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OQTF, régularisations, dossier Algérie... Un an après l'arrivée à Beauvau, quel bilan pour Bruno Retailleau à l'Intérieur?

Le ministre de l'Intérieur démissionnaire Bruno Retailleau, le 10 septembre 2025 à Paris

Le ministre de l'Intérieur démissionnaire Bruno Retailleau, le 10 septembre 2025 à Paris - Thibaud MORITZ © 2019 AFP

Nommé ministre de l'État le 21 septembre 2024, le Vendéen, devenu patron des Républicains, s'est taillé une stature de présidentiable. Après douze mois de travail, et beaucoup d'annonces, quel faut-il mettre au crédit du premier flic de France?

Un anniversaire en sourdine. Habitué des plateaux de télévision et des conférences de presse, Bruno Retailleau est plutôt discret pour fêter sa première année à la tête du ministère de l'Intérieur. Est-ce parce qu'il est officiellement démissionnaire tant que Sébastien Lecornu ne l'a pas reconduit dans ses fonctions ou est-ce parce qu'il n'a pas un désir débordant de promouvoir son bilan place Beauvau?

Alors que Bruno Retailleau est devenu président des Républicains et potentiel candidat à la présidentielle de 2027, BFMTV passe en revue ses annonces et leur concrétisation.

• Allongement de la durée en centre de rétention

Méconnu des Français, Bruno Retailleau donne le ton quelques jours après son arrivée place Beauvau, en évoquant la mort de Philippine, jeune femme de 19 ans, dans le bois de Boulogne. Le suspect, déjà condamné par le passé pour viol, était sous le coup d'une OQTF (obligation de quitter le territoire français).

"Nous devons faire évoluer notre arsenal juridique", exhorte alors l'ex-président des sénateurs LR qui met sur la table l'allongement du placement en centre de rétention administratif d'étrangers "dangereux" sous le coup d'OQTF.

Dans cette catégorie, le ministre évoque les étrangers déjà condamnés pour viol, meurtre ou encore vol aggravé avec violence et trafic de stupéfiant. Jusqu'ici fixée à 90 jours maximum, Bruno Retailleau annonce vouloir la faire passer dans un premier temps à 210 jours puis finalement à 547 jours après l'attentat à Mulhouse en 22 février dernier, qui a coûté la vie à un homme. Le suspect était lui aussi sous le coup d'une OQTF.

En juillet, la mesure, ardemment réclamée par le Sénat depuis des années, est votée à l'Assemblée nationale et fait passer la durée en centre de rétention de 90 jours à 210 jours maximum. Mais un mois plus tard, la mesure est censurée par le Conseil constitutionnel.

La nouvelle loi a pour défaut, notamment, de "maintenir un étranger en rétention pour une durée particulièrement longue sans prévoir qu’une telle mesure n’est possible qu’à titre très exceptionnel", peut-on lire dans la décision des Sages.

Face à Face : Bruno Retailleau - 17/09
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Cette décision a tout d'un camouflet pour Bruno Retailleau qui militait depuis des années pour cette mesure. Il promet dans la foulée de présenter un "texte modifié". Pour l'instant, cette annonce est restée au point mort depuis le renversement du gouvernement de François Bayrou. S'il est confirmé à son poste par Sébastien Lecornu, "un texte sera présenté", précise cependant un proche de Bruno Retailleau auprès de BFMTV.

Les Sages ont par ailleurs bien validé les possibilités contestées par la gauche de placer en rétention un demandeur d’asile dont le comportement constitue une menace à l’ordre public ou qui présente un risque de fuite, lorsque l’assignation à résidence s’avère insuffisante.

• Application des OQTF

Bruno Retailleau a promis également de "faire exécuter davantage les OQTF" pour être certain que les personnes sous le coup de mesure d'éloignement du territoire français finissent bien par partir. Le ministre de l'Intérieur en a fait un objectif et l'a rappelé à maintes reprises dans les médias et lors de ses échanges avec les préfets.

Mais il est difficile de savoir si le ministre de l'Intérieur a vraiment changé la donne. Les chiffres officiels s'arrêtent à la fin de l'année 2024, quatre mois donc après son arrivée au gouvernement. Dans une étude publiée sur le site du ministère, on peut lire que les sorties du territoire français des étrangers en situation irrégulière sont "en hausse continue" depuis 2020. En 2024, "les éloignements de personnes en situation irrégulière" ont par exemple augmenté de 26,7% par rapport à 2023 et atteignent 21.061 éloignements sur l'année.

