Que change la reconnaissance de la Palestine par la France?

Des personnes brandissant le drapeau palestinien à Barcelone, en Espagne, le 13 juin 2024. - LORENA SOPENA / ANADOLU / Anadolu via AFP
Quelque 140 chefs d'État et de gouvernement sont attendus ce lundi 22 septembre à New York pour la 80e grande messe annuelle de l'ONU. L'avenir des Palestiniens et de Gaza sera au centre de l'attention. Près de deux ans après le début de l'offensive israélienne, plusieurs pays ont prévu de reconnaître formellement l'État palestinien, la France en tête. Et ce, en dépit de l'opposition israélienne. Emmanuel Macron coprésidera avec l'Arabie saoudite un sommet qui se penchera sur l'avenir de la solution à deux États, israélien et palestinien.
Jean-Paul Chagnollaud, président d'honneur de l'Institut de Recherche et d'Études Méditerranée Moyen-Orient (IREMMO), nous explique la portée d'une telle reconnaissance, les suites prévues et les obstacles.
La reconnaissance de la Palestine par la France est-elle une décision historique selon vous?
"Par rapport à l'histoire du conflit israélo-palestinien, il y a quelque chose d'historique. Après la première intifada en 1987, les États du monde entier ont peu à peu reconnu l'État de Palestine, sauf l'Occident, à quelques exceptions près. Donc le fait que des États majeurs de l'Occident décident de reconnaître l'état de Palestine, ensemble, au même moment, c'est effectivement un tournant majeur.
L'Occident reconnaît enfin le droit à l'autodétermination du peuple palestinien. Vous avez des pays, comme le Canada ou la Grande-Bretagne, très proches d'Israël et collés à la position américaine, qui étaient il y a six mois encore vraiment très loin de l'idée de reconnaître la Palestine.
La France, elle, revient dans la continuité de sa politique. À partir du 7 octobre 2024, Emmanuel Macron a totalement dévié de la position traditionnelle française, il a adopté une position pro-israélienne presque émotionnelle. Puis progressivement, il est revenu à la position de la France qui est la défense du droit international. La France a toujours estimé qu'il fallait assurer la sécurité d'Israël en toutes circonstances tout en reconnaissant les droits nationaux des Palestiniens. Dès 1982, François Mitterrand a dit qu'au "moment venu" il faudrait la création d'un État palestinien. Avec cette reconnaissance, on retrouve nos fondamentaux, en allant encore plus loin. C'est un pas très important et nouveau."
Concrètement, qu'est-ce que ça change de reconnaître l'État de Palestine?
"Ça ouvre une perspective, soutenue par presque l'ensemble du monde, ça trace un chemin politique qui redonne toute sa place au droit international, complétement bafoué. Plus concrètement, cela signifie qu'il va y avoir des ambassades palestiniennes qui vont être créées dans les différents pays, dont en France.
Ça renforce également la place de la Palestine aux Nations unies, déjà reconnue depuis 2012 comme état non-membre. En revanche, la Palestine ne pourra pas devenir un état membre de l'ONU à part entière car l'admission d'un État passe par le Conseil de sécurité et les États-Unis, soutien d'Israël, poseront leur veto.
Donc dans l'immédiat, malheureusement, ça ne risque pas de changer la situation sur le terrain. Aujourd'hui, la guerre risque de continuer. Le chemin dont je parle risque d'être bloqué pour un temps indéterminé par Israël mais aussi par les États-Unis. Le rôle des Américains aujourd'hui avec Donald Trump est catastrophique."
Qu'est-ce qui est prévu pour la suite?
"Il y a tout un processus que la France a pensé en collaboration avec l'Arabie Saoudite et avec d'autres États. Il n'est pas complètement finalisé mais l'idée centrale est de lancer un processus politique de négociation, si toutefois les Israéliens l'acceptaient, pour créer un État de Palestine à côté d'un État d'Israël dans les deux ans qui viennent.
De nouvelles élections libres et transparentes, auxquelles le Hamas ne pourrait pas participer, devraient être organisées d'ici 18 mois dans la bande de Gaza afin qu'il y ait un acteur palestinien légitime pour ces négociations. La France insiste beaucoup sur le fait qu'il faut mettre le Hamas hors-jeu, qu'il faut désarmer le Hamas et faire en sorte qu'ils n'aient plus la moindre possibilité de participer à l'avenir à une gouvernance palestinienne. L'instance provisoire, élue démocratiquement, gouvernerait Gaza, bénéficierait d'un soutien international et aurait les moyens d'assurer la sécurité.
Il y a en discussion l'idée d'une force internationale qui pourrait assurer, pendant une période de transition et après le retrait de l'armée israélienne, la sécurité à Gaza. Pour l'instant, ce n'est pas très clair, les Français négocient avec les uns et les autres.
Puis, c'est très important, le plan prévoit également qu'Israël soit intégré pleinement à la région via une normalisation des relations avec l'ensemble du monde arabe. Ça mettrait un terme à ces décennies rythmées par les guerres et la violence. Mais avant toute chose, il faudrait qu'il y ait un cessez-le-feu et un retrait de l'armée israélienne de la bande de Gaza."
Quelle est la position israélienne?
"Depuis 25 ans au moins, depuis l'échec des accords d'Oslo, les gouvernements successifs en Israël n'ont jamais voulu de négociations parce qu'ils ne veulent pas d'un État de Palestine. Il y a quelques jours, Benjamin Netanyahu a fait une déclaration qui résume tout. Il a dit "il n’y aura pas d’État palestinien, cet endroit nous appartient". D'ailleurs, il faut reconnaître à Netanyahu sa continuité: quand pour la première fois en 1996, il est devenu ministre il disait que les accords d'Oslo étaient "le problème", "pas la solution".
Il n'y a pas aujourd'hui la possibilité qu'il y ait des négociations entre Israéliens et Palestiniens, sauf événements miraculeux, compte tenu de la tragédie qui se déroule à Gaza. Et surtout compte tenu de la position du gouvernement israélien, composé d'extrémistes, qui ne veulent pas de ces négociations.
La reconnaissance de l'État palestinien pose les jalons d'un projet. Maintenant sa réalisation va être difficile."