TOUT COMPRENDRE. Islamisme, entrisme... Le Conseil de défense se penche sur un rapport consacré aux Frères musulmans

Un document examiné au plus haut sommet de l'État. Le président de la République a réuni ce mercredi 21 mai à l'Élysée un Conseil de défense consacré à un rapport alarmiste sur l'influence des frères musulmans en France. Autour de la table, le Premier ministre François Bayrou ainsi que les ministres chargés des Affaires étrangères, des Finances, ainsi que de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et des Sports.
Commandé par l'ancien ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin en 2024 puis relancé par Bruno Retailleau, le rapport pointe les méthodes d'un mouvement qui constitue une "menace pour la cohésion nationale" en développant un islamisme "par le bas".
Dénonçant l'"entrisme" de Frères musulmans, le locataire de la place Beauvau Bruno Retailleau s'est inquiété avant même le début du conseil de défense d'"un islamisme à bas bruit" dont "l'objectif ultime est de faire basculer toute la société française dans la charia", la loi islamique.
"Compte tenu de l'importance du sujet et de la gravité des faits établis", Emmanuel Macron a "demandé au gouvernement de formuler de nouvelles propositions qui seront examinées lors d'un prochain Conseil de défense au début du mois de juin", a fait savoir l'Élysée après la réunion.
· Qui sont les frères musulmans?
Le mouvement des Frères musulmans est fondé en 1928 en Égypte, alors sous domination britannique, par l'instituteur Hassan el-Banna, grand-père de l'islamologue suisse Tariq Ramadan. Le dirigeant de la confrérie voit en l'islam la "solution" à "l'invasion militaire, politique ethnique et sociale venue d'Occident".
"Dans ce contexte, les premiers Frères musulmans prônent une réaction collective de la population via une islamisation par le bas reposant sur la prédication et recherchant par ce biais l'avènement d'un système de gouvernement islamique", retrace le rapport que s'est procuré BFMTV.
Mulitpliant les œuvres sociales et caritatives, le mouvement pénètrent les sphères politiques. Au moment des printemps arabes, "les partis islamistes ont remporté des victoires électorales significatives à partir de 2011, qui les ont portés au pouvoir en Tunisie (2011), au Maroc (2011), et en Egypte, où le Frère musulman Mohammed Morsi remporte l'élection présidentielle de 2012".
Si l'organisation Frères musulmans est aujourd'hui interdite dans plusieurs pays, comme l'Arabie saoudite, l'Égypte et la Jordanie, le mouvement constitue une nébuleuse qui a essaimé jusqu'en Europe, et continue d'exercer son influence.
· Pourquoi parle-t-on d'"entrisme"?
Selon le rapport, les frères musulmans pratiquent l'entrisme, c'est-à-dire qu'ils s'intègrent dans la société pour la changer de l'intérieur en faisant infuser leurs idées.
"Ils auraient recours pour ce faire à la technique du double discours par lequel ils dissimulent leurs intentions réelles en affichant partager les règles et principes régissant la vie collective occidentale", pointe le document.
"La réalité de cette menace, même si elle repose sur une temporalité longue et ne recourt pas à l'action violente, fait peser le risque d'une atteinte au tissu associatif et aux institutions républicaines (...) et plus largement à la cohésion nationale", mettent en garde les deux hauts fonctionnaires auteurs du rapport.
En France, la mouvance "est établie sur une structuration solide mais l'islamisme politique se diffuse d'abord au plan local", appuient-ils.
· Voile, laïcité... Que veulent les Frères musulmans selon le rapport?
Le rapport souligne le "caractère subversif du projet porté par les Frères musulmans", qui vise "à œuvrer au long cours en vue d'obtenir progressivement des modifications des règles locales ou nationales", notamment celles concernant la laïcité et l'égalité femmes/hommes.