Mais ce chiffre peut être trompeur: il englobe par exemple des personnes en situation irrégulière qui partent d'elles-mêmes et qui représentent plus de 50% de ces départs. Quant à la réalité du nombre d'OQTF qui finissent par l'expulsion des personnes concernées, il n'existe plus de chiffre officiel publié. Il s'agit d'une "réalité difficile à appréhender", peut-on lire dans un rapport parlementaire de juin 2025. "Le ministère de l'Intérieur ne diffuse plus de rapport annuel" en dépit d'une obligation légale, regrettent les rapporteurs.

Didier Leschi, le directeur général de l'Office français de l'Immigration et de l'intégration, a cependant indiqué plusieurs chiffres sur France info en février dernier. D'après lui, 140.000 OQTF ont été prononcées en 2024. Parmi les personnes sous le coup de cette mesure, 20.000 retours vers leur pays d'origine ont été enregistrés. Contacté, le ministère donne d'autres chiffres et cite 129.833 OQTF prononcées qui ont débouché sur 21.601 éloignements l'an dernier. Quels que soient les chiffres retenus, cela signifie donc qu'il y a plus de 100.000 OQTF qui n'ont pas été appliquées en 2024.

"Beaucoup de choses ne sont pas entre nos mains. Le ministre ne l'a jamais nié", reconnaît sobrement un spécialiste du sujet au ministère de l'Intérieur.

Premier problème pour mieux faire exécuter les OQTF: le manque de place dans les centres de rétention administrative. Aujourd'hui, dans les 27 centres de rétention administratifs en métropole et en outre-mer, 1.950 places existent. Le ministre de l'Intérieur veut porter ce chiffre à 3.000 d'ici 2027. Dans un contexte de finances publiques tendues, la mesure sera-t-elle dans le prochain budget 2026 présenté par Sébastien Lecornu? Réponse à l'automne.

D'autres raisons qui expliquent le manque d'exécution des OQTF relèvent plutôt de critères juridiques ou diplomatiques sur lesquelles Bruno Retailleau n'a pas la main: OQTF mal ficelées qui concernent des personnes qui ne peuvent pas être éloignées de France en raison de leur situation familiale ou de la situation politique de leur pays d'origine, absence de coopération des pays d'origine sans qui l'éloignement n'est pas possible...

• Grande loi sur l'immigration

Pour marquer les esprits et avoir plus de marge de manœuvre, notamment donc sur les sujets juridiques, le ministre avait pourtant espéré une nouvelle loi immigration qu'il aurait pu porter avec son collègue garde des Sceaux, Gérald Darmanin.

La porte-parole du gouvernement d'alors, Maud Bregeon, l'avait même annoncée sur BFMTV pour "le début de l'année 2025". Mais la chute de Michel Barnier contrarie ces plans. Une fois François Bayrou nommé, c'est niet.

Il faut dire que les deux derniers textes sur le sujet ont laissé de très mauvais souvenirs. En 2018, la macronie, pourtant largement en position de force, s'était écharpée sur la loi asile-immigration de Gérard Collomb. Quant à la loi portée par Gérald Darmanin en décembre, son parcours a été chaotique, après avoir été rejetée avant même le moindre débat par les députés en décembre 2023, elle a finalement été votée puis largement censurée par le Conseil constitutionnel.

"François Bayrou n'allait pas faire péter le socle commun pour les beaux yeux de Bruno Retailleau. Très vite, on a donc acté qu'il n'y aurait pas de nouvelle loi immigration", confie l'un des conseillers du centriste.

Bien décidé à obtenir des résultats, Bruno Retailleau entend contourner l'obstacle et passer par des circulaires. Ces textes qui sont envoyés aux préfectures et qui donnent des consignes précises ont le net avantage de ne pas avoir besoin de l'accord du Parlement. Souvent techniques, les circulaires ont seulement besoin de l'impulsion et de la signature du ministre de l'Intérieur pour exister.

• Freiner la régularisation des personnes sans-papiers

Si elles passent souvent inaperçues en dehors des administrations concernées, le ministre est bien décidé à faire des circulaires un instrument politique. Premier exemple fin janvier avec la fin de celle portée par Manuel Valls en 2012. Promesse de campagne de François Hollande, ce texte avait été conçu pour désengorger les préfectures et répondre rapidement à des situations que faisaient souvent remonter les députés ou les maires. On trouvait par exemple régulièrement la demande de régulariser une personne sans-papier dans un restaurant qui ne parvenait pas à recruter.

Le but était que cette circulaire Valls fluidifie la régularisation des personnes sans-papiers qui travaillent plutôt que de recourir à une procédure de régularisation classique, souvent beaucoup plus longue. Pour marquer la fin de cette circulaire, Bruno Retailleau martèle ses messages, lors d'une longue conférence de presse dans les Yvelines.

