10 septembre: Bruno Retailleau, désormais ministre démissionnaire, perd des outils de maintien de l'ordre

François Bayrou et Bruno Retailleau à Paris le 14 décembre 2024 - STEPHANE DE SAKUTIN / AFP
Et si le casse-tête politique après la chute de François Bayrou tournait au raté sécuritaire? À la veille de la mobilisation du 10 septembre et des 600 initiatives répertoriées qui vont du blocage des grandes gares françaises à celui du périphérique parisien, la pression monte sur Emmanuel Macron pour nommer rapidement un successeur au locataire de Matignon désormais démissionnaire.
"La France a besoin très rapidement d'un Premier ministre" face "aux risques de débordement", a expliqué le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau ce mardi 9 septembre au micro de BFMTV.
Désormais renversé, le gouvernement de François Bayrou a une latitude restreinte. Comme le rappelle une note du secrétariat général du gouvernement, cet organe chargé de conseiller juridiquement les équipes ministérielles, le centriste et son équipe peuvent désormais seulement assurer les affaires courantes.
Concrètement, cela consiste à administrer "la gestion quotidienne de l'État" et "les affaires urgentes qui ne peuvent pas attendre la nomination d'un nouveau gouvernement", expliquait le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier à l'été dernier auprès de BFMTV.
Liberté dans le dispositif policier
Bruno Retailleau garde toute latitude pour plancher plus largement sur le dispositif du maintien de l'ordre lié à "Bloquons tout" dans les prochains jours. Il a ainsi annoncé lundi soir en fin de journée la mobilisation de 80.000 policiers et gendarmes. Celui qui est toujours locataire de la place Beauvau a également réuni les préfets ce mardi matin à son ministère.
Suffisant pour éviter des débordements? Le préfet de police de Paris Laurent Nuñez a indiqué sur notre antenne ce mardi s'attendre à "des actions plutôt dures". Des citoyens se donnent par exemple rendez-vous ce mercredi dès 6h pour bloquer les rocades de Nantes et de Rennes. Plusieurs assemblées générales doivent également se tenir dans des gares parisiennes.
Des sites industriels comme des raffineries pourraient également être à l'arrêt tout comme l'un des plus grands entrepôts logistiques d'Amazon de France dans l'Essonne.
Si la situation se compliquait d'un point de vue sécuritaire, Bruno Retailleau pourrait cependant rapidement se voir privé de levier législatif. Dans ce contexte, l'instauration d'un état d'urgence, par exemple, semble très incertain.
La possibilité d'instaurer un état d'urgence très incertaine
Ce régime permet de renforcer les pouvoirs des autorités en restreignant certaines libertés pourtant garanties par la Constitution. Il facilite ainsi grandement les assignations à résidence, l'interdiction de manifester ou encore les perquisitions administratives.
C'est au Conseil des ministres - soit le gouvernement et le président de la République - que revient la décision d'instaurer l'état d'urgence. Il dure douze jours mais si le gouvernement souhaite le prolonger, il doit ensuite demander au Parlement de se prononcer.
L'instauration de l'état d'urgence avait été évoquée pendant les émeutes liées à la mort du jeune Nahel tué d'un tir de policier à l'été 2023. Sans l'appeler formellement de ses vœux, Bruno Retailleau, à l'époque président des sénateurs LR, y était favorable.
Mais avec un gouvernement démissionnaire, la donne change. Premier obstacle: réunir un Conseil des ministres. Si leur tenue n'est pas inédite sous la Ve République, elle n'a eu lieu qu'à deux reprises. Et encore: avec un ordre du jour "particulièrement léger", comme le rappelle le secrétariat général du gouvernement dans sa note de 2024. L'état d'urgence, qui restreint certaines libertés fondamentales, ne tombe évidemment pas dans cette catégorie.
"Circonstances exceptionnelles"
Autre problème: réunir le Parlement si le gouvernement souhaitait prolonger l'état d'urgence. "Il n’y a jamais eu, en période d’expédition des affaires courantes de projet de loi adopté par le Parlement", précise également cet organe.
À moins que... Le secrétariat général du gouvernement juge ainsi que "la théorie des circonstances exceptionnelles permet de part de déroger aux règles". Mais la note ne nie pas la "délicatesse" que poserait l'instauration d'un état d'urgence d'un point de vue juridique, un acte inédit jusqu'ici.
Dans les deux options possibles, que ce soit un Conseil des ministres qui avaliserait un état d'urgence ou la convocation du Parlement qui n'aurait "pas la faculté de renverser le gouvernement" déjà démissionnaire, des recours devant le Conseil constitutionnel seraient quasiment certains.
Autres leviers qui ne seraient plus à la main de Bruno Retailleau: la nomination de nouveaux préfets. Sont exclues des affaires courantes "les nominations les plus politiquement sensibles" précise ainsi le secrétariat général du gouvernement.
S'il n'est pas exceptionnel que des préfets soient soudainement remerciés par l'exécutif comme cela a pu être le cas en janvier dernier dans l'Indre-et-Loire, le ministre de l'Intérieur démissionnaire ne pourrait donc pas réclamer le départ d'un préfet qui ne suivrait pas ses consignes de maintien de l'ordre pour le mouvement "Bloquons tout".
Des consignes de fermeté "de nature politique"?
Dernier point qui pourrait être litigieux: l'usage de circulaires auprès des préfets pour prôner "la fermeté" lors des suites du mouvement du 10 septembre.
Seraient-elles considérées comme appartenant au maintien des affaires courantes en assurant "la continuité de l'État" avec une "impérieuse nécessité" ou au contraire seraient-elle de "nature politique"? Cela poserait alors des "questions juridiques délicates", précise ainsi le secrétariat général du gouvernement.
À l'Elysée, on temporise. Emmanuel Macron a promis dans un communiqué de nommer "dans les tous prochains jours" un nouveau Premier ministre. En décembre dernier, il avait assuré qu'il donnerait un successeur à Michel Barnier "dans les 24 heures" après sa chute. Il avait finalement mis une dizaine de jours.