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INFO BFMTV. Bétharram: Élisabeth Guigou avait été avertie dès 1998 du scandale de viols présumés

Vue d'un établissement catholique à Lestelle-Betharram, le 6 mars 2024 dans les Pyrénées-Atlantiques

Vue d'un établissement catholique à Lestelle-Betharram, le 6 mars 2024 dans les Pyrénées-Atlantiques - GAIZKA IROZ

Lors de la dénonciation des premiers faits de viols visant un membre de l'établissement catholique de Bétharram, la garde des Sceaux de l'époque, Élisabeth Guigou, avait été prévenue par le parquet général de la cour d'appel de Pau, selon un courrier que s'est procuré BFMTV.

Qui était au courant de ce qu'il se passait entre les murs de l'institut catholique de Bétharram? BFMTV s'est procuré trois courriers datant de 1998 et 2000, qui prouvent qu'Élisabeth Guigou, alors garde des Sceaux, avait été prévenue par le plus haut magistrat de Pau de la gravité des faits reprochés au père Carricart, ancien directeur de l'institution Bétharram.

Dans la première lettre de trois pages, datée du 15 juin 1998, le procureur général de la cour d'appel de Pau écrit nommément à la garde des Sceaux de l'époque, Élisabeth Guigou, pour l'avertir d'un dossier criminel extrêmement sensible : la mise en examen et l'incarcération en détention provisoire, le 26 mai 1998, du père Carricart, ancien directeur de Betharram, qui sera finalement remis en liberté - et de façon totalement incompréhensible - huit jours plus tard.

Voici comment le magistrat justifie, à la fin de son courrier, de vouloir prévenir la Chancellerie de ce dossier :

"L'incarcération de son ancien directeur n'a pas manqué d'être relevée par les médias et de provoquer, localement, une certaine émotion. C'est la raison pour laquelle, il m'a semblé utile de signaler cette affaire à votre attention". 

Une procédure tout à fait courante: il est habituel que la Chancellerie soit informée de dossiers saillants par les parquets généraux de chaque juridiction. Ce peut être des dossiers criminels graves, des dossiers avec un fort retentissement médiatique, des dossiers mettant en cause des personnalités... Pour autant, les gardes des Sceaux, ainsi informés, ont interdiction formelle d'intervenir dans des instructions judiciaires en cours, menées par des magistrats indépendants de l'exécutif.

Dès lors, à l'époque informée de l'existence de cette instruction judiciaire, Élisabeth Guigou aurait-elle pu faire quelque chose? En prévenant par exemple son homologue au ministère de l'Éducation nationale pour diligenter une inspection administrative en parallèle des investigations judiciaires? Élisabeth Guigou a, de son côté, dénoncé une "misérable polémique politicienne" dans un communiqué de presse.

"Dans cette affaire, le gouvernement au sein duquel j'ai eu l'honneur d'assumer les fonctions de ministre de la Justice (...) a fait son travail et l'institution judiciaire a fait le sien, en toute indépendance", a réagi Élisabeth Guigou.

La Chancellerie prévenue par téléphone dès l'incarcération du père Carricart

Le procureur général revient dans ce courrier sur l'origine des faits: le 3 décembre 1997, un jeune homme explique avoir été victime d'agressions sexuelles et de viols en 1987 et 1988 par le père Carricart. Il évoque des "agressions sexuelles répétées", des "viols". Et notamment un, décrit comme suit par le procureur général dans son courrier:

"En janvier 1998, toujours selon la version de la victime, alors qu'il devait se rendre aux obsèques de son père, XXX était réveillé très tôt par le père Carricart, qui le conduisait dans une salle de bains, l'invitait à se doucher dans la baignoire où il le lavait lui-même, puis le rejoignait, introduisait un doigt dans son anus, tentait vainement d'y introduire son sexe, puis obligeait l'enfant à lui faire une fellation et éjaculait sur son visage."

Pour autant, le procureur général n'explique absolument pas pourquoi le père Carricart est remis en liberté quelques jours seulement après sa mise en examen. Une demande de remise en liberté que son parquet général a pourtant soutenue dans des réquisitions, et qui a conduit à ce que l'homme d'Église aille vivre au Vatican, puis se donne la mort deux ans plus tard, marquant ainsi la fin de l'enquête judiciaire à l'époque. "Décision incompréhensible", souffle un haut magistrat actuel, contacté par BFMTV.

Alexandra Gonzalez et Guillaume Daret