Manœuvres politiques, risque de censure… François Bayrou joue-t-il sa peau avec la fin du conclave sur les retraites?

Le premier secrétaire du PS, Olivier Faure et l'actuel Premier ministre, François Bayrou, le 7 février 2024 lors d'une cérémonie pour les victimes de l'attaque terroriste du Hamas contre Israël - GONZALO FUENTES / POOL / AFP
L'instant de vérité. Le conclave sur les retraites lancé début février doit se finir ce mardi soir. Si François Bayrou s'est dit prêt à accorder "quelques jours de plus", l'ensemble des partenaires sociaux veulent en finir rapidement et parvenir à un accord, même minimal.
La gauche attend désormais qu'il arrive au Parlement pour pouvoir enfin se prononcer sur cette réforme qui n'a jamais été votée par les députés. Mais la séquence est à haut risque pour le Premier ministre qui pourrait se voir censurer par les socialistes qui ne font pas semblant.
"On est toujours en capacité de déposer une motion de censure si François Bayrou ne tient pas ses engagements. C'est une option posée sur la table avec beaucoup de sérieux", menace le député socialiste Laurent Baumel auprès de BFMTV.
"Les mains libres"
C'est pourtant le centriste lui-même qui est à l'initiative de ces rendez-vous chaque semaine entre syndicats et patronats depuis trois mois. Pour arracher un accord de non-censure aux socialistes sur les budgets en janvier dernier, François Bayrou avait passé un marché avec les députés socialistes.
En échange de la bienveillance des troupes d'Olivier Faure à l'Assemblée sociale, Matignon s'engageait à poser tous les sujets liées à la réforme des retraites, "sans tabou ni totem".
Mais très vite, les discussions ont du plomb dans l'aile, entre des syndicats qui claquent la porte des négociations et le chef du gouvernement qui sort lui-même le passage à la retraite à 64 ans des discussions, pourtant principal point de divergence. De quoi susciter déjà la colère des socialistes.
"Il y a eu un petit côté 'maintenant que le PS a topé, j'ai les mains libres et j'avance mes pions et tant pis s'ils ne sont pas contents", reconnaît un député Modem.
Se méfier du Parlement
Soucieux de parvenir à un accord, même minimal entre partenaires sociaux, François Bayrou a lancé une proposition de dernière minute ce week-end dans les colonnes de La Tribune dimanche en évoquant la création d'une "prime" aux salariés seniors. Si la mesure suscite le scepticisme des syndicats, elle ne devrait pas empêcher les partenaires sociaux, à la fin, de toper ensemble.
Mais quid de la suite? Le premier secrétaire du PS Olivier Faure expliquait dès le mois de janvier souhaiter que le Parlement "puisse avoir le dernier mot" sur la réforme des retraites, qu'il y ait accord total, partiel ou pas d'accord du tout entre partenaires sociaux.
François Bayrou, lui, avait avait évoqué, "la saisie du Parlement" lors du prochain budget de la sécurité sociale à l'automne "ou avant et si nécessaire par une loi", si les syndicats "trouvaient un accord d'équilibre et de meilleure justice".
Flou volontaire
Mais tout débat sur le sujet pourrait virer au cauchemar pour François Bayrou qui pourrait être censuré par l'ensemble de la gauche et le RN, entraînant immédiatement sa chute.
Très conscient du risque, le centriste entretient volontairement le flou sur l'opportunité de saisir l'Assemblée. Interrogé sur le rôle du Parlement dans le dossier des retraites, il a finalement expliqué dans La Tribune dimanche que "tout dépendra si l'accord compte ou non des dispositions législatives".
Comprendre: il est possible que certaines évolutions demandées par les partenaires sociaux n'aient pas besoin de l'aval des députés, s'évitant ainsi le risque d'une censure.
"Nous ne nous ferons pas avoir. Si le Parlement n'a pas le dernier mot, nous censurerons le Premier ministre", a insisté de son côté Olivier Faure à l'Assemblée nationale.
