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Attal en charge des "affaires courantes": quels sont les pouvoirs du gouvernement pendant cette période?

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Acceptée par Emmanuel Macron, la démission de Gabriel Attal est désormais effective. Premier ministre démissionnaire, il est chargé de l'expédition des "affaires courantes" jusqu'à la nomination de son remplaçant.

Les Français vont-ils devenir experts en droit constitutionnel? La nouvelle notion dans l'actualité est celle "d'affaires courantes". Emmanuel Macron a finalement accepté la démission de Gabriel Attal ce mardi 16 juillet, et par ricochet, mis fin aux fonctions du gouvernement.

Désormais démissionnaire, mais sans remplaçant pour le moment, le Premier ministre assure "le traitement des affaires courantes jusqu’à la nomination d’un nouveau gouvernement", précise l'Élysée.

Autrement dit, ce gouvernement "d'affaires courantes" est le "gouvernement démissionnaire qui est chargé de gouverner jusqu'à la nomination du nouveau gouvernement", détaille pour BFMTV Jean-Philippe Derosier, constitutionnaliste et professeur de droit public à l'université de Lille.

Ce mardi soir Gabriel Attal a fait savoir que ses deux missions consisteraient à "faire marcher l'État et protéger les Français". "Dans quelques jours, la France va accueillir le monde. C'est une échéance qu'on a préparée avec mon gouvernement. Ils seront aux manettes pour garantir le succès. En cas de crise, le gouvernement prendra toutes les décisions pour protéger les Français", a-t-il précisé.

S'il n'y a aucune certitude sur la date de nomination du prochain Premier ministre de plein exercice, aucune majorité claire ne se dégageant de l'Assemblée nationale élue le 7 juillet, les pouvoirs dont dispose Gabriel Attal durant cette période sont un peu plus balisés.

La gestion du quotidien

Si la notion même d'affaires courantes n'est pas définie par la Constitution de la Ve République, une décision de 1952 du Conseil d'État, plus haute juridiction administrative, en fixe les contours. Ils se divisent en deux parties, précise Jean-Philippe Derosier.

D'abord, "la gestion quotidienne de l'État, et le prolongement des affaires en cours", explique le constitutionnaliste. Puis "les affaires urgentes, qui ne peuvent attendre la nomination du nouveau gouvernement", détaille-t-il encore.

Dans son arrêt, rendu sous la IVe République, le Conseil d'État venait ainsi sanctionner un décret pris le 17 juin 1946 par le gouvernement démissionnaire du résistant socialiste Félix Gouin. Le décret concernait l'application d'une loi traitant du droit de la presse en Algérie, alors colonie française. Un acte réglementaire hors de la notion "d'affaire courante", "si extensive que puisse être cette notion dans l'intérêt de la continuité nécessaire des services publics", estimait la juridiction.

"Sur le plan interne", le gouvernement en charge des affaires courantes ne peut pas "prendre des actes qui effectuent une modification durable d’un organe ou d’un service public ou encore d’un statut juridique", explicite Elysée Kodjo Hator, doctorant en droit public à l’université Paris-Saclay, dans un article sur le sujet, paru en 2023 dans la Revue française de droit constitutionnel.

Compliqué donc pour Gabriel Attal et ses ministres démissionnaires de proposer un projet de loi à l'Assemblée nouvellement élue. Car toute mesure législative est tenue "pour importante et politiquement sensible" et, d’autre part, "il peut sembler inadéquat de saisir le Parlement alors même qu’il est privé de sa prérogative la plus forte, à savoir la possibilité de renverser le gouvernement", insiste une note du secrétariat général du gouvernement (SGG) datée du 2 juillet, dont l'AFP a obtenue une copie.

Selon cette même source, le chef de l'État peut continuer à procéder à des nominations sauf "les plus politiquement sensibles", comme celles des directeurs d’administration centrale.

La gestion de l'urgence

Les affaires courantes par nature, "ce sont les affaires banales qui relèvent du quotidien de la gestion publique", résume Elysée Hator dans son article. "Ce sont celles qui sont tous les jours préparées automatiquement par les bureaux, sur lesquelles les ministres se bornent à apposer leur signature. (...) Il peut s’agir de la distribution des courriers, de l’organisation des examens et des concours de la fonction publique, du versement des salaires et des pensions de retraite."

Quant aux affaires urgentes, également dans les prérogatives d'un gouvernement démissionnaire, "ce sont les affaires que l’État doit prendre en charge sans désemparer car tout retard pourrait faire courir à l’État et aux intérêts dont il a la charge de graves dangers".

Et le doctorant de citer en exemple les mesures nécessaires au maintien de l'ordre public "en cas d'attaques terroristes ou d’atteinte à l’intégrité du territoire". "Sous la IVe République française, le gouvernement Edgar Faure avait pu, bien que démissionnaire, et sous l’empire de nécessités impérieuses, négocier une importante convention avec la Banque de France qu’il a, dans la foulée, soumise à l’approbation du Parlement", ajoute-t-il.

"Vous allez attendre longtemps!"

Depuis le début de la Ve République, jamais un gouvernement démissionnaire n'est resté en exercice plus d'une dizaine de jours. La période la plus longue remonte à 1962, lorsque l'Assemblée nationale a adopté une motion de censure contre le gouvernement de Georges Pompidou. Renversé le 28 novembre, il a été de nouveau nommé à Matignon par le général de Gaulle le 7 décembre - neuf jours plus tard.

Une situation qui pourrait durer bien plus longtemps cette fois. "Si vous attendez que les partis politiques s’entendent, vous allez attendre longtemps!", estimait dimanche 14 juillet François Bayrou dans une interview au JDD.

Dans sa lettre aux Français, Emmanuel Macron a prévenu qu'il comptait "laisser un peu de temps aux forces politiques pour bâtir ces compromis avec sérénité et respect de chacun". "Afin que cette période s’achève le plus rapidement possible, il appartient aux forces républicaines de travailler ensemble pour bâtir un rassemblement autour de projets et d’actions au service des Françaises et des Français", explique l'Élysée ce mardi.

Nicolas Ghorzi