Largement battu pour la présidence LR, Laurent Wauquiez achève une campagne aux allures de chemin de croix

Une élection qui aurait dû avoir des allures de parcours de santé et qui a finalement tourné au cauchemar. Le président des députés Les Républicains a été largement défait par Bruno Retailleau ce dimanche 18 mai dans la compétition interne pour prendre la tête du parti de droite en ne récoltant que 25,7% des voix. Retour sur une campagne qui a laminé Laurent Wauquiez.
Tout avait pourtant commencé sous les meilleurs auspices pour lui en septembre dernier, sans aucun concurrent. À ce moment-là, la droite n'a officiellement plus de chef depuis qu'Éric Ciotti, qui était alors le président des LR, a rejoint Marine Le Pen lors des législatives surprises du mois de juin.
Une élection qui ne devait avoir qu'un seul candidat
Avec moins de 10% des députés dans l'hémicycle, rares sont ceux à compter postuler pour prendre la tête d'un parti démonétisé. Mais pour celui qui est devenu président des élus à l'Assemblée, la conquête du parti qu'il a dirigé de 2017 à 2019 est une manière de remettre la main sur les finances du mouvement et de prendre date pour la présidentielle de 2027.
La nomination de Michel Barnier à Matignon et de Bruno Retailleau, jusqu'ici méconnu du grand public, à l'Intérieur change toutefois la donne. De retour au gouvernement après 12 ans loin des allées ministérielles, la droite savoure.
"On risque de n'avoir que le ministère de la parole en l'absence de majorité parlementaire donc il faut taper vite et fort dans l'opinion et en profiter pour préparer la présidentielle", résume alors un conseiller ministériel.
Bras de fer
Message reçu 5 sur 5 par le nouveau locataire de l'Intérieur qui reprend le sillon qu'il avait tracé lorsqu'il était président des sénateurs LR en faisant de la lutte contre l'immigration irrégulière son cheval de bataille.
Dans un exécutif avec peu de poids lourds politiques, la greffe prend très vite et lui permet d'exploser dans les sondages. De quoi pousser son entourage à le presser d'entrer dans la course pour la présidence de la droite, au grand dam de Laurent Wauquiez qui voit venir le danger.
"Il y avait un accord entre nous, à toi d'incarner la droite au gouvernement, à moi de reconstruire notre famille politique. Si tu romps cet accord, tu porteras la responsabilité d'allumer une guerre des chefs", lui lance ainsi le président des députés LR lors d'un dîner en tête-à-tête.
"On boxe dans le vide"
Traduction d'un proche de Bruno Retailleau le lendemain: "Laurent Wauquiez voulait Bercy, il ne l'a pas eu. Là il se rend compte qu'il risque de ne même pas devenir président des LR. Le gars se dit qu'il va s'en sortir par un coup de pression. Mais trop de gens veulent que Bruno y aille", à commencer par le président du Sénat Gérard Larcher.
Une semaine à peine après ces agapes à Beauvau, l'ex-sénateur de Vendée rentre officiellement dans la course. Promis, le ministre de l'Intérieur ne se prêtera pas "au jeu des petites phrases" et "ne se prononcera contre aucun de ses concurrents".
"On dit toujours ça quand on entre en campagne. Mais, lui, très vite, on comprend qu'il va s'y tenir et ça complique la donne parce que ça veut dire qu'on boxe dans le vide", regrette un soutien de Laurent Wauquiez.
"Le problème, c'est que vous avez une telle exposition médiatique quand vous êtes à l'Intérieur que c'est très très dur de marquer des points et encore plus quand votre concurrent vous ignore", soupire l'un de ses proches.
Jusqu'à trois meetings par jour
Bruno Retailleau n'a de cesse de se démultiplier sur le terrain, poussé par une série de faits divers et des prises de paroles quasi-quotidiennes. Quant aux sondages pour la présidentielle de 2027, à prendre à précaution près de deux ans avec l'élection, le Vendéen ne plie pas le match mais se place largement devant Laurent Wauquiez.
De quoi pousser l'ex-président de la région Auvergne-Rhône-Alpes à adopter "la stratégie du rouleau compresseur" en jouant la carte du terrain avec au moins 2 meetings par jour voire même parfois 3. Et pas question d'oublier de prendre le temps de boire un verre avec les militants.
"C'est pas compliqué, on est les challengers donc on jette toutes nos forces dans la course", soutient un député LR, à la manoeuvre pour "faire des cartes" d'adhérents qui voteront dans la compétition.
L'enjeu est de taille: leur nombre est autour de 40.000, très loin des 139.000 votants lors de la primaire interne pour désigner leur candidat à la présidentielle en 2021.
"Parfois, ça tourne un peu au harcèlement. En mars, on en était à bloquer presque les sorties pour être certain que personne ne quittait de la salle sans avoir pris sa carte", reconnaît un soutien de Laurent Wauquiez.
"Petit moral"
Avec un certain succès: le nombre de militants triple en quelques mois avec près de 20% des forces issus directement de la région Auvergne-Rhône-Alpes, longtemps dirigé par le président des députés LR.
"Est-ce que ça nous suffire alors qu'on est très très loin derrière pour l'instant? Je ne sais pas", reconnaît l'un de ses lieutenants fin avril qui confie avoir "un petit moral".
