"Un amour raisonnable": pourquoi Emmanuel Macron et le nouveau Premier ministre allemand affichent leur entente

Friedrich Merz et Emmanuel Macron le 7 mai 2025 à Paris - Ludovic MARIN / POOL / AFP
Tout un symbole après des années de froid. Après la visite du nouveau Chancelier allemand Friedrich Merz à Paris ce mercredi, un grand classique de tous les dirigeants allemands une fois leur désignation avalisée par les députés, Emmanuel Macron s'est fendu d'un message qui en disait long.
"Avec un nouveau grand ami", a écrit le chef de l'État sur son compte X, tout sourire aux côtés de son nouvel homologue.
"Pas l'amour fusionnel"
Le message est très clair: au revoir la froideur de la relation avec son prédécesseur Olaf Scholz, peu soucieux d'une relation de qualité avec la France sur la scène européenne. Bonjour Friedrich Merz qui a promis, dans la foulée de son rendez-vous à l'Élysée, de "trouver des réponses" aux défis communs entre les deux pays.
De quoi laisser espérer le retour d'un couple franco-allemand puissant qui marcherait main dans la main pour parvenir à peser face à Donald Trump - bien décidé à appliquer de très fortes hausses de droit de douane sur les produits européens - ou encore à avancer sur la résolution du conflit entre Moscou et l'Ukraine. Emmanuel Macron et Friedrich Merz sont d'ailleurs ce samedi à Kiev, en Ukraine, aux côtés du Premier ministre britannique Keir Starmer et du chef du gouvernement polonais Donald Tusk, pour réclamer un "cessez-le-feu complet" de 30 jours à la Russie.
"Ça ne va pas être l'amour fusionnel. Ça va plutôt être un amour raisonnable où l'on va se dire pourquoi on n'est pas d'accord, en essayant de faire un pas vers l'autre", relativise Christian Makarian, spécialiste des questions internationales.
Rester proche des États-Unis
Premier point de discorde entre les deux hommes: la question de la paix en Ukraine. Là où Emmanuel Macron compte sur une coalition de pays hors États-Unis pour garantir la sécurité du pays après un cessez-le-feu avec la Russie, Friedrich Merz est plus nuancé. L'Allemagne est bien partante pour participer à une force de réassurance mais seulement en cas de participation américaine au "processus".
Berlin joue également la carte de la nuance sur la question de la dissuasion nucléaire. Le nouveau chancelier a bien indiqué qu'il était favorable à placer son pays sous la protection du parapluie nucléaire de Londres et de Paris - un vrai tournant alors que l'Allemagne était jusqu'ici dépendante de Washington en la matière.
Elle a également indiqué être d'accord pour formaliser un conseil de défense avec la France. Mais pas question que cette nouvelle situation se "substitue aux garanties offertes par les États-Unis" et à l'OTAN, a bien précisé Friedrich Merz.
"L'Allemagne a ses propres intérêts, notamment sa proximité avec les consommateurs américains. Le but n'est pas de se fâcher avec Donald Trump", traduit Patrick Martin-Genier, enseignant à l'INALCO et spécialiste de l'Europe.
L'économie d'abord
Les États-Unis sont en effet redevenus le premier partenaire commercial de l'Allemagne en 2024, détrônant la Chine qui occupait cette position depuis 2016. Dans un contexte d'économie allemande en grande difficulté, le pays ne peut pas se permettre de tourner le dos à Washington.
"Friedrich Merz va devoir marcher sur une ligne de crête entre un Donald Trump, imprévisible mais essentiel, et une Europe dont il a besoin sans vouloir dire oui à tout", résume un collaborateur ministériel qui suit de près la relation franco-allemande.
Même topo sur un éventuel accord avec les pays du Mercosur comme le Brésil ou l'Argentine. La France est farouchement opposée à ce texte qui permettrait d'abolir l'essentiel des droits de douane entre l'Union européenne et des pays d'Amérique du Sud. Là où la France craint pour son agriculture, notamment sur les filières du boeuf, de la volaille et du vin, les Allemands sont très enthousiastes.
"Un vrai désaccord de fond" sur un accord avec le Mercosur
Ils y voient un débouché idéal pour leurs automobiles tout comme leurs produits chimiques et leur acier.
"On a un vrai désaccord de fond sur le sujet", reconnaît un député macroniste membre du groupe d'amitié France-Allemagne. "Mais si Berlin veut vraiment que l'accord avec le Mercosur aboutisse, il aura bien besoin à un moment de la France pour l'appuyer".
Impossible en effet que le traité de libre-échange ne parvienne à entrer en application sans l'unanimité de tous les dirigeants européens. Loin d'être en position de force sur le dossier, Paris espère la mise en place de quotas plus protecteurs pour les filières françaises jugées menacés par l'accord.
"On trouvera des accords qui permettent la juste préservation des conditions de travail, l’équité pour nos producteurs", a avancé Emmanuel Macron, très confiant, à l'issue de sa conférence de presse avec son homologue allemand.
"Là-dessus comme sur d'autres sujets, il va falloir qu'ils se mettent autour de la table mais il n'y aura pas de miracle. Ils ne vont pas être d'accord du jour au lendemain", prévient Elvire Fabry, chercheuse en géopolitique du commerce à l'Institut Jacques Delors.
"Les limites" de Friedrich Merz, "sous surveillance"
Dernier dossier brûlant sur la table: la question de l'endettement. L'Allemagne a bien fortement assoupli ses règles d'endettement, jusqu'ici très contraignantes, pour financer plus facilement sa défense. La méthode a tout d'une révolution dans un pays qui a toujours fait de l'orthodoxie budgétaire un principe cardinal.
Mais Friedrich Merz, qui se sait sous surveillance de sa propre coalition, ne veut pas aller trop loin. Là où Emmanuel Macron compte sur des euro-obligations, un système d'emprunt commun pour mutualiser la dette des pays qui augmenteraient leurs dépenses de défense, le nouveau Chancelier a dit non.
"On touche du doigt les limites du nouveau chancelier qui sait que sa coalition va suivre avec vigilance ces questions et peut le renverser. Il lui faut aussi laisser le temps aux Allemands de digérer de tels changements", met en garde Elvire Fabry, chercheuse pour l'Institut Jacques Delors.
Mardi dernier, Friedrich Merz a échoué à la surprise générale à être élu chancelier lors du premier tour du scrutin en dépit d'un accord de coalition jugée solide. Cela n'était jamais arrivé depuis 1945. Autant dire que le Chancelier n'a aucun intérêt à fâcher ses alliés, rendant d'autant plus difficile de profonds changements de cap à destination de la France.