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Comment le PS compte s'y prendre pour modifier "le budget aux horreurs" de Sébastien Lecornu

Boris Vallaud et Olivier Faure à Matignon à l'Élysée le 10 octobre 2025

Boris Vallaud et Olivier Faure à Matignon à l'Élysée le 10 octobre 2025 - TELMO PINTO / NURPHOTO / NURPHOTO VIA AFP

Les socialistes ont gagné une victoire ce mardi en tordant le bras au camp présidentiel sur la réforme des retraites. Mais le PS ne veut pas accorder un blanc-seing au gouvernement sur d'autres pans entiers du budget. Il fourbille ses armes pour continuer à faire plier Sébastien Lecornu.

Une victoire qui pourrait prendre un goût amer? Les socialistes ont largement salué ce mardi soir la suspension de la réforme des retraites par Sébastien Lecornu. De quoi permettre sur le papier au Premier ministre d'obtenir leur bienveillance en renonçant à ce totem de la macronie dont le scalp était réclamé depuis des mois par les troupes d'Olivier Faure.

"C'est une victoire" et un "premier pas", a salué le président des députés socialistes Boris Vallaud à la tribune dans la foulée.

Sans détails, le risque du flou

Mais promis, ce n'est pas un chèque en blanc au locataire de Matignon et l'absence de soutien aux motions de censure RN et LFI examinées ce jeudi ne doit pas valoir preuve d'amour éternelle. La preuve: le patron des élus PS s'est bien gardé de parler de non-censure, se contentant d'évoquer "un pari risqué".

Ce n'est pas lui qui a mis les pieds dans le plat pour reconnaître que pour l'instant le PS renonçait à la censure, mais le député Laurent Baumel sur BFMTV quelques instants après la déclaration de politique générale de Sébastien Lecornu.

Et pour cause: le Premier ministre s'est bien gardé de rentrer dans les détails lors de sa déclaration de politique générale mais la potion pourrait bien s'annoncer difficile à avaler pour des millions de Français.

Gel des pensions de retraites, gel du barème de l'impôt sur le revenu qui devrait rendre imposable 200.000 foyers qui n'étaient jusqu'ici pas redevables en raison de petits revenus, doublement des franchises sur les boîtes de médicaments et les soins médicaux...

"Un vrai budget des horreurs"

Autant d'éléments qui semblent sur le papier très difficiles à accepter pour les socialistes et qui pourraient donc cohabiter dans le même texte avec un amendement gouvernemental sur la suspension de la réforme des retraites.

"C'est un vrai budget des horreurs, on ne va pas se gêner pour le dire et on va se battre pied-à-pied pour combattre ces injustices", prévient la députée socialiste Dieynaba Diop auprès de BFMTV.

Charge donc aux députés de gauche de parvenir à faire adopter des amendements qui permettent de faire sauter ces dispositions pour parvenir à la fin à une copie plus acceptable.

Est-ce vraiment possible dans une Assemblée très divisée avec des députés LR et Renaissance qui pourraient bien être tentés de ne pas perdre la face, déjà contraints d'accepter une suspension de la réforme qui les met en colère?

Sur le papier, la réponse est oui et d'autant plus que le Premier s'est engagé à ne pas activer le 49.3, cette cartouche institutionnelle qui permet de faire adopter un texte sans vote. Concrètement, les députés pourront donc discuter jusqu'au bout et devraient bien se prononcer sur la version du budget qu'ils auront modifié.

"Le gouvernement proposera, nous débattrons, vous voterez", a répété pas moins de sept fois Sébastien Lecornu à la tribune ce mardi.

Les socialistes se voient d'autant plus en position de force qu'ils ont l'an dernier réussi à faire passer plusieurs amendements très symboliques comme la taxe sur les super-dividendes pour les entreprises aux profits XXL ou la pérennisation de la taxe sur les très hauts revenus avant que Michel Barnier ne finisse par dégainer le 49.3, sifflant la fin de la partie.

L'espoir de nouvelles victoires et un choix dans les luttes

Olivier Faure a déjà annoncé sur BFMTV ce mercredi vouloir déposer un amendement pour introduire la taxe sur les patrimoines de plus de 100 millions d'euros popularisé par l'économiste Gabriel Zucman.

"Nous allons mener le combat avec l'espoir de décrocher de vraies victoires. On avait réussi l'an dernier. Pourquoi pas cette fois-ci?", veut croire l'entourage de Boris Vallaud.

