Affaire Bétharram: l'inspecteur qui a visité l'établissement en 1996 regrette un "rapport qui ne tient pas la route"

Le dossier continue de s'alourdir. L'inspecteur académique qui s'est rendu à Notre-Dame-de-Bétharram en avril 1996 reconnaît que le rapport qu'il a rendu au sujet du collège-lycée "ne tient pas la route actuellement". Dans ce document, il est écrit que "l'ambiance et les relations de confiance règnent" dans l'établissement privé catholique et surtout, que "Notre-Dame-de-Bétharram n'est pas un établissement où les élèves sont brutalisés".
Pourtant, cette institution au cœur d'une vaste enquête sur des violences, agressions sexuelles et viols dénoncés par plus d'une centaine de plaignants. Le parquet de Pau enquête depuis un an sur cette affaire remontant aux années 1970 à 1990.
Aujourd'hui âgé de 88 ans, l'inspecteur à l'origine du rapport de 1996 a accepté de se confier à la cellule investigation de Radio France, qui publie ce mercredi 19 janvier son témoignage.
"Je n'ai pas cherché à savoir"
Cet inspecteur s'est rendu dans l'établissement privé catholique situé dans les Pyrénées-Atlantiques après la plainte déposée par un parent d'élève pour dénoncer des violences subies par son fils. Celui-ci a notamment perdu 40% de ses capacités auditives à cause d'une violente gifle donnée par un professeur. L'élève avait également subi des punitions violentes et humiliantes.
L'inspecteur raconte qu'il s'est rendu sur place le 12 avril 1996 et y a interrogé une vingtaine de personnes.
"Les gens que j'ai rencontrés m'ont dit ce qui s'était passé pour cette histoire de gifle, mais ils ne m'ont pas dit autre chose que ça", explique-t-il auprès de nos confrères de Radio France.
"Et donc je n'ai pas cherché à savoir ce qui se passait dans les dortoirs ou dans des lieux de rencontre des élèves. Je suis reparti de l'établissement en ignorant totalement ce qui est actuellement reproché", concède-t-il.
Autre fait marquant de cette visite, l'inspecteur n'a pas pu rencontrer ce jour-là la professeure de mathématiques qui avait tenté d'alerter sur la violence qui régnait dans l'établissement. Cette dernière était absente en raison d'un arrêt de travail. Toutefois, cela n'a pas empêché l'inspecteur académique d'écrire dans son rapport que cette enseignante est "arrivée dans ce collège avec un état d'esprit très négatif (qui) aurait exprimé son intention de 'démolir Bétharram' considérant que cet établissement utilisait des méthodes éducatives d'un autre âge". Sans l'avoir interrogée mais uniquement en se basant sur les propos de ses collègues.
Pas de mention de violences sexuelles
De nombreux anciens élèves du collège-lycée ont dénoncé des agressions sexuelles et des viols au sein de l'établissement. L'inspecteur en charge du rapport de 1996 explique qu'à l'époque, il n'avait jamais été question de violences sexuelles. "Si j'avais su, j'aurais eu sûrement un autre comportement...", affirme-t-il aujourd'hui.
Ainsi, l'inspecteur rend un rapport dans lequel il indique que "par un concours malheureux de circonstances, cet établissement vient de connaître des moments difficiles". Toutefois, "la qualité du travail qui y est effectué, l'ambiance et les relations de confiance qui y règnent et la volonté de changement qui existe à tous les niveaux sont autant d'éléments positifs et d'atouts pour la réussite de Notre-Dame-de-Bétharram".
Le rapport note également: "Notre-Dame-de-Bétharram n'est pas un établissement où les élèves sont brutalisés."
François Bayrou assure que "d'autres savaient"
Sur France info ce mercredi, le porte-parole de l'association des victimes, Alain Esquerre, s'est dit "sidéré" et "révolté" par ce témoignage. Il a dénoncé "la désinvolture et la légèreté de cet inspecteur d’académie régional qui doit enquêter sur le dossier Bétharram et qui n'enquête pas sur la perte d'audition de cet enfant".
Selon lui, ce rapport "entraîne une très grande responsabilité en termes de violences qui se sont poursuivies ensuite à Bétharram - et notamment après 1996 - et qui empêchent les pouvoirs publics d’agir et d’aller plus loin sur ce dossier, et même qui empêchent la justice d’enquêter".
"Les politiques, comment vous voulez qu'ils agissent si la fonction publique d'État ne fait pas le job pour lequel elle est payée?", s'est-il ainsi interrogé.
Si les accusations à l'encontre de Notre-Dame-de-Bétharram ont un tel retentissement, c'est parce que l'actuel Premier ministre François Bayrou y a scolarisé ses enfants et que sa femme y enseignait également le catéchisme. En outre, François Bayrou était ministre de l'Éducation lorsque la première plainte contre un surveillant est déposée pour des violences physiques en 1996. Et la victime était dans la même classe que son fils.
Deux ans plus tard, en 1998, dans le cadre de l'affaire de viol, l'actuel Premier ministre avait rencontré le juge chargé du dossier, selon Le Monde et La République des Pyrénées. Il a pour autant assuré n'avoir "jamais entendu parler", à l'époque, de telles accusations. François Bayrou a, en revanche, affirmé que "d'autres savaient" dans le gouvernement de l'époque, renvoyant la responsabilité au "gouvernement socialiste de 1997 à 2002".