Mais Laurent Wauquiez joue la carte de la positive attitude et se dit "sûr de gagner" comme il le confie à plusieurs reprises avec, dans sa manche, des arguments qu'il juge imparables.
L'élu de Haute-Loire n'a guère d'autre choix face à Bruno Retailleau qui peut se vanter d'être soutenu par tout ce que la droite compte de ténors et sans que sa campagne ne prenne vraiment médiatiquement.
La menace d'une "droite diluée dans le macronisme"
Mais la rencontre de dizaines de militants LR chaque jour lui permet d'affiner ses angles d'attaque. Devant les militants, il ne cesse de dire que Bruno Retailleau n'aurait pas le temps d'être à la fois un bon ministre de l'Intérieur et un président des LR à temps plein. Et tant pis si Nicolas Sarkozy y est tellement bien parvenu en 2005 qu'il est devenu président de la République en 2007.
Autre stratégie: attaquer le ministre de l'Intérieur en l'estimant pieds et poings liés dans un gouvernement macroniste, empêché d'avoir de vraies marges d'action.
"J'ai vu des gens qui voulaient voter Retailleau et une fois qu'on leur a expliqué qu'on ne pouvait rien faire parce qu'on est quand même dirigé par François Bayrou qui a soutenu François Hollande en 2012, ça les fait réfléchir", assure un élu local, soutien de Laurent Wauquiez.
"La droite va être diluée dans le macronisme", accuse à plusieurs reprises Laurent Wauquiez, laissant ainsi planer le doute d'un éventuel désistement de Bruno Retailleau en 2027 pour laisser la place libre à droite à Édouard Philippe.
Les OQTF à Saint-Pierre-et-Miquelon "pour faire parler de lui"
De quoi faire monter un peu le thermomètre entre les deux hommes qui s'écharpent à plusieurs reprises par médias interposés. Mais les résultats de Bruno Retailleau ont beau se faire toujours attendre et les camouflets s'enchaîner sur son bras de fer avec l'Algérie, la manœuvre ne semble pas renversée la vapeur.
Laurent Wauquiez décide donc de passer à la visite supérieure en mettant sur la table une mesure qu'il n'avait jamais abordé avec ses lieutenants et qui suscite le scepticisme jusqu'au Rassemblement national: l'envoi "d'étrangers dangereux" sous obligation de quitter le territoire (OQTF) à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Le message est clair: montrer aux militants LR que Bruno Retailleau symbolise "l'incapacité de la France à régler ce problème", l'accusant "d'accepter passivement que des criminels étrangers soient relâchés dans nos rues" comme il l'explique.
"Je ne suis pas très fan de l'idée mais au moins, ça a fait parler de lui", le soutient du bout des lèvres un député de droite.
"Désespéré"
À voir: "je pense qu'une mesure comme ça, ça plaît à nos militants mais est-ce qu'on peut gagner une présidentielle en disant ça? Je ne crois pas et nos militants, ils veulent qu'on gagne à la fin", remarque un élu, relativement neutre dans la course.
Dans le camp de Bruno Retailleau, on juge d'ailleurs que la compétition a été définitivement gagnée à ce moment-là. "Quand vous en êtes à sortir un truc comme ça, c'est que vous êtes au bout de ce que vous pouviez dire et que vous commencez à être désespéré. Et ça, ça fait fuir même les militants qui vous apprécient".
Alors que certains pronostiquaient dans l'entourage de Laurent Wauquiez d'autres "propositions pour faire réfléchir", le président des députés LR ne remet finalement pas de pièce dans la machine.
Tout juste appelle-t-il une semaine pile avant l'ouverture du vote des militants à "un cordon sanitaire" autour de La France insoumise lors d'un débat sur BFMTV face à Manuel Bompard, coordinateur du mouvement. Quant à sa main tendue à Sarah Knafo, la seule députée européenne de Reconquête pour lancer "un grand rassemblement de la droite", elle tombe à plat.
"La fin de campagne m'a semblé un peu triste, on a tourné à vide, sans grand-chose de nouveau à mettre sur la table. Bruno Retailleau pouvait se le permettre, pas nous", reconnaît un député LR.
"Un triple AVC" pour renoncer à 2027
Avec un symbole: le dernier grand meeting de campagne aura été dans le camp de son adversaire à Boulogne-Billancourt le week-end dernier. Se pose donc maintenant la question de la suite pour Laurent Wauquiez. Acceptera-t-il la très probable main tendue de Bruno Retailleau qui pourrait lui proposer un poste de vice-président du parti?
"Il faut lui laisser le temps de digérer ce qui s'est passé. C'est un gros coup sur la tête qu'il se prend", reconnaît un sénateur LR. Certains s'inquiètent cependant d'une rupture nette avec le mouvement.
"Est-ce qu'il va vraiment renoncer à son rêve de candidature en 2027? Est-ce qu'il se dit qu'il a une chance chez nous en poussant à une primaire interne ou est-ce qu'il acte qu'il doit partir?", se demande un député.
"Il faudrait qu'il ait un triple AVC pour renoncer à la présidentielle", observe de son côté un conseiller de Paris LR qui se dit "inquiet".
Parmi les députés LR, certains lui ont trouvé un surnom "Human bomb", du nom d'un preneur d'otages d'une maternelle en 1993. Au risque de faire exploser la droite en montant sa propre boutique?