BFMTV
Animaux

"Des animaux que l'on collectionne puis que l'on tue": pourquoi des zoos abattent-ils des spécimens en parfaite santé?

Un panda roux au zoo Hellabrunn à Munich (Allemagne), le 6 février 2025.

Un panda roux au zoo Hellabrunn à Munich (Allemagne), le 6 février 2025. - Photo par MARTIN ZWICK / Biosphoto / Biosphoto via AFP

Depuis plusieurs années, des zoos européens pratiquent l'euthanasie pour des raisons autres que médicales. La France, qui s'inscrit dans les programmes de conservation internationaux, n'échappe pas à cette règle. Un constat qui fait bondir les défenseurs de la cause animale qui pointent du doigt de graves manquements dans la gestion des zoos nationaux.

Le saviez-vous? Régulièrement, des animaux en parfaite santé logés dans des zoos sont... abattus. Le dernier exemple en France: 205 chauves-souris gazées à Montpellier. Dans d'autres pays d'Europe, ce sont des babouins voire même des bébés tigres qui rencontrent ce sort.

Pourquoi? Les raisons sont diverses. Parce que les enclos sont devenus trop petits pour tous les accueillir: la surpopulation devenant synonyme d'agressions entre individus d'une même espèce. Ou bien encore parce qu'à force de reproduction la consanguinité explose dans ces structures.

La pratique a même un nom, le "culling", ou abattage en bon français. Un terme à ne pas confondre avec l'euthanasie, un acte qui, lui, est justifié par des raisons médicales.

"Il n'existe absolument aucune transparence sur le nombre d'abattages qui ont lieu chaque année. Ce n'est pas 'normal', surtout si on part du principe que la démarche est encadrée", dénonce auprès de BFMTV Muriel Arnal, présidente de l'association One Voice.

La pratique est très largement décriée par les associations de protection et de sauvegarde de la faune sauvage, qui réclament aujourd'hui des "alternatives d'urgence". "Les animaux ne sont pas des objets que l'on collectionne, que l'on jette, puis que l'on tue", martèle Muriel Arnal.

Marius, le girafon disséqué en public

C'est "l'affaire Marius", en date du 9 février 2014, qui a permis de mettre en lumière la pratique. À cette époque, au zoo de Copenhague (Danemark), un girafon de deux ans prénommé Marius est abattu pour des raisons de "gestion génétique".

Marius en bonne santé dans son enclos, deux jours avant d'être abattu et disséqué en public. Copenhague (Danemark), le 7 février 2014.
Marius en bonne santé dans son enclos, deux jours avant d'être abattu et disséqué en public. Copenhague (Danemark), le 7 février 2014. © Photo par KELD NAVNTOFT / SCANPIX DENMARK / AFP
Marius, un girafon de deux ans, a été abattu au zoo de Copenhague (Danemark), le 9 février 2014, malgré une pétition en ligne signée par des milliers d'amoureux des animaux pour le sauver.
Marius, un girafon de deux ans, a été abattu au zoo de Copenhague (Danemark), le 9 février 2014, malgré une pétition en ligne signée par des milliers d'amoureux des animaux pour le sauver. © Photo par KASPER PALSNOV / SCANPIX DENMARK / AFP

En très bonne santé, l'animal possède néanmoins des gènes "surreprésentés" dans la population européenne de girafes captives. Sans possibilité d'un transfert dans une autre structure ni de reproduction future, Marius sera donc tué par balle et disséqué sous les yeux des visiteurs du parc, avant d'être finalement donné aux lions et aux singes. Parmi les personnes présentes ce jour-là: des journalistes dont un photographe de l'AFP, des visiteurs lambdas, mais aussi et surtout des enfants.

"C'est de la cruauté. (...) Et encore, il s'agissait d'un animal 'charismatique' donc les gens ont peut-être davantage prêté attention à ce qu'il se passait, c'est différent pour des chauves-souris, par exemple", s'indigne Alexandra Morette, responsable des relations presse pour Code Animal.

