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En deux ans de guerre à Gaza, l'approche ambiguë de Benjamin Netanyahu sur le sort des otages retenus dans l'enclave palestinienne

Un manifestant portant le drapeau israélien passe devant un portrait du Premier ministre Benjamin Netanyahu lors d'une manifestation anti-gouvernementale à Tel Aviv, le 7 juin 2025.

Un manifestant portant le drapeau israélien passe devant un portrait du Premier ministre Benjamin Netanyahu lors d'une manifestation anti-gouvernementale à Tel Aviv, le 7 juin 2025. - Jack GUEZ / AFP

Après le 7-Octobre, le Premier ministre israélien a fait de la libération des prisonniers du Hamas un objectif de guerre. Pendant deux ans d'offensive à Gaza, cet objectif a été peu à peu aliéné par la volonté du gouvernement de détruire le mouvement islamiste palestinien, faisant grandir un sentiment d'abandon chez les familles des otages.

729 jours. En massifs chiffres rouges, le décompte se poursuit depuis le 7-Octobre 2023 sur le site du Forum des otages et des personnes disparues. Sur les 251 personnes enlevées lors des attaques sans précédent du Hamas sur le sol israélien, 47 sont toujours retenues dans la bande de Gaza. Parmi elles, 27 sont considérées comme mortes par l'armée israélienne.

L'espoir d'une fin prochaine de leur captivité n'a toutefois jamais été aussi grand. Ce vendredi 3 octobre, le Hamas a déclaré être disposé à libérer "tous les otages" dans le cadre du plan en 20 points présenté par Donald Trump censé mettre fin de manière définitive à la guerre de représailles israéliennes meurtrière à Gaza. Le mouvement islamiste palestinien s'est dit prêt à des "négociations immédiates" pour discuter des "détails" de leur libération.

Tout en affirmant "se préparer pour une mise en oeuvre immédiate", Israël continue son offensive à Gaza-ville. Malgré les appels de Donald Trump et des familles des otages à cesser "immédiatement les bombardements".

"La demande du président Trump de mettre immédiatement fin à la guerre est essentielle pour éviter que les otages ne subissent des atteintes graves et irréversibles", a déclaré le Forum des familles d'otages, principal groupe israélien représentant les familles des otages, dans un communiqué. "Nous appelons le Premier ministre (Benjamin) Netanyahu à entamer immédiatement des négociations efficaces et rapides afin de ramener tous nos otages à la maison", a-t-il ajouté.

Dès l'instant où la lumière a été faite sur l'ampleur de l'opération terroriste ayant tué 1.219 personnes en Israël, les proches des personnes captives ont eu pour seul but leur libération. De son côté, le gouvernement israélien, qui a tué au moins 66.000 personnes à Gaza et plongé l'enclave dans une situation humanitaire désastreuse, a été plus équivoque pendant deux ans.

La libération des otages, un objectif énoncé tardivement

Le 7 octobre 2023, Benjamin Netanyahu a déclaré la guerre au Hamas, un "ennemi abominable", qu'il s'est juré de "détruire" "avec toute sa puissance". À chaud, ses mots pour les otages ont été succincts, remarque cependant Le Monde. "Je dis au Hamas: vous êtes responsables de leur bien-être. Israël s’en prendra à quiconque portera atteinte à ne serait-ce qu’un cheveu de leur tête", a déclaré brièvement le chef du gouvernement israélien dans son adresse à la nation le jour des attaques.

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Ce même jour, Israël a riposté par des frappes aériennes contre Gaza et a décrété deux jours plus tard le "siège complet" de l'enclave palestinienne. À la fin du mois d'octobre, l'armée israélienne a lancé son incursion terrestre en direction de Gaza-ville. Les familles des otages se sont montrées inquiètes pour la vie de leurs proches coincés dans les tunnels à Gaza dès cette première intensification.

"Nous avons exigé qu'aucune opération, qui mette en danger la vie de nos proches, ne soit effectuée et que tout ce qui soit fait prenne en considération le bien-être de nos aimés", a assuré une porte-parole des familles des otages à l'issue d'une rencontre avec Benjamin Netanyahu le 28 octobre 2023. Avant d'ajouter: "C'est de la responsabilité du gouvernement israélien."

