"Le temple de la violence", "un broyeur d'enfants": le "système Bétharram" raconté par d'anciens élèves

La parole se libère, et l'affaire continue de faire grand bruit. Alors que le Premier ministre François Bayrou continue d'être accusé d'avoir été informé des violences survenues au sein de Notre-Dame-de-Bétharram (Pyrénées-Atlantiques), plusieurs anciens élèves témoignent de leur expérience au sein de l'établissement.
• Alexandre Perez, scolarisé entre 1989 et 1993
Alexandre Perez, ancien élève du collège-lycée de la 6e à la 3e entre 1989 et 1993 et victime de violences, a raconté son calvaire sur BFMTV. Membre du collectif de victimes, il a déposé plainte en juin 2024 pour des faits de "violences physiques, violences psychologiques et voyeurisme" contre l'un des trois hommes récemment interpellés dans cette affaire, un surveillant d'études et de dortoirs.
"Bétharram c'est le temple de la violence et des punitions arbitraires", relate-t-il sur notre antenne, "sans forcément le savoir on était punis, le surveillant général passait et nous mettait une sanction, on nous mettait sur le perron la nuit, le froid pendant l'hiver, c'était inacceptable".
Autre douloureux souvenir pour l'ancien élève: les faits de violences sexuelles et de voyeurisme. "Quand on allait dans les douches, les personnes qui tenaient la manette d'eau ouvraient l'eau et la coupait vite pour qu'on sorte nus, pleins de mousse et on n'avait pas conscience que c'était pour nous regarder", décrit-il. Une expérience qui a eu "une vraie incidence" sur le rapport que lui et d'autres avaient avec l'intimité.
"J'ai des camarades qui ont été violés, il y a eu des fellations, ils me racontent avoir subi ou du faire des fellations et des actes plus poussés sexuellement", raconte encore Alexandre Perez.
Le surveillant visé par sa plainte a continué, selon lui, de travailler pour l'établissement scolaire, un "prédateur sexuel" qu'Alexandre Perez a recroisé il y a quelques années.
Alors que ces faits ressortent à la suite d'enquêtes menées par nos confrères de Mediapart, Alexandre Perez évoque un "petit soulagement" devant la médiatisation de ce scandale.
"À Bétharram, c'était une injustice tout le temps. Aujourd'hui on cherche la justice et on a l'impression qu'on l'obtient enfin après un an de combat", témoigne-t-il.
"Il fallait vraiment qu'un scandale éclate pour se rendre compte de ce qu'on a vécu, même nous n'en avions pas vraiment conscience", poursuit-il. "Vous ne vous rendez pas compte de la puissance du système Bétharram sur l'omerta. On ne s'en rend pas compte".
• Éric Arassus, scolarisé en 1996
Il est difficile pour Éric Arassus de revenir sur son expérience à Bétharram: "pendant 20 ans, j'ai essayé de me reconstruire et aujourd'hui avec toute cette espèce d'effet médiatique il y a tout ce stress post-traumatique qui revient et qui rejaillit".
Ancien élève et camarade de classe du fils de François Bayrou, il a également déposé plainte après avoir été victime de violences dans ce collège-lycée aux "conditions d'étude catastrophique".
"C'était un collège dans lequel c'était très austère de travailler, où on avait régulièrement des brimades, des réflexions, beaucoup de violences physiques", décrit-il sur BFMTV, "on était là pour avoir des bons résultats mais la violence existait continuellement, H24".
Une violence "exacerbée" et à laquelle les religieux œuvraient "avec des sanctions très lourdes", "c'était un peu le tabou de l'époque de savoir qui était violenté ou pas". Aujourd'hui Éric Arassus "ne peut pas imaginer" que François Bayrou "n'ait pas été au courant de ces affaires-là" à l'époque.
• Éric Veyron, scolarisé entre 1979 et 1982
Éric Veyron avait 11 ans lorsqu'il a été placé à Bétharram, "parce que j'étais un enfant turbulent". Arrivé au sein de l'établissement, il reconnaît un changement de culture "un peu violent" avant de raconter l'horreur.
