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Coup de poker, charge contre les boomers... Les 14 jours qui ont mené à la chute de François Bayrou

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Inflexible sur les 44 milliards d'économies à trouver pour désendetter le pays, le Premier ministre François Bayrou n'a jamais semblé véritablement ouvert aux revendications des oppositions. Un entêtement qui l'a mené à sa chute.

Le "moment de vérité" enfin arrivé pour François Bayrou. Deux semaines après avoir lié son avenir politique à la question du budget, le Premier ministre se présente ce lundi 8 septembre à 15 heures devant les députés pour tenter de les convaincre, une dernière fois, de voter la confiance à son gouvernement.

Le pari semble perdu d'avance, les oppositions ayant déjà acté sa chute. Sauf coup de théâtre, François Bayrou va devenir le premier chef de gouvernement de la Ve République à tomber sur un vote de confiance.

Le centriste, qui se savait menacé par une motion de censure à l'automne sur le budget 2026, a préféré prendre les devants. Le lundi 25 août, il lance lui-même le compte à rebours en annonçant à la surprise générale recourir d'ici deux semaines à l'article 49 alinéa 1er de la Constitution pour engager la responsabilité de l'exécutif. Depuis 2022, aucun Premier ministre ne s'y était risqué, faute de majorité suffisante dans l'hémicycle.

"Hara-kiri"

En jouant son va-tout, François Bayrou dit vouloir provoquer une prise de conscience collective de la situation budgétaire du pays. "Y a-t-il ou pas urgence nationale à rééquilibrer les comptes, à échapper au surendettement en choisissant de réduire nos déficits et de produire davantage? Voilà la question centrale", insiste celui qui porte un plan d'économies de 44 milliards d'euros.

Mais les espoirs du Béarnais sont vite douchés. Sitôt le vote de confiance annoncé, le Rassemblement national et la gauche, Parti socialiste compris, se disent prêts à faire tomber le gouvernement. L'équation semble impossible à résoudre. "Auto-dissolution", "hara-kiri"... La presse et l'opposition ironisent sur ce Premier ministre qui voudrait "mourir sur scène".

François Bayrou "soigne plus sa sortie que le pays", tacle le chef des députés socialiste Boris Vallaud.

"Il nous met dans la merde"

La décision prend de court le gouvernement, prévenu à peine une demi-heure plus tôt par François Bayrou. En coulisses, les ministres sont amers. "Comme d'habitude, il décide de tout, tout seul, sans écouter personne, quitte à aller à la catastrophe nucléaire", s'agace l'un d'eux.

"Il nous met dans la merde", tempête un autre en préparant ses cartons.

"Quand il nous a prévenus juste avant sa conférence de presse, on pensait qu’il avait pris cette décision avec l'assurance que les oppositions s'abstiendraient pour le vote de la confiance", s'étonne encore un ministre LR.

Si les dés semblent jetés, François Bayrou veut croire en sa bonne étoile et met la pression sur les oppositions. Les députés ont "13 jours", d'ici le vote de la confiance le 8 septembre, pour choisir entre "le chaos" ou "la responsabilité", assène-t-il le 26 août à l'université d'été de la CFDT, enjoignant les élus à renoncer à leurs "réflexes spontanés".

Marathon médiatique

Le Béarnais se lance ensuite dans un long marathon médiatique. En écumant les plateaux télé, il veut prendre à témoin les Français sur le "danger immédiat" et "mortel" de la dette, quitte à dramatiser les enjeux. Selon lui, la "question" posée lors du vote de confiance n'est pas celle du "destin du Premier ministre" mais du "destin de la France".

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Mais de sondage en sondage, les mesures mises sur la table par François Bayrou sont largement rejetées par les Français, à l'instar du gel des prestations sociales ou de la suppression de deux jours fériés. Ses interventions médiatiques ne vont pas permettre d'inverser la tendance.

Sur TF1, le Premier ministre irrite les Français les plus âgés en pointant du doigt le "confort des boomers", génération qu'il oppose aux jeunes "esclaves" de la dette contractée avant eux. Une sortie audacieuse, mais extrêmement risquée. Avant lui, aucun chef de gouvernement n'avait osé s'en prendre à cet électorat habituellement choyé par la classe politique.

