an dernier, on avait fini sans budget et la France n'a pas foncé dans le mur".

"Les habitudes de la IV République"

Un autre problème se pose également pour Sébastien Lecornu: la Constitution impose qu'avant le 7 octobre et la présentation du budget au Parlement, le Premier ministre ne le transmette au Conseil d'État et le présente en Conseil des ministres.

Là encore, les ministres ne sont pas sensés se réunir pour cette réunion à l'Élysée quand ils sont démissionnaires comme le précise la note du secrétariat général du gouvernement. Cela est déjà arrivé mais pour "des ordres du jour particulièrement léger", peut-on encore y lire.

Option beaucoup plus probable dans les prochains jours pour sortir de l'ornière: nommer d'abord des ministres de plein exercice et ensuite seulement nommer des ministres délégués ou des secrétaires d'État.

"Ça permet de faire un Conseil des ministres et de présenter un discours de politique générale qu'il ne va pas quand faire même sans équipe puis d'affiner le casting", envisage l'un des proches de Sébastien Lecornu.

Oui mais quand? "On est en train de prendre les habitudes de la IVe République", s'esclaffe de son côté un familier de Matignon.

Sébastien Lecornu a-t-il cédé face à l’ultimatum de l’intersyndicale?
Sébastien Lecornu a-t-il cédé face à l’ultimatum de l’intersyndicale?
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À l'époque, les Français pouvaient attendre entre deux et quatre semaines que les partis s'accordent avant que le Premier ministre ne nomme un gouvernement. Henri Queille avait, lui, même pris trois semaines en 1948. Sa lenteur ne l'avait pourtant pas prému des désagréments. Un mois plus tard, il fut contraint de démissionner. Tout comme Sébastien Lecornu dès le mois d'octobre?

Marie-Pierre Bourgeois