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Politique

Une campagne présidentielle complètement folle

Les onze candidats à la présidentielle lors du débat organisé par BFM TV et CNews, le 4 avril 2017 à La Plaine-Saint-Denis près de Paris.

Les onze candidats à la présidentielle lors du débat organisé par BFM TV et CNews, le 4 avril 2017 à La Plaine-Saint-Denis près de Paris. - Lionel Bonaventure, AFP

Entre renoncement de François Hollande, affaires de François Fillon et émergence d'Emmanuel Macron, retour sur une campagne aux frontières du réel.

Il y a un an, une alternance franche et massive était promise au candidat de la droite - Alain Juppé ou Nicolas Sarkozy à en croire les sondages - dans une élection considérée "imperdable" par beaucoup. Il y a un an, Jean-Christophe Cambadélis et Julien Dray mettaient sur pied la Belle alliance populaire, émanation de la gauche de gouvernement censée permettre à François Hollande, encore indécis, d'asseoir son autorité sur son camp en remportant une primaire à gauche s'il voulait se représenter. Il y a un an, Emmanuel Macron faisait figure d'outsider, jeune loup lancé dans une aventure politique incertaine. 

"On est dans une troisième dimension politique", constate le politologue Eddy Fougier: jusque dans ses derniers instants, tragiques, cette campagne aura été inédite.

À 48 heures du scrutin, après un marathon jamais vu de débats télévisés (trois pour la primaire de la droite, trois pour la primaire de la gauche, et deux plus l'émission de jeudi sur France 2 pour les cinq "gros"), quatre candidats se tiennent dans un mouchoir de poche, autour de 20%, en tête des intentions de vote. Aucun d'entre eux ne représente le Parti socialiste, et celui qui représente Les Républicains n'est pas sûr de se passer le premier tour, miné par les "affaires".

La politique à nouveaux frais

"Il y a une succession d'événements qui vont tous dans le même sens: une classe politique usée jusqu'à la corde est en train de céder le pas", analyse Bruno Cautrès, du Centre de recherches politiques de Sciences Po.

Parmi ces événements figurent, bien sûr, la mise en examen en pleine campagne de deux des principaux candidats, François Fillon et Marine Le Pen. "Il y a bien eu les diamants de Bokassa dans la campagne de Valéry Giscard d'Estaing, se souvient Eddy Fougier, mais là, ça a pris une dimension judiciaire très rapide."

Si le Front national a déjà fait la preuve de sa résilience lorsqu'il est confronté à des affaires judiciaires émanant selon lui du "système", l'affaire Penelope et l'affaire des costumes ont été d'autant plus dévastatrices sur l'image du candidat Les Républicains que ce dernier prétendait rompre avec la ritournelle du "tous pourris", par un retour à l'exemplarité morale de la classe politique dont le général de Gaulle fut le parangon.

De sorte qu'outre le Front national (dont l'implantation durable est la seule constante du dernier quinquennat), deux candidats ont pu faire fond sur le thème de l'alternative à l'alternance: l'un, Jean-Luc Mélenchon, sur l'idée du "dégagisme" et du renouvellement nécessaire des institutions politiques, l'autre, Emmanuel Macron, en ressuscitant l'antienne gaullienne du président "au-dessus des partis", transcendant le clivage partisan.

Le piège des primaires

Ces deux percées, "d'extrême gauche" et "d'extrême centre", résultent directement du dispositif des primaires, "symptôme d'un système présidentiel à bout de souffle" aux yeux d'Eddy Fougier, et grande nouveauté pour une droite où la culture bonapartiste avait jusqu'alors dominé.

"Là où une logique électorale avait dominé en 2011 (choisir le meilleur candidat pour l’emporter), c’est une logique identitaire qui a cette fois prévalu (à droite, parce que ses électeurs étaient sûrs de gagner ; à gauche, parce qu’ils étaient sûrs de perdre)", analyse Gilles Finchelstein, directeur de la Fondation Jean Jaurès.

De sorte que la primaire à droite, dans la continuité du durcissement inauguré par Nicolas Sarkozy, a adoubé un candidat radicalement libéral et nettement conservateur, laissant libre l'espace du centre-droit, que n'a pas tardé à investir Emmanuel Macron.

Quant à la primaire de la gauche, la désignation d'un candidat ancien frondeur a accéléré l'implosion du Parti socialiste, entraînant à la fois la clarification sociale-libérale des néo-macronistes et la percée de Jean-Luc Mélenchon, dont la radicalité tranche avec le grand écart politique auquel Benoît Hamon est condamné.

L'encombrant quinquennat

Ce grand écart souligne, surtout, l'absence de candidat qui revendiquerait le bilan du quinquennat, et au premier chef l'absence de François Hollande lui-même, premier président renonçant à briguer un nouveau mandat. Pour Benoît Hamon et Emmanuel Macron, chacun anciens ministres, il s'est agit pendant toute la campagne d'éviter d'être "contaminés" par l'impopularité du président de la République sans pouvoir rompre complètement, par souci de cohésion du PS pour le premier et par cohérence idéologique pour le second.

François Fillon a beau avoir rebaptisé l'ancien ministre de l'Économie "Emmanuel Hollande", il n'est jamais parvenu à faire tomber le "faux-nez" qui cacherait la véritable identité politique du leader d'En Marche!. La campagne présidentielle a donc échappé à la structure classique d'opposition entre partisans d'un bilan à prolonger et détracteurs d'un quinquennat à déconstruire. "Personne ne s’est attardé à évoquer en bien ou en mal l’œuvre de François Hollande comme si elle n’existait pas", note ainsi l'éditorialiste Françoise Fressoz dans les colonnes du Monde

D'un point de vue idéologique, l'œuvre de François Hollande aura débouché sur la grande clarification, attendue de longue date, entre "deux gauches irréconciliables", selon les mots de Manuel Valls. L'ancien Premier ministre, en ne respectant pas son engagement de soutenir le vainqueur de la primaire socialiste, a d'ailleurs officialisé ce divorce. D'un point de vue politique cette fois, le bilan de François Hollande risque fort de déboucher sur un champ de ruines.

Quelle majorité présidentielle ?

En effet, et c'est un paramètre encore une fois inédit, aucune perspective de majorité parlementaire claire ne se dégage à la veille du scrutin, alors même que le non-cumul des mandats et la fin de carrière de nombreux élus créent un appel d'air - toujours inédit - à l'Assemblée nationale.

"L'élection la plus importante pourrait être la législative, avec une possible cohabitation", prédit Eddy Fougier. "Celui qui l'emportera le 7 mai n'est pas sûr de pouvoir gouverner. Ce serait une première sous le format du quinquennat."

Évidente pour les candidats des "extrêmes", Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, cette incertitude touche aussi l'éventuelle majorité d'Emmanuel Macron, en grande partie novice et très hétéroclite (En Marche! regroupant à la fois les soutiens de Robert Hue et Dominique de Villepin). Ce flou concerne aussi Les Républicains, chez qui les frictions entre "modérés" juppéistes et "durs" sarko-fillonistes menacent l'unité du parti.

Cette cascade de nouveautés a de quoi nourrir les doutes du tiers d'électeurs indécis à l'avant-veille du premier tour.

Louis Nadau avec Ariane Kujawski