Budget, sécurité: ce que peut faire ou non le gouvernement démissionnaire de François Bayrou

François Bayrou, Premier ministre, à la sortie de la réunion, à l'issue du Conseil des ministres, dans la cour d'honneur du palais présidentiel de l'Élysée, à Paris, le 3 septembre 2025. - Xose Bouzas / Hans Lucas
Un pied dedans, un pied dehors. Après avoir très largement perdu son pari d'obtenir la confiance des députés, François Bayrou a présenté la démission de son gouvernement à Emmanuel Macron ce mardi après-midi. Mais le Premier ministre ne va pas tout de suite faire ses cartons.
Comme le précise une note du secrétariat général du gouvernement qui date de 2024, un gouvernement démissionnaire "reste en place tant qu'il n'est pas remplacé par un nouveau gouvernement". La manœuvre vise à "assurer le fonctionnement minimal de l'État au nom de la continuité".
C'est pour cette raison que Gabriel Attal, qui avait remis sa démission au chef de l'État en juillet 2024, après le fiasco de la dissolution, était resté en poste plus d'un mois et demi jusqu'à l'arrivée de Michel Barnier à Matignon.
"Gestion quotidienne de l'État"
Concrètement, tant que François Bayrou n'a pas de successeur, il reste donc rue de Varenne pour gérer ce qu'on appelle les affaires courantes. Si cette notion n'est pas définie par la Constitution, elle consiste à administrer "la gestion quotidienne de l'État" et "les affaires urgentes qui ne peuvent pas attendre la nomination d'un nouveau gouvernement", expliquait le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier à l'été dernier auprès de BFMTV.
Par exemple, une catastrophe climatique comme une tempête ou le maintien de l'ordre dans le cadre du mouvement du 10 septembre, qui appelle à "tout bloquer", rentrent bien dans les attributions du gouvernement.
Des pouvoirs restreints, notamment en vue du 10 septembre
Le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau se montre ainsi au travail pour gérer d'éventuels débordements, promettant "la plus grande fermeté" le cas échéant. Mais le locataire de la place Beauveau dispose cependant de pouvoirs plus restreints. Le déploiement de l'état d'urgence, qui suspend certaines libertés fondamentales comme le droit de manifester ou de circuler, serait très complexe à déployer.
Il faudrait ainsi réunir un Conseil des ministres - un événement très rare pour un gouvernement démissionnaire - et en cas de volonté de prolonger l'état d'urgence, il faudrait également réunir le Parlement pour lui demander de voter pour.
Or, "dans la Ve République, il n’y a jamais eu, en période d’expédition des affaires courantes de projet de loi adopté par le Parlement", peut-on lire dans une note du secrétariat général du gouvernement, l'organe qui conseille juridiquement l'exécutif.
"On peut certes faire valoir la théorie des circonstances exceptionnelles", souligne-t-il encore tout en évoquant la situation juridique "complexe" que cela produirait. On imagine en effet mal les oppositions ne pas saisir le Conseil constitutionnel dans une telle situation.
Saut dans l'inconnu pour le budget
Et le budget qui est censé être déposé à l'Assemblée nationale au plus tard le 7 octobre prochain? Sur le papier, il est impossible que le gouvernement démissionnaire de François Bayrou défende un projet de loi de finances de l'État et de la sécurité sociale devant le Parlement dans les prochaines semaines. Et pour cause: les députés et les sénateurs ne sont pas censés légiférer sans gouvernement de plein exercice.
En réalité, c'est moins clair, tout comme pour l'état d'urgence. "La question de la possibilité juridique d’une activité législative" avec un gouvernement démissionnaire est "inédite et d’une résolution délicate", reconnaît ainsi le secrétariat général du gouvernement.
Concrètement, il n'exclut pas la possibilité de prendre "des mesures financières urgentes" pour "doter la France d'un budget". Si Emmanuel Macron ne parvenait pas dans les prochaines semaines à trouver un Premier ministre pour remplacer le patron du Modem, cela voudrait donc dire que François Bayrou pourrait probablement présenter une loi spéciale budgétaire. Ce texte permet de déclencher mois par mois une tranche d'argent permettant de payer les fonctionnaires et de faire tourner les services publics avec l'accord du Parlement.
C'est ce qu'il s'était passé en janvier dernier après la chute de Michel Barnier mais une fois François Bayrou nommé. La France avait donc à ce moment-là un Premier ministre qui n'était pas démissionnaire. Quelques semaines plus tard, le centriste était parvenu à faire voter le budget 2026 en février.
La possibilité d'ordonnances
Autre possibilité envisagée par le secrétariat général du gouvernement: "la possibilité " de faire un budget "par ordonnance" à la seule condition d’avoir tenté de faire voter un projet de loi et échoué à le faire voter en soixante-dix jours". Mais encore faudrait-il donc que le Premier ministre ait tenté de présenter un budget au Parlement, ce qui semble donc impossible.
De plus, il faudrait réunir le Conseil des ministres pour débattre du "volet affaires urgentes des affaires courantes", précise le secrétariat général du gouvernement. Cela n'est encore jamais arrivé.
En l'absence totale de précédent, les deux hypothèses sur la table, que ce soit celle d'une loi spéciale avec un gouvernement démissionnaire ou d'un budget passé par ordonnance, seraient fragiles d'un point de vue juridique. Nul doute que les oppositions saisiraient là encore le Conseil constitutionnel.
Dans un contexte de très forte instabilité politique, il apparaît donc urgent pour Emmanuel Macron d'aller vite et de nommer sans tarder un successeur à François Bayrou. Il s'est engagé dans un communiqué de presse publié dans la foulée du renversement de son Premier ministre à lui trouver un successeur "dans les prochains jours".