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"Au niveau de la cour de récré": pourquoi Bruno Retailleau s'attire les foudres d'Emmanuel Macron

Bruno Retailleau et Emmanuel Macron le 5 novembre 2024 à Paris

Bruno Retailleau et Emmanuel Macron le 5 novembre 2024 à Paris - Stephanie Lecocq / POOL / AFP

Le ministre de l'Intérieur a été recadré par le chef de l'État lors d'un Conseil de défense. Le camp présidentiel s'agace de la liberté politique que pourrait prendre Bruno Retailleau, auréolé de sa victoire à la présidence des LR.

Depuis dimanche soir et le triomphe de Bruno Retailleau, désormais président des LR, le thermomètre est monté de quelques degrés entre Emmanuel Macron et la droite. À 23 mois de la prochaine présidentielle, le chef de l'État ne compte pas se faire marcher sur les pieds.

"Je comprends l'euphorie de certains, mais il faut calmer les choses et ne pas envenimer la situation. Le président est là jusqu'en avril 2027, ne l'oublions pas", exhorte le président des sénateurs macronistes François Patriat.

Un air de triomphe qui choque

Sur le papier, la victoire du ministre de l'Intérieur semble pourtant être une bonne nouvelle pour le gouvernement. Le sexagénaire a fait toute sa campagne sur sa participation au sein de l'équipe ministériel afin de démontrer que "la droite est utile aux Français". De quoi donner le sourire au camp présidentiel qui, sans LR, peut dire adieu à la relative stabilité gouvernementale de ces derniers mois.

Mais le triomphalisme de l'entourage de Bruno Retailleau a déplu en macronie. À peine 36 heures après le résultat de la course interne de la droite, Sophie Primas a mis les pieds dans le plat. La porte-parole du gouvernement, intime de son collègue avec qui elle a passé près de 10 ans au Sénat, explique sur Europe 1-CNews que "le macronisme trouvera probablement une fin dans les mois qui viennent".

Les propos agacent dans les rangs des députés Renaissance, qui le font publiquement savoir. Manifestement soucieux d'éviter la grogne de ses alliés dans un contexte politique qui reste incertain, François Bayrou la recadre.

"Franchement, ce n'est pas une méthode de critiquer le président qui vous a nommé et le Premier ministre qui est son allié. On est au niveau de la cour de récré là", s'agace un député Renaissance.

La tension monte encore d'un cran quand, la même matinée, Bruno Retailleau déflore devant la presse à la sortie de son premier conseil stratégique un rapport sur les Frères musulmans. Ce travail a été commandé par le président lui-même en avril 2024 et devait lui être présenté le lendemain en Conseil de défense.

"Des coups de communication sur la sécurité des Français"

Le chef de l'État se juge rapidement court-circuité, et le fait vertement savoir. "L'ambiance était lourde, pesante", rapporte un participant à ce Conseil de défense, qui assure qu'Emmanuel Macron n'était "pas du tout content" des fuites sur le rapport.

Pire encore: les propositions faites notamment par Bruno Retailleau pour lutter contre "l'entrisme à bas bruit" de cette mouvance islamiste sont jugées "pas assez préparées" par le chef de l'État. Ordre est donc donné de "plancher sur de nouvelles propositions".

Pas de quoi refroidir le ministre de l'Intérieur pourtant. Dans la foulée, le locataire de la place Beauvau annonce devant les sénateurs "une meilleure organisation de l'État" en "matière de renseignement".

"On veut tous des solutions sérieuses, à commencer par le président. On n'a rien compris à ce que veut faire le ministre de l'Intérieur. On va pas faire des coups de communication sur la sécurité des Français. C'est grave ce qui se passe", tance le député Renaissance Guilaume Gouffier-Valente.

"On lui fait de la pub"

"Macron a cheffé. Normalement, là, c'est François Bayrou qui aurait dû recadrer son ministre", souligne encore ce proche d'Élisabeth Borne. Mais le centriste, qui a déjà recadré à une reprise son ministre de l'Intérieur sur le voile dans le sport, n'a pas envie de monter au créneau cette fois-ci.

"On va pas le reprendre à chaque fois qu'il fait un truc comme ça parce qu'on n'a pas fini. On lui fait de la pub à chaque fois et ça lui permet de dire 'regardez-moi, on m'empêche de faire ce que je veux pour les Français'", soupire un député Renaissance.

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Du côté de l'entourage de Bruno Retailleau, on se dit "surpris" de la situation, assurant que le ministre "partage la volonté du président de poursuivre le travail de lutte" contre l'islamisme.

Des forces toujours faibles à l'Assemblée

Le ministre de l'Intérieur est-il en train de tester la nouvelle liberté que lui offre sa victoire aux LR? "Son score de 75% lui donne un poids supplémentaire au Conseil des ministres, c'est une évidence", souligne l'ex-député LR Pierre-Henri Dumont.

De quoi le laisser espérer trouver un nouvel espace politique pour plusieurs de ses propositions, pour l'instant au point mort à l'Assemblée. Parmi celles-ci, on trouve la fin des missions d'aide juridique pour les associations dans les centres de rétention administrative ou l'allongement de la durée de rétention pour les étrangers sans-papiers "les plus dangereux" jusqu'à 547 jours.

La situation à l'Assemblée n'a pourtant pas changé. Les députés LR ne sont toujours que 47, soit moins de 10% du total des parlementaires.

"Bruno Retailleau a gagné, mais à la fin, nous, on ne va toujours pas voter des textes qui sont les mêmes que ceux de Marine Le Pen", résume un député Renaissance.

"S'il fait péter le socle commun, il perd tout"

Du côté des proches de François Bayrou, on fait pour l'instant le dos rond. "Son intérêt est de rester au gouvernement pour avoir des résultats à présenter aux Français. S'il fait péter le socle commun, il perd tout", juge un député Modem.

À voir. Bruno Retailleau n'a de cesse ces derniers jours de faire miroiter sa démission. "Si jamais un jour, nos convictions n'étaient plus respectées tout comme l’idée qu'on se fait des intérêts fondamentaux de la nation, nous quitterions le gouvernement", a par exemple asséné Bruno Retailleau ce mercredi soir auprès du Parisien.

"On n'a pas vocation à rester éternellement", tranche encore un député LR pour résumer les propos tenus par le ministre devant ses troupes ce mardi à l'Assemblée.

Avec une question: le ministre de l'Intérieur partirait-il seul ou avec les autres ministres de droite? Si LR dans son ensemble sort du gouvernement, l'avenir de François Bayrou ne tiendrait plus qu'à un fil avec la nécessité très probable de lui trouver un successeur.

"Ça remettrait alors la pression sur Emmanuel Macron très très fort", traduit un collaborateur ministériel. "Je ne pense pas que ce soit pour lui déplaire de se remettre au cœur du jeu", sourit par avance un sénateur macroniste.

Marie-Pierre Bourgeois