Ce n'est qu'à l'issue cette entrevue, vingt jours après les attaques terroristes, que le Premier ministre, touché par les "parents endeuillés", a établi le deuxième objectif à son offensive sanglante à Gaza: "le retour des otages à la maison".

"Ce n'est pas une mission secondaire mais de première importance", a abondé le ministre de la Défense Yoav Gallant.

Changement de discours

Yoav Gallant visé, comme le chef de gouvernement, par un mandat d'arrêt international pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité de la CPI, a été limogé un an plus tard, en novembre 2024, sur fond de tensions avec Benjamin Netanyahu. Le ministre estimait notamment qu'un accord de libération d'otages avec le Hamas primait sur la poursuite de la guerre entamée il y a un an. Une position rejetée par le Premier ministre israélien, alors que 100 otages étaient toujours aux mains du Hamas.

Pendant de longs mois, Benjamin Netanyahu a pourtant continué de marteler dans ses prises de paroles son souhait de libérer les otages. "Pendant longtemps, il voulait montrer qu'il y avait un équilibre", explique Frédérique Schillo, historienne, spécialiste d'Israël et des relations internationales. "Puis son discours a changé, après la rupture du cessez-le-feu en mars 2025", ajoute-t-elle.

"Il n'a évidemment jamais dit qu'il abandonnerait les otages mais ses détracteurs considèrent que sa fuite en avant dans l'option militaire met forcément leur vie en danger", abonde David Rigoulet-Roze, chercheur à l’Institut français d’analyse stratégique et spécialiste du Moyen-Orient, contacté par BFMTV. Le Premier ministre est notamment poussé à l'ambiguïté par l'aile d'extrême droite de son gouvernement. Bezalel Smotrich, ministre des Finances, et Itamar Ben-Gvir, ministre de la Sécurité d'Israël, font de l'éradication du Hamas leur priorité.

"Nous devons dire la vérité, le retour des otages n'est pas la chose la plus importante", a déclaré Bezalel Smotrich, le 22 avril dernier. Ce même ministre a qualifié d'"échec diplomatique retentissant" le plan en 20 points de Donald Trump qui prévoit une fin de la guerre à Gaza.

Un sentiment d'abandon

Si les proches des otages n'ont jamais cessé de demander plus d'engagement au gouvernement, ils ont peu à peu regretté un abandon. Le jour de la rupture du deuxième cessez-le-feu par Israël le 18 mars - d'intenses bombardements ont tué plus de 300 Palestiniens en un jour - le Forum a critiqué "la décision du gouvernement de sacrifier les 59 captifs".

"Les familles des otages suppliaient depuis un certain temps de pouvoir rencontrer les élus. Leurs appels sont restés sans réponse, a souligné l'organisation. Aujourd'hui, c'est clair: les élus n'ont pas rencontré (les familles) parce qu'ils prévoyaient de saboter le cessez-le-feu".

Des personnes se rassemblent pour protester contre la décision du gouvernement de Benjamin Netanyahu d'occuper Gaza et pour exiger un cessez-le-feu immédiat et un accord d'échange de prisonniers et d'otages à Tel Aviv, en Israël, le 23 août 2025.
Des personnes se rassemblent pour protester contre la décision du gouvernement de Benjamin Netanyahu d'occuper Gaza et pour exiger un cessez-le-feu immédiat et un accord d'échange de prisonniers et d'otages à Tel Aviv, en Israël, le 23 août 2025. © MOSTAFA ALKHAROUF / ANADOLU / Anadolu via AFP
Des manifestants appellent à une action pour obtenir la libération des Israéliens retenus en otage à Gaza depuis octobre 2023, devant le ministère israélien de la Défense à Tel-Aviv, le 15 janvier 2025.
Des manifestants appellent à une action pour obtenir la libération des Israéliens retenus en otage à Gaza depuis octobre 2023, devant le ministère israélien de la Défense à Tel-Aviv, le 15 janvier 2025. © Jack GUEZ / AFP

Cette colère s'est intensifiée avec l'annonce, puis le lancement à la mi-septembre, de l'offensive terrestre de grande ampleur pour prendre le contrôle de Gaza-ville.