"On a l'impression qu'il veut enjamber l'Assemblée et éviter de tomber. Tout ça n'est pas très sérieux", s'agace de son côté le député PS Emmanuel Grégoire.
"Le maître des horloges"
On imagine de toute façon mal François Bayrou pouvoir vraiment se passer du Parlement. Les principales pistes évoquées, que ce soit l'évolution des carrières longues, le retour de certains critères de pénibilité ou le développement des surcotes pour les mères de familles, ont toutes besoin de rentrer dans la loi.
"Comme souvent, François Bayrou cherche à gagner du temps. Plus la question des retraites arrive tard devant les députés, meilleur c'est pour lui. Et tant pis si tout ça semble décider sur un coin de table un peu bancal", détaille un député macroniste qui suit de près le dossier.
"C'est lui le maître des horloges sur ce coup. Il n'a pas tellement de cartes en main vu le peu de gens qui le soutiennent à l'Assemblée, hormis celle-ci. Donc il ne va pas s'en priver", partage un conseiller ministériel.
Des municipales qui donnent de l'espoir à Bayrou
Le Premier ministre pourrait utiliser le retour des députés dans l'hémicycle à l'automne pour insérer dans le budget de la sécurité sociale certaines dispositions sur les retraites. À ce moment-là, on ne sera plus qu'à cinq mois des élections municipales.
Dans un contexte politique compliqué pour les socialistes, talonnés dans plusieurs grandes villes par les insoumis, François Bayrou fait le pari que les troupes d'Olivier Faure n'auront pas envie de le renverser à ce moment-là.
Autant dire que les socialistes ont tout intérêt à vouloir accélérer le calendrier et à pouvoir se prononcer sur l'accord du conclave avant le 11 juillet et la fin des travaux parlementaires.
En cas de censure à ce moment-là, le départ de François Bayrou laisserait en effet le temps à Emmanuel Macron de lui trouver un successeur d'ici la rentrée pour plancher sur les budgets ou organiser une éventuelle nouvelle dissolution, jusqu'ici écarté par le chef de l'État.
"Franchement, est-ce que vraiment quelqu'un veut jouer à l'apprenti-sorcier en censurant François Bayrou, en mettant le pays dans la mouise sans budget à l'automne? Tout ça n'est pas sérieux", s'agace un député Horizons.
"On va pas commencer à faire du chantage"
Au-delà même des questions politiques que poseraient un départ de François Bayrou, l'hypothèse semble peu probable, faute de place dans l'agenda. Entre une réforme du statut de l'élu, les débats sur le nucléaire et le projet de loi sur l'audiovisuel public, il semble bien compliqué de trouver du temps pour débattre des retraites.
Du côté du ministère des Relations avec le Parlement, on nie tout calcul de billards à 3 bandes.
"On ne va pas commencer à faire du chantage sur des dates. La démocratie sociale mérite mieux que cela. Tout ça parviendra bien à s'intégrer dans le mécano de l'Assemblée", jure-t-on dans l'entourage de Patrick Mignola.
Quant au fond de l'accord, il ne devrait pas être en mesure de rassurer les socialistes. "S'il n'y a pas de mesure relative à l'âge légal de départ, je vois comment nous pourrions l'approuver", résumé le député PS Jérôme Guedj.
Mais il est extrêmement peu probable que la fin des 64 ans soit finalement sur la table, le Medef ayant déjà affiché son inflexibilité sur le sujet. Sans vouloir le dire très clairement, les syndicats ont pris acte de cette situation. Ils ne devraient pas renoncer pas à revendiquer le retour à 62 ans, mais pourraient très probablement signer un accord si l'âge de départ était abaissé pour certaines catégories de personnes.
La France insoumise, elle, a déjà prévenu. "S'il n'y a pas d'abrogation de la réforme de la retraite à 64 ans, nous proposerons à l'ensemble des groupes de gauche de déposer une motion de censure", a expliqué ce mardi matin la présidente des députés LFI Mathilde Panot depuis l'Assemblée.