Le cas des chauves-souris françaises "endormies sous CO2"

Marius, un cas isolé? Non, la pratique a bel et bien lieu en France. En février dernier au zoo municipal de Lunaret (Montpellier), 205 chauves-souris de Seba, des spécimens originaires de Guyane, ont été gazées à la suite de la fermeture de l'espace les accueillant. Un enclos vieillissant, devenu au cours d'une décennie totalement inadapté.

Si l'affaire est passée sous les radars de la presse nationale, localement, l'abattage a fait grand bruit: Eddine Ariztegui (Parti animaliste), élu issu de la majorité municipale, a même saisi le tribunal administratif au début de l'été 2025. Bien qu'en charge du bien-être animal pour la ville, l'homme a été prévenu de l'abattage une fois celui-ci effectué.

"Dès que j'ai su que la serre amazonienne allait fermer, en 2021, j'ai tout fait pour trouver une solution", confie Eddine Ariztegui. Malgré les efforts fournis, seules 190 chauves-souris sur près de 850 ont pu être transférées ailleurs dans l'Hexagone ainsi qu'à l'étranger. 400 autres sont mortes entre temps, fragilisées par la vie en abri temporaire. Contactée par BFMTV, la mairie de Montpellier se défend également de toute "mort de confort".

"On n'était pas du tout dans cette configuration-là, notre situation n'est pas comparable au 'culling' pour gestion, ou autres. Ce n'était pas pour faire de la place. Les décès étaient particulièrement importants, les soigneurs sur place ont pu le constater eux-mêmes", note le service de communication.

La mairie ajoute ne pas être à l'aise avec le terme de "gazage" et lui préfère "endormissement sous CO2". Elle reconnaît également un "souci dans la communication" en interne. "Pour autant, nous n'aurions pas eu le temps de construire un nouvel espace pour les chauves-souris, leur état se dégradait, ce n'était plus tenable pour tout le monde".

Des abattages à la marge en France?

Pour Rodolphe Delord, président de l'Association française des parcs Zoologiques et directeur du ZooParc de Beauval, ce qu'il s'est passé à Montpellier relève d'une "décision politique" et non du 'culling'. Toujours selon lui, "la ville de Montpellier pouvait assumer ses chauves-souris jusqu'à leur belle mort".

Mais combien d'autres cas similaires ont pu avoir lieu dans l'Hexagone? One Voice et Code Animal estiment que les zoos français manquent de transparence et se refusent à communiquer les chiffres exacts des abattages ayant eu lieu depuis l'affaire Marius. Ces données, abritées sur la plateforme 'ZIMS', ne sont en effet pas consultables par le grand public.

"On est en mesure de se demander où sont passés les vieux animaux et les autres qui, du jour au lendemain, ont disparu des radars?", soutient Muriel Arnal.

"Je suis très clair, je ne suis absolument pas un fervent défenseur de cette pratique", insiste Rodolphe Delord en précisant que la mentalité française sur le sujet n'est pas la même que dans les pays situés "plus au nord" de notre continent. "On n'a jamais fait ça à Beauval par exemple, jamais", conclut-il, se refusant à donner des chiffres sur d'éventuels abattages ailleurs sur le territoire français.

"Le marketing des lessives"

Cette pratique pourrait être le fruit d'une logique économique. Pour la présidente de One Voice, les parcs zoologiques sont des "secteurs concurrentiels comme beaucoup d'autres". Ainsi, pour réussir à attirer des visiteurs toujours plus exigeants, ces structures mettent en place des stratégies marketing. Les zoos "surfent" aujourd'hui sur la vague de la préservation des espèces menacées en ventant les mérites de l'enfermement.

"On va retrouver tous les standards du greenwashing et utiliser les animaux, notamment les bébés, pour toucher les gens. C'est le marketing des lessives ni plus ni moins", détaille Muriel Arnal.

"Et puis tout le monde aime les petits animaux très mignons, surtout lorsqu'il s'agit de pandas ou de lionceaux. On tient-là notre petite peluche", ajoute quant à elle Alexandra Morette. Mais une fois devenu grand, on s'en débarrasse?

Camille Dubuffet