Que savait François Bayrou de l’affaire Bétharram? Les questions auxquelles le Premier ministre va devoir répondre

Une audition très attendue. Le Premier ministre sera entendu ce mercredi après-midi à partir de 17h par la commission d'enquête qui planche notamment sur les violences sexuelles à Notre-Dame-de Bétharram, au cœur d'un scandale de violences et viols s'étalant sur plusieurs décennies. Le parquet de Pau enquête actuellement sur près de 200 plaintes.
Parmi les faits évoqués au sein de cet établissement scolaire qui a accueilli plusieurs des enfants de François Bayrou, on trouve des masturbations et de fellations imposées ou subies, des châtiments corporels ou encore des menaces et des humiliations de la part de professeurs ou de surveillants
En grande difficulté lorsque le scandale a éclaté en février dernier, François Bayrou va devoir convaincre les parlementaires qu'il a toujours dit la vérité, d'autant plus qu'il prêtera serment devant la commission d'enquête.
• François Bayrou n'était-il vraiment au courant de rien?
Depuis le mois de février au moment des premières révélations, le Premier ministre n'a eu de cesse d'affirmer qu'il n'avait "jamais été informé de violences" dans l'établissement scolaire ou n'avoir "jamais été averti des faits qui ont donné lieu à des plaintes ou des signalements". Il a également confirmé auprès du Monde "n'avoir jamais entendu parler des accusations de viol". A plusieurs reprises, le centriste a dénoncé "des polémiques artificielles".
Problème: plusieurs témoins affirment le contraire à l'instar de Françoise Gullung, enseignante à Notre-Dame-de-Bétharram dans les années 1990. Sur TF1 puis devant la commission d'enquête, cette professeure de mathématiques a décrit une scène mettant en cause Élisabeth Bayrou, l'épouse de François Bayrou, qui y enseignait le catéchisme.
"J'ai entendu un adulte qui hurlait sur un enfant (à côté d'une salle de classe), le cognait, j'entendais les coups. Venait vers moi Madame Bayrou, donc je lui ai dit 'qu'est-ce qu'on peut faire?' Elle n'a pas compris ce que j'attendais", a-t-elle expliqué devant les députés.
Est-il possible que la femme du centriste ait été au courant des violences sans en parler à son époux? Le Premier ministre va devoir répondre.
François Bayrou devrait probablement citer le cas de l'un de ses enfants pour convaincre qu'il a tout ignoré des agissements qui ont eu court pendant des décennies à Bétharram. L'une de ses filles, Hélène Perlant, a révélé dans un livre avoir été elle aussi victime de violences physiques, sans jamais le dire à ses parents.
"Je suis restée trente ans dans le silence", a-t-elle expliqué auprès de Paris Match. "Mon père, j'ai peut-être voulu le protéger, inconsciemment je pense, des coups politiques qu'il se prenait localement".
Le Premier ministre devrait également être interrogé sur un rapport d'inspection académique demandée en 1996. À l'époque, François Bayrou était ministre de l'Éducation nationale et président du conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques.
Si les faits évoqués dans ce rapport n'ont aucune commune mesure avec les plaintes déposées, le fonctionnaire en charge de l'inspection avait pointé plusieurs dysfonctionnements. Est-il passé à côté des conclusions de ce travail? Les-a-t-il minimisées? Charge à lui de convaincre.
• François Bayrou est-il intervenu dans le traitement judiciaire du sossier?
Le Premier ministre a toujours nié avoir eu une quelconque influence sur la procédure judiciaire, faute d'avoir été au courant des faits reprochés. Mais Christian Mirande, l'ancien juge d'instruction en charge du dossier, affirme avoir rencontré de façon privée François Bayrou en 1998 pour évoquer le sujet.
À l'époque, l'ancien directeur de l'institution catholique du Béarn, était accusé de viol par un ancien élève, le premier à avoir dénoncé de tels faits.
"Il était inquiet parce qu'il avait l'un de ses enfants qui était élève à Bétharram", a raconté l'ancien juge d'instruction sur BFMTV en février dernier.
"Tout le monde en parlait, les journaux locaux... Il n'a rien appris en venant me voir qui n'ait été publié auparavant dans les médias", a-t-il encore expliqué sur notre antenne. Christian Mirande a maintenu sa version des faits devant la commission d'enquête.
"Ce n'était pas (une rencontre) fortuite puisqu'il est venu chez moi (...) pour en parler", a dit l'ancien juge,
"Je n'ai pas compris" que François Bayrou "ait pu occulter nos échanges" après "être venu me voir", a expliqué l'ex-magistrat devant les députés. "François Bayrou n'arrivait pas à croire la réalité" des faits reprochés au prêtre accusé de viol, "qu'il semblait connaître", a encore ajouté Christian Mirande.
La fille de François Bayrou, Hélène Perlant, a également confirmé que son père avait bien rencontré ce juge. "Il ne s'en souvient pas, je pense, mais je suis là le soir où il rentre de chez le juge Mirande, on est là tous seuls tous les deux et il me dit: 'Ne le répète surtout pas, j'ai juré d'être dans le secret de l'instruction'", a déclaré Hélène Perlant auprès de Médiapart.
Autre témoignage: celui d'Alain Hontangs, un ancien gendarme. Le 26 mai 1998, enquêteur à la section de recherches (SR) de Pau, il devait présenter au juge d'instruction Christian Mirand le prêtre Pierre Carricard accusé de viol par un élève de Bétharram.
Ce jour-là, à 14h, le juge "m'attendait devant la porte de son bureau" et "m'a dit: 'La présentation est retardée, le procureur général demande à voir le dossier, il y a eu une intervention de Monsieur Bayrou'", a relaté l'ancien gendarme devant la commission d'enquête.
Le Premier ministre va-t-il parvenir à convaincre les députés? En cas de "faux témoignage" devant la commission d'enquête, François Bayrou risque une peine de prison qui peut aller de trois à sept ans tout comme une amende variant de 45.000 à 100.000 euros.
Emmanuel Macron a jugé de son côté que le chef du gouvernement avait "toute sa confiance" fin février.