"L'immigration n'est pas un droit, la régularisation n'est pas un droit. Il ne peut pas y avoir pas de prime à la fraude. Régulariser, ça doit être l'exception", insiste-t-il sous l'œil des caméras.

Une vraie révolution donc? Le constat est à nuancer. Sur les OQTF, le durcissement de ton est très net. Jusqu'ici, les services préfectoraux devaient "réceptionner systématiquement" les demandes d'admission aux séjours des personnes sans-papiers. Cette situation devait avoir lieu "y compris" lorsque ces demandeurs faisaient "l'objet d'une OQTF, même si elle avait été confirmée par le juge".

Autrement dit, une personne sous le coup d'une OQTF pouvait malgré tout demander un nouveau titre de séjour. Sans l'interdire formellement- il faudrait une loi pour cela - Bruno Retailleau exhorte les préfets à ne surtout pas leur accorder des papiers et rappelle qu'ils ont trois ans pour expulser ces personnes.

Sans revenir sur la possibilité de régulariser plus facilement les personnes sans-papiers qui travaillent, elle conseille aux services préfectoraux d'exiger une "durée de présence d'au moins 7 ans en France" contre 5 ans aujourd'hui.

Pour le reste, Bruno Retailleau se contente de rappeler la loi pour cette catégorie de personnes: exigence d'avoir travaillé 12 mois sur deux ans au lieu de 8 mois, interdiction de régulariser des personnes en situation de polygamie...

Cette circulaire peut-elle vraiment faire baisser significativement le nombre de régularisations en France? Le doute est permis puisqu'elle ne concerne finalement que peu de monde.

Jusqu'au début 2025, l'application de la circulaire Valls concernait chaque année environ 30.000 personnes, d'après des chiffres de la Cour des comptes. À titre de comparaison, 4,2 millions de titres de séjour sont actuellement valides en France suivant les chiffres du ministère de l'Intérieur. Le ministère assure cependant que les régularisations faites au titre de la circulaire Valls ont baissé de 33% ces 10 derniers mois.

• Durcissement des conditions de naturalisation

Deuxième épisode en mai avec la circulaire sur la naturalisation. Même méthode et mêmes consignes aux préfets qui oscillent entre vrai changement et simples rappels de la loi.

"Cette circulaire, c'est une rupture", assène-t-il pourtant, jugeant que "devenir Français, doit se mériter et qu'on on doit être très très exigeant" sur ce dossier.

Entre le rappel du renforcement de la maîtrise de la langue française et de "l'adhésion aux valeurs de la République", déjà toutes les deux présentes dans la loi immigration de Gérald Darmanin, le texte ajoute un critère qui n'existait pas jusqu'ici, "une insertion professionnelle de 5 ans".

Quant au principe d'avoir des "ressources suffisantes et stables" sur lequel insiste alors longuement Bruno Retailleau, aucun montant spécifique n'est évoqué. Tout juste est-il précisé que ces "ressources" ne doivent pas uniquement reposer sur des prestations sociales.

Le ministère avance le chiffre d'une baisse des naturalisations de 20% entre octobre 2024 et juillet 2025, une période donc qui recouvre également des mois où la nouvelle circulaire n'existait pas.

"Ce n'est pas rien ce chiffre mais c'est vrai que ces circulaires ne sont pas non plus une révolution. Mais on fait avec les contraintes politiques qui étaient les nôtres", plaide un sénateur LR qui suit de près les dossiers migratoires.

• Dossier algérien

Autre levier d'action pour Bruno Retailleau: ralentir les arrivés sur le terrain français, y compris de façon légale. Plus de 2,8 millions de visas ont été accordés en 2024, d'après les chiffres du ministère de l'Intérieur. Près de 10% d'entre eux sont accordés à des personnes de nationalité algérienne en vertu de l'accord de 1968 entre la France et l'Algérie.

Ce texte, qui hérisse la droite et l'extrême droite depuis plusieurs années, a créé un statut unique pour les ressortissants algériens en matière de circulation, de séjour et d'emploi. Il contient notamment des mesures qui assouplissent l'arrivée et la délivrance de titres de séjour aux ressortissants algériens.

Cet accord passe d'autant moins pour Bruno Retailleau que l'Algérie refuse régulièrement de reprendre sur son territoire des ressortissants sous le coup d'OQTF. Le pays a par exemple "refusé à dix reprises" l'expulsion par la France du principal suspect de l'attentat de Mulhouse.

Le dossier algérien permet également au ministre de l'Intérieur de se positionner sur d'autres sujets que les siens. Depuis des mois, les tensions sont au plus haut entre Paris et Alger autour de la question de la souveraineté du Sahara et de l'emprisonnement de l'écrivain franco-algérien Boualem Sansal depuis novembre et plus récemment du journaliste Christophe Gleizes.