François Bayrou déconcerte aussi quand il explique qu'il n'a pas pu négocier le budget pendant l'été parce que les responsables politiques étaient "en vacances". "Des mots maladroits", critique la présidente de l'Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet, tandis que la gauche et le RN dénoncent un "mensonge".

"Le seul qui n'était pas en vacances, c'était moi", persiste-t-il encore dans une interview à BFMTV et aux trois autres chaînes d'information, achevant de braquer les oppositions.

Les 44 milliards, cap indépassable

Dans l'impasse, François Bayrou convoque à Matignon les responsables des différents partis pour des consultations. Le patron du Modem répète qu'il est prêt à "ouvrir toutes les négociations nécessaires" à la "condition préalable" d'un accord sur "l'importance de l'effort" à consentir, soit 44 milliards d'euros d'économies.

Une démarche qui arrive un peu tard. Après La France insoumise, les Écologistes font savoir qu'ils ne se rendront pas rue de Varenne, considérant qu'il n'y a "plus rien à attendre de ce Premier ministre". Si le RN consent à rencontrer le chef du gouvernement le 2 septembre, le parti d'extrême droite considère que la page Bayrou "est tournée", qu'il est "trop tard" pour dialoguer. Venue "par courtoisie républicaine" le 4 septembre, la délégation socialiste acte la fracture entre "deux projets" que tout oppose.

Le président Emmanuel Macron avait pourtant enjoint, lors d'un déjeuner à l'Élysée, son Premier ministre de "travailler avec les socialistes" et d'autres partis à l'exclusion de LFI et du RN pour "élargir" son assise. Mais durant les deux semaines qui le séparaient du vote à l'Assemblée nationale, le Premier ministre n'a jamais fait aucun geste à même de rassurer la gauche.

Sur la mesure la plus impopulaire de son plan, la suppression de deux jours fériés, il s'est contenté de répéter sans conviction qu'il était "ouvert" à la réexaminer, à condition que les 4 milliards que cette mesure devait rapporter soient compensés.

"Pas d'ordonnance avant le diagnostic"

Tout juste a-t-il semblé faire un pas en direction de la droite et l'extrême droite, confirmant des projets de décrets visant à réduire la liste des soins de santé pris en charge par l'Aide médicale d'État (AME) pour les étrangers en situation irrégulière. Sans faire changer d'avis le RN. Le président du parti, Jordan Bardella, s'est dit sur RMC "pas dupe" de la "mansuétude" du Premier ministre à l'égard de sa formation politique "à quelques jours d'une chute probable".

Accusé de faire les choses à l'envers en demandant la confiance avant même de négocier avec les forces politiques, François Bayrou défend sur BFMTV-RMC sa décision, jugeant "absurde" de "commencer par l'ordonnance avant de faire le diagnostic".

Le Premier ministre concède que le scénario de sa chute est "peut-être réaliste" mais que lui se refuse à être "défaitiste", jugeant encore "possible" que les députés ne votent pas contre lui. "Quand on croit en quelque chose dans la vie, on se bat jusqu'à la dernière minute", déclare encore jeudi sur France 2 celui qui se compare à Pierre Mendès-France, resté comme lui moins de neuf mois à Matignon (1954-1955) et dont "on parle encore". "C'est déjà pas mal neuf mois" à Matignon, a-t-il estimé ce dimanche, 24 heures avant le couperet de l'Assemblée, assurant au média en ligne Brut, pour la dernière étape de son chant du cygne médiatique, n'avoir "aucun regret".

Malgré l'échec qui s'annonce, François Bayrou assure que ses "aventures" politiques ne sont pas "finies", sans dire s'il comptait se représenter à la mairie de Pau ou à l'élection présidentielle. "Je serai là en 2027 mais ça ne veut pas dire candidat à l'élection présidentielle. Ça n'est pas dans mon objectif aujourd'hui", a déclaré le Premier ministre vendredi sur RTL. Mais "c'est toujours possible", prend-il le soin de préciser...

François Blanchard