"Carricart m'a pris pour son sextoy. Il a beaucoup joué avec moi", confie-t-il sur le plateau de Quotidien.
Éric Veyron raconte encore avoir été "obligé de faire une fellation" au religieux "sinon il me bouchait le nez". Ce dernier le "poursuivait" même lorsqu'il se rendait à l'infirmerie. "Son parfum, je l'ai encore dans le nez. Et quand je croise quelqu'un avec ce parfum je ne suis pas bien", glisse-t-il encore. Le père Carricart, ancien directeur de l'institution, avait été mis en examen et placé en détention provisoire en 1998 avant d'être finalement remis en liberté. Il s'est suicidé en 2000 à Rome (Italie).
"On les laisse partir", s"indigne l'ancien élève. "La justice ne fait pas son travail. On ne protège pas les enfants ici". Éric Veyron confie enfin avoir élevé ses enfants "dans la haine du curé".
• Olivier Bunel, scolarisé entre 1981 et 1983
Olivier Bunel était en Guadeloupe lorsque ses parents se séparent. Un divorce qui "se passe mal" et pousse sa mère à l'envoyer au Pays basque pour le "protéger" de son père. Scolarisé à Bétharram, l'élève se souvient particulièrement des traumatismes subis par "Cheval", le surveillant général à qui "tout était rapporté", des chuchotements à la chute d'un verre à la cantine.
Un "tyran" qui tire son surnom de sa "mâchoire carrée" et de sa démarche singulière, "c'était lui qui nous gardait et faisait ses rondes au milieu de la nuit". Olivier Bunel, se souvient d'avoir eu les genoux abîmés et les doigts en sang à force de punition gratuite, mais aussi d'"actes pas terribles" de la part du surveillant.
"J'ai encore du mal à prononcer le mots, mais il se retrouvait devant moi à m'embrasser le zizi (..) je me souviens de son haleine", raconte-t-il à Quotidien, disant avoir "du mal avec les odeurs des gens" depuis son passage à Bétharram.
"On a toujours l'impression d'avoir été seul", estime Olivier Bunel, "ils nous terrorisaient".
Pendant 43 ans, l'ancien élève a gardé ses souvenirs en lui, même lorsqu'il lui est arrivé de repasser deux fois en voiture devant son ancien établissement scolaire. L'année dernière, il a raconté ce qu'il a vécu à sa fille et les sévices que lui ont fait subir les responsables de Bétharram.
"Je veux être là le jour où on les amènera à Pau, menottés, et les regarder les yeux dans les yeux", déclare-t-il encore.
• Adrien Honoré, scolarisé entre 2003 et 2005
Les parents d'Adrien Honoré, qui avait de "mauvais résultats scolaires", ont choisi de le scolariser à Bétharram, l'établissement ayant une certaine "réputation" en matière d'enseignement.
"Quand vous arrivez là-bas, vous y arrivez, et vous y restez", confie l'ancien élève sur Quotidien. "Ça nous a détruits là-bas".
Un "broyeur d'enfants" à "l'atmosphère nauséabonde" et à la sortie duquel "il faut se reconstruire, c'est un travail de tous les jours". Adrien Honoré a porté plainte l'année dernière, accusant les membres du personnel dont le directeur mais aussi des élèves de violences et de violences sexuelles.
"Il faut apprendre à vivre avec ce bagage et il ne faut pas que d'autres l'aient", ajoute-t-il.
Trois hommes interpellés
Alain Esquerre, porte-parole du collectif des victimes de Notre-Dame de Bétharram, a indiqué avoir reçu 134 plaintes au total depuis les récentes révélations autour de l'établissement scolaire, "ça n'arrête pas d'arriver".
Trois hommes ont été interpellés et placés en garde à vue dans l'affaire de violences commises au sein de l'établissement catholique. Nés en 1931, 1955 et 1965, ils sont entendus sous le régime de la garde à vue pour "viols aggravés, agressions sexuelles aggravées et/ou violences aggravées susceptibles d'avoir été commis entre 1957 et 2004", précise le procureur de la République de Pau.