Mais la situation n'est pas exactement la même cette fois-ci: les députés LR et Renaissance n'avaient guère mouillé la chemise, laissant parfois quasiment seuls dans l'hémicycle les députés socialistes et LFI. De quoi donc faire passer de nombreux dispositifs qui permettaient de détricoter le budget.

Le socle commun, ou ce qu'il en reste, sera-t-il plus nombreux cette fois-ci en séance? Dans l'intérêt des socialistes, il vaudrait mieux que non. Si les députés de Boris Vallaud ne parviennent pas à détricoter les mesures les plus impactantes pour les Français, ils risqueraient en effet d'avoir à voter un budget de la sécurité sociale qui contient certes la suspension de la réforme des retraites mais aussi d'autres dispositions difficiles à faire avaler à leurs électeurs.

"Ce ne sera pas un budget socialiste, ça, c'est une évidence. Mais toute la question sera celle du curseur, ce qui nous semble acceptable ou totalement hors de question", reconnaît le socialiste Romain Eskenazi.

Les élus du PS ont déjà choisi leurs luttes. Ils vont tenter de parvenir à décrocher une mesure de pouvoir d'achat comme par exemple le gel des premières tranches de l'impôt sur le revenu qui permettrait d'éviter à des personnes non-imposables de le devenir. Ils devraient également vouloir décrocher une mesure symbolique sur la taxation des très riches.

"Si ce n'est pas la taxe Zucman mais quelque chose qui permet de faire passer le message que vous devez payer beaucoup plus d'impôts quand vous êtes très riche que quand vous êtes prof, ça nous ira aussi", confie une élue socialiste.

Décrocher des preuves qu'on "peut changer la vie"

Suivant les victoires engrangées ou non, le parti à la rose aura plusieurs options sur la table, à commencer par voter le budget.

"Ça me semble assez improbable quand même. Soutenir les projets de lois de finances signifie que vous êtes dans la majorité", observait en début de semaine une députée macroniste.

Deuxième possibilité: voter contre le budget mais sans dépôt d'une motion de censure pour faire tomber le gouvernement. Ce fut le choix de Boris Vallaud et de ses députés en janvier dernier pour faire passer le budget de François Bayrou.

Dernière option: voter contre le budget et faire voter une motion de censure qui aurait toutes les chances de passer si le RN et l'ensemble de la gauche y mêlent leurs forces. Présentes dans toutes les bouches socialistes, l'hypothèse semble pour l'instant peu probable.

"Même si ce budget est vérolé de mauvaises mesures, rien que la suspension de la réforme des retraites est une preuve qu'on peut changer la vie. Ce n'est pas rien avant les municipales et la présidentielle", remarque une députée de l'aile droite du PS.

Vers "une entourloupe"?

Hypothèse bonus: des débats budgétaires qui s'enlisent avec la multiplication d'amendements et qui ne permettent pas de tenir le délai des 70 jours fixés à fin décembre pour conclure l'examen au Parlement.

Le gouvernement pourrait alors reprendre la main et faire passer le budget par ordonnances en reprenant sa propre copie budgétaire. Dans celle transmise ce mardi à l'Assemblée, il n'y avait nulle trace de la suspension de la réforme des retraites.

Conscient de ce risque, le PS a fait passer le message à ses députés de ne pas dépasser les trois amendements par personne sur la première partie du projet de loi de finances. Reste cependant à voir si le reste de la gauche, et notamment LFI, adhère. Rien n'est moins sûr.

La suspension de la réforme des retraites pourra-t-elle tourner à "l'entourloupe" comme le suppute le président de la commission des Finances LFI Éric Coquerel? La question n'a rien d'anodine alors que le gouvernement reste flou sur les modalités législatives de l'annonce de Sébastien Lecornu.

"On marche sur une ligne de crête, personne ne peut dire le contraire", reconnaît le collaborateur d'un député socialiste.
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D'autant plus que personne n'a gardé chez les socialistes un bon souvenir du conclave sur les retraites lancé par François Bayrou qui a eu des allures de marché de dupes pour le PS.

L'équilibre est d'autant plus précaire qu'en cas de non-censure sur le budget en décembre, les partenaires des socialistes, comme les écologistes et les communistes pourraient profondément s'agacer. Une mauvaise idée avant la constitution des listes municipales et la recherche d'alliances. Ce n'est pas pour rien que Boris Vallaud a parlé de "pari".

Marie-Pierre Bourgeois