Des manifestations monstres ont éclaté en Israël. Le 18 août, une journée nationale de manifestations et de grèves s'est tenue. Selon le Forum des familles des otages, des centaines de milliers de personnes se sont rassemblées à Tel Aviv, un des rassemblements les plus importants depuis le début de la guerre.

Une manifestation organisée par des familles d'otages israéliens retenus dans la bande de Gaza, appelle à agir pour obtenir leur libération devant le siège du ministère de la Défense à Tel Aviv, le 9 août 2025.
Une manifestation organisée par des familles d'otages israéliens retenus dans la bande de Gaza, appelle à agir pour obtenir leur libération devant le siège du ministère de la Défense à Tel Aviv, le 9 août 2025. © JACK GUEZ

Lors de cette manifestation, un père a déploré auprès du quotidien The Times of Israël se sentir impuissant. Une vidéo de son fils, Rom Braslavski, a été diffusée par le Hamas à la fin du mois de juillet, son corps décharné suscitant l'émoi et l'indignation. "Tout le pays a vu, tous les dirigeants ont vu, mais le cabinet a choisi d'étendre la guerre et de les abandonner, a déclaré Ofir Braslavski. Mon Rom n'a pas le temps, les otages n'ont pas le temps. À mon cher Rom, reste fort, s'il te plaît. Nous t'aimons".

Au lancement de l'offensive, le Forum des familles des otages a dit que celles-ci étaient "terrifiées" pour leurs proches. Benjamin Netanyahu "fait tout pour qu’il n’y ait pas d’accord et pour ne pas les ramener", ont déploré les responsables de cet organisme. Depuis, des manifestations se tiennent quasi quotidiennement en Israël. Des veillées sont organisées comme des mobilisations devant la résidence du Premier ministre.

Pour le Forum des familles, cette intensification des attaques est "une déclaration officielle de l'abandon des otages". À chaque offensive, ces derniers risquent d'être tués sous les bombes ou exécutés par le Hamas.

"Pour Benjamin Netanyahu, seule la pression militaire serait susceptible de favoriser leur libération. Or, on a bien vu par le passé qu'à de rares exceptions, la majorité des libérations d'otages s'était produite à la faveur de négociations", souligne le spécialiste du Moyen-Orient David Rigoulet-Roze.

Le chef d'État-major lui-même a averti le gouvernement israélien des dangers d'une telle offensive. "Les opérations mettent en danger les otages, dont l'état de santé se détériore", a écrit Eyal Zamir, dans une note confidentielle au Premier ministre, révélée par la chaîne de télévision Reshet 13. "Les combattants de l'armée israélienne retournent aux mêmes endroits sans objectif politique", a-t-il ajouté.

Des familles d'otages et une partie de l'opposition accusent depuis longtemps le Premier ministre de prolonger la guerre pour servir ses propres intérêts politiques.

"Beaucoup estiment que leur société ne s'en relèvera pas"

L'historienne Frédérique Schillo relève deux autres "signes" prouvant le désintérêt grandissant du gouvernement israélien pour les otages ces derniers mois. "Le ministère de l'Éducation a publié une valise pédagogique à destination des enseignants qui ne fait pas mention des otages", expose-t-elle.

De plus, "il n'y a pas de cérémonie officielle organisée cette année pour le deuxième anniversaire du 7-Octobre. Dans une nation pour qui le devoir de mémoire est constitutif, c'est un signe de mal-être", abonde-t-elle tout en précisant qu'en 2024 "les familles des otages avaient boycotté la cérémonie officielle, organisant la leur de leur côté".

Dans la société israélienne, les otages sont partout. Outre les manifestations, des Israéliens arborent au quotidien des pins ou le ruban jaune, symbole de solidarité avec les prisonniers du Hamas. "En Israël, les trois-quarts de l'opinion publique sont pour la fin de la guerre et le retour des otages", étaye la spécialiste des relations internationales. Avant de conclure, inquiète: "Il y a beaucoup de débats sur le futur de leur société si les otages ne sont pas libérés. Beaucoup estiment que leur société ne s'en relèvera pas."

Juliette Brossault