Problème: les dossiers diplomatiques ne sont pas les siens. C'est bien le ministère des Affaires étrangères qui a la main sur les relations franco-algériennes et seul Emmanuel Macron peut décider de revenir sur ce traité.

Mais le ministre de l'Intérieur ne s'avoue pas vaincu, multiplie les prises de parole sur le sujet, quitte à agacer le Quai d'Orsay, et décide de prendre le problème par un autre bout.

En février, à l'issue d'un Conseil interministériel incarné par François Bayrou, alors soucieux de donner des gages à Bruno Retailleau, le Premier ministre de l'époque donne son accord pour communiquer à Alger une liste de ressortissants algériens aux profils les plus "dangereux" à reprendre "sans délai". Si l'Algérie refuse, le centriste s'engage à "réexaminer les accords de 1968 dans un délai d'un mois ou de six semaines". "Nous riposterons de façon graduée", insiste de son côté Bruno Retailleau

Mais pas question pour Emmanuel Macron d'aller sur ce terrain, notamment pour des questions liées au gaz et au pétrole algérien, plus précieux que jamais pour la France. Jusqu'ici plutôt discret sur les velléités de Bruno Retailleau, le chef de l'État le renvoie ainsi publiquement dans ses cordes, dénonçant lors d'une conférence de presse au Portugal en février dernier des "jeux politiques". Emmanuel Macron refuse encore de dénoncer "unilatéralement" les accords et juge "ridicule" de "se parler par voie de presse".

Depuis lors, le dossier sur la question des accords de 1968 n'a guère avancé. La France demande cependant aux dignitaires algériens dotés d'un passeport diplomatique d'obtenir un visa pour venir en France et Emmanuel Macron défend désormais une approche de "plus grande fermeté".

• Une loi sur le narcotrafic

Dernier dossier sur la table lors pour Bruno Retailleau: la question du narcotrafic. Après avoir dénoncé "la mexicanisation" de la France, le ministre de l'Intérieur a voulu prendre à bras le corps l'explosion du marché de la cocaïne, en passe de dépasser celui du cannabis en France, tout en luttant "le piège du narcotrafic", pour reprendre l'expression d'un rapport parlementaire.

Le phénomène dépasse désormais largement les frontières franciliennes et marseillaises, longtemps épicentres du trafic de drogue. Il s'est désormais étendu ces dernières années à des villes moyennes comme Valence, Rennes et Mulhouse avec des conséquences souvent tragiques.

Très engagé sur ce dossier lorsqu'il était président des sénateurs LR, Bruno Retailleau a repris à son compte la proposition de loi transpartisane portée par deux élus de la chambre haute aux bords politiques opposés - Jérôme Durain (PS) et Étienne Blanc (LR). De quoi lui permettre de parvenir à faire largement voter une loi contre le narcotrafic.

Mesure phare de ce texte: la création en janvier 2026 d'un parquet national anticriminalité organisée, compétent sur les dossiers les plus graves et complexes sur le modèle du parquet national antiterroriste. Une demande de longue date des magistrats. Un dispositif controversé permettant la création d'un "dossier-coffre" ou "procès-verbal distinct", pour ne pas divulguer certaines informations relatives à des techniques spéciales d'enquête aux trafiquants et à leurs avocats, va également voir le jour avec cette loi, tout comme diverses dispositions renforçant l'arsenal de lutte contre le blanchiment ou facilitant le travail des enquêteurs.

Au-delà de cette loi, Bruno Retailleau a également lancé une campagne de publicité contre la consommation de stupéfiants en février dernier. Pour rompre avec "la logique" qui "consiste à présenter les usagers de drogue comme des victimes d'une addiction". Concrètement, on peut par exemple voir dans l'un de ces spots une personne allumer un joint et sniffer un rail de cocaïne. Le produit prend feu et forme le contour d’une scène de crime avec la mention: "Chaque jour, des personnes payent le prix de la drogue que vous achetez".

Pour quelle efficacité? Là encore, c'est difficile à dire, les chiffres de consommation de stupéfiants se faisant année par année. La méthode, qui visait à marquer les esprits, a semblé laisser sceptique la principale association de lutte contre la toxicomanie en France.

"Si ce type de campagne a pu faire ses preuves dans la prise de conscience des dangers du tabac, l’efficacité d’une campagne choc sur la consommation de drogues est plus incertaine", peut-on lire sur le site d'Addictions France.

Conclusion de ce bilan après un an place Beauvau pour Bruno Retailleau? "Un peu court pour en faire un candidat incontesté pour la présidentielle en 2027", tranche un poids lourd de la macronie. De quoi le pousser peut-être à vouloir rester à l'Intérieur pour faire ses preuves?

Marie-Pierre Bourgeois