"Si les Frères musulmans se montrent en Europe plus favorables à la participation des femmes dans la vie active que autres traditions islamiques, leur idéologie reste fondée sur une détermination 'sexo-spécifique, voire sexuée' qui érige la non-mixité en règle et instrumentalise le port du voile", pointe le rapport.
Parmi leurs objectifs principaux figure également "la lutte contre 'l'islamophobie'". Les frères musulmans utiliseraient ce concept "pour discréditer les mesures inspirées par le principe de laïcité, présentés comme relevant d'un 'racisme d'État' visant les musulmans et dénoncer les politiques de lutte contre la radicalisation violente et le séparatisme islamiste".
Le rapport décrit aussi le secteur éducatif comme une "priorité de la branche française" des Frères musulmans et s'inquiète d'une "rigorisation de la pratique religieuse", avec une "explosion du nombre de jeunes filles portant une abaya et l'augmentation massive et visible de petites filles portant le voile". Phénomène touchant des jeunes filles "parfois [âgées de] 5-6 ans".
· Mosquées, associations, écoles... Quelles sont les organisations mises en cause?
La Fédération des Musulmans de France, qui a succédé en 2017 à l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), est présentée dans le rapport comme "la branche nationale des Frères musulmans en France". Toutefois, "aucun document récent ne démontre la volonté de Musulmans de France d'établir un Etat islamique en France ou d'y faire appliquer la charia", précise-t-on.
La fédération a dénoncé auprès de l'AFP des "accusations infondées". Musulmans de France rappelle avoir "signé la Charte des principes pour l'islam de France le 18 janvier 2021 à l'Élysée, devant le président de la République Emmanuel Macron, réaffirmant son attachement aux valeurs de la République, réfutant tout lien d'allégeance avec une puissance étrangère, notamment avec la confrérie des Frères musulmans, et plus largement avec l'islam politique".
Le rapport évalue à 139 le nombre de lieux de culte affiliés à Musulmans de France, avec en plus "68 considérés comme proches de la fédération, répartis sur 55 départements". Cela représente "7% des 2.800 lieux de culte musulman répertoriés" en France, avec une fréquentation moyenne de "91 000 fidèles le vendredi". Mais "un fidèle fréquentant une mosquée de la mouvance n'est pas, loin s'en faut membre", précise le rapport.
Plusieurs structures éducatives françaises sont par ailleurs désignées dans le rapport. Comme le lycée lillois Averroès, le groupe scolaire Al-Kindi près de Lyon ou encore deux Instituts européens des sciences humaines (IESH) spécialisés dans l'enseignement du monde arabe et du Coran. L'association étudiante européenne "Femyso", basée à Bruxelles, est aussi citée. Le rapport relève que toutes les structures coopèrent entre elles, via notamment un fond de financement basé à Londres qui serait lié aux Frères musulmans, "Europe Trust".
Le rapport pointe enfin les "menées séparatistes" dans les clubs de sport, notamment de football, de basket et de sport de combat. "En 2020, 127 associations sportives étaient identifiées comme 'ayant une relation avec une mouvance séparatiste' rassemblant plus de 65.000 adhérents, parmi lesquelles 29 structures apparaissaient fondées ou 'noyautées' par des tenants de l'islam radical, majoritairement salafistes (18) et 5 fréristes".
· Quelle solutions préconise le rapport?
Pour les auteurs, "une action de terrain résolue et de longue haleine semble nécessaire" face à ce phénomène. Ils évoquent "une sensibilisation de l'opinion publique" accompagnée d'"un discours laïque renouvelé" et de "signaux forts et positifs à destination de la communauté musulmane".
Parmi ces signaux, ils évoquent "la réglementation funéraire" pour faciliter les carrés confessionnels, "l'apprentissage de l'arabe" à l'école qui "gagnerait à être remis sur le métier" et "la position française sur le conflit israélo-palestinien".
Patron du parti présidentiel Renaissance, l'ancien Premier ministre Gabriel Attal a lui réagi sur le ton de la fermeté en proposant d'interdire le voile dans l’espace public pour les mineures de moins de 15 ans.