Pas d’aveux et un corps introuvable: accusé du meurtre de sa femme Delphine, Cédric Jubillar face à la justice

Cédric Jubillar, l'époux de Delphine Jubillar, disparue en décembre 2020, participe à un rassemblement avec ses collègues et ses proches à Albi, dans le sud de la France, le 12 juin 2021. - Photo par FRED SCHEIBER / AFP
C'est un dossier qui s'est peu à peu resserré autour d'un suspect. Qui s'appuie sur de nombreuses expertises et comporte des éléments à charge. Mais qui repose aussi sur une béance prégnante. Le procès de Cédric Jubillar, soupçonné du meurtre de sa femme Delphine Jubillar, s'ouvre ce lundi 22 septembre sans que l'enquête ait pu répondre à cette question cruciale: où se trouve le corps de l'infirmière, disparue à Cagnac-les-Mines dans le Tarn une nuit de décembre 2020?
Depuis sa mise en examen, en juin 2021, l'accusé n'a jamais reconnu son implication dans cette affaire auprès des juges d'instruction et n'a, de fait, jamais non plus répondu à cette question. Il n'a rien à voir, jure-t-il, avec la disparition de son épouse.
S'il est dès aujourd'hui jugé pour "meurtre par conjoint", c'est pourtant que la justice estime qu'il existe suffisamment d'éléments à charge pour qu'il comparaisse devant une cour d'assises.
Il y a, entre autres, le témoignage de Louis, le fils du couple, 6 ans à l'époque des faits, qui dit avoir vu ses parents se disputer dans le salon en pleine nuit, par l'entrebâillement de la porte de sa chambre. Il y a aussi ces deux voisines, sorties fumer quelques instants en fin de soirée, qui affirment avoir entendu les cris d'une femme provenant de la maison des Jubillar. Il y a la voiture de Delphine, garée dans le sens de la descente dans l'allée, contrairement à ses habitudes. Tout comme ses lunettes cassées, dont une des branches est retrouvée quelques semaines plus tard derrière le canapé.
Il y a tous ces éléments, des morceaux de vérité. Un faisceau d'indices, mais pas d'aveux, et surtout, pas de corps. "Ça va évidemment constituer un argument pour la défense, mais le fait de ne pas retrouver le corps n'a jamais été un inconvénient pour ne pas condamner quelqu'un", estime Me Philippe Pressecq, avocat de la cousine de Delphine Jubillar.
Un corps introuvable
Des recherches importantes ont été conduites dès les premières heures suivant la disparition de l'infirmière de 33 ans, dans la nuit du 15 au 16 décembre 2020. Assez rapidement dans l'enquête, la piste d'un départ volontaire avait été écartée, la mère de famille ayant laissé derrière elle toutes ses affaires à l'exception de son téléphone, qui n'a lui non plus jamais été retrouvé.
Les jours qui suivent, un dispositif conséquent est mis en place par la gendarmerie, qui passe au crible les alentours, sonde chaque puits et chaque étendue d'eau, en vain. De nombreux volontaires se mobilisent et prennent part à des battues régulièrement organisées par les proches de Delphine Jubillar. Mais aucune de ces opérations ni cette mobilisation citoyenne d'ampleur n'a permis de découvrir l'emplacement du corps de la disparue.
Au mois de mai dernier, l'avocate de la meilleure amie de Delphine Jubillar, Me Pauline Rongier, a révélé l'existence d'un rapport d'expertise qui établit que le téléphone portable de Cédric Jubillar a borné 17 fois le mois précédant la disparition de son épouse, dans une zone boisée non fouillée par les enquêteurs, à 25 kilomètres de Cagnac-les-Mines.
"Il y était le 15 (décembre 2020, ndlr), à l'heure du déjeuner, en plein milieu de ce bois, alors qu'à aucun moment lorsqu'il décrit sa journée, la journée qui précède la disparition, il n'explique être parti se promener dans un bois", expliquait-elle en mai sur BFMTV.
Cette demande de nouvelles recherches dans ce secteur a cependant jusqu'à présent été rejetée par la présidente de la cour d'assises du Tarn. Elle devrait pourtant être réitérée par l'avocate lors de l'ouverture du procès. "Si des zones d’ombre demeurent, il m’apparaît irresponsable de les ignorer au nom d’un calendrier judiciaire", commente aujourd'hui Me Mourad Battikh.
Pour son confrère Me Philippe Pressecq, comme pour d'autres avocats de parties civiles, cette requête est en revanche "extrêmement mortifère" pour le dossier, menaçant le procès d'un renvoi. "La priorité, c'est de faire condamner Cédric Jubillar", explique-t-il.
Les témoignages troublants d'un codétenu et d'une ex-compagne
Les soupçons autour du peintre-plaquiste se sont par ailleurs renforcés avec les témoignages de deux de ses proches. D'abord, l'un de ses codétenus à la prison de Toulouse-Seysses a confié pendant l'enquête avoir reçu les confidences de Cédric Jubillar concernant le meurtre de son épouse. En prison, ce dernier aurait avoué à "Marco" avoir "vrillé" en découvrant un message de l'amant de Delphine Jubillar, le soir des faits, l'avoir tuée avant de transporter son corps à l'aide d'un véhicule blanc.
Plus récemment, c'est une ex-compagne du suspect qui a à son tour été entendue par la justice, expliquant avoir reçu elle aussi des aveux de la part de son ex-conjoint lors de parloirs au printemps dernier.
"Moi j'en doute plus, parce qu'il l'a dit, redit, et ça faisait partie des discussions", a expliqué Jennifer C. sur BFMTV début septembre.
Lors de l'un de ces parloirs, Cédric Jubillar lui aurait même mimé la manière dont il a étranglé son épouse, relate-t-elle encore. "Il se met derrière moi, en fait, il met son avant-bras sur mon front et il me colle contre lui, son autre bras, en clé de coude."
Pourtant, face aux deux juges d'instruction qui travaillent sur le dossier, l'homme persiste: il n'a rien à voir avec la disparition de son épouse. C'est cette position qu'il devrait vraisemblablement adopter lors du procès qui s'ouvre ce lundi, prévu pour durer quatre semaines.
"L'espérance survit au deuil"
Selon Me Mourad Battikh, les parties civiles n'attendent plus "un aveu mais espèrent un moment de vérité" à l'audience. "Ils attendent que l’indicible trouve enfin un nom, une cause, un responsable. Ils espèrent trouver la paix à l’issue de ce procès, et cette paix ne peut naître que dans la reconnaissance des faits."
"Il y a longtemps qu'on n'attend plus rien de Cédric Jubillar. On n'attend plus aucune honnêteté, aucune sincérité de sa part. On sait qu'il va encore nous raconter n'importe quoi pendant quatre semaines", indique de son côté Me Philippe Pressecq.
L'avocat dit avoir peu d'espoir sur le fait de voir le corps de Delphine Jubillar un jour retrouvé. "Il faut arrêter de se focaliser sur le corps", tranche-t-il, pessimiste. "Si on ne l'a pas retrouvé, on ne le retrouvera jamais." Pour d'autres parties civiles, en revanche, "l'espérance survit au deuil, au temps et aux procédures judiciaires", selon les mots de Me Mourad Battikh, qui insiste: "L'absence du corps n'équivaut pas à l'absence de crime."