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"Est-ce à nous de dilapider notre héritage?" L'hypothétique suspension de la réforme des retraites crispe la macronie

La Première ministre Elisabeth Borne à coté du président Emmanuel Macron, à l'Arc de Triomphe à Paris, le 11 novembre 2023

La Première ministre Elisabeth Borne à coté du président Emmanuel Macron, à l'Arc de Triomphe à Paris, le 11 novembre 2023 - Ludovic MARIN © 2019 AFP

La mise sur pause de l'âge de départ à 64 ans déchire le camp présidentiel. Une partie des députés y voient une façon d'arrimer les socialistes quitte à renoncer à l'un des rares marqueurs du second quinquennat d'Emmanuel Macron. D'autres s'inquiètent des conséquences budgétaires et politiques.

Un pavé dans la mare pour éviter une nouvelle dissolution. Élisabeth Borne, qui a porté la réforme des retraites quand elle était en poste à Matignon, a proposé ce mardi soir dans les colonnes du Parisien de suspendre le passage de l'âge à 64 ans. Réclamé depuis des mois par la gauche, le geste pourrait pousser les socialistes à finalement toper avec le camp du chef de l'État et à parvenir à un accord en vue du budget.

Encore faudrait-il que les députés Renaissance soient d'accord. Et manifestement, ça coince très fort, comme le montrent les échanges de la boucle Telegram qui réunit les élus macronistes de l'Assemblée. Ces derniers, révélés par Le Figaro et confirmés par BFMTV.com, montrent que la proposition de l'ancienne Premier ministre divise fortement en interne.

"Mettre deux genoux à terre"

"Est-ce à nous de dilapider notre propre héritage?", écrit ainsi la députée Maud Bregeon. "Le compromis, ce n'est pas mettre deux genoux à terre par peur de la dissolution", s'agace encore l'ancienne porte-parole du gouvernement de Michel Barnier auprès de ses collègues.

"Je suis sidéré qu’une si grande part de la classe politique soit prête (...) à envoyer sciemment dans le mur notre régime de retraite par répartition", nous explique l'un de ses collègues, Charles Rodwell, un proche de Gérald Darmanin.

L'ancien ministre de la Culture Franck Riester n'est guère plus tendre sur Telegram, dénonçant des "propos contre-productifs".

"Le courage" d'Élisabeth Borne

En face de ses critiques, souvent issus des députés qui ont commencé leur carrière à droite, on trouve des élus issus de l'aile gauche du parti qui soutiennent l'initiative d'Élisabeth Borne.

"Il ne restera rien" de notre héritage "si nous loupons cette dernière chance de compromis avant la dissolution", juge ainsi la députée Céline Calvez sur cette boucle.

L'ancienne Première ministre "fait preuve d'un grand courage et démontre que chacun peut et doit faire des efforts pour sortir de l'impasse dans laquelle nous sommes", nous répond de vive voix l'ancien ministre de l'Agriculture, Stéphane Travert.

"Il ne s'agit pas d'abroger la réforme", mais bien de montrer que "notre porte est ouverte", renchérit de son côté sur LCI Agnès Pannier-Runacher, ministre démissionnaire de la Transition écologique. "On ne peut pas faire l'économie de la gauche", insiste-t-il encore.

Une réforme qui revient comme un boomerang

Ces échanges d'amabilité ont le mérite de rappeler qu'en adoptant aux forceps la réforme des retraites, le camp présidentiel n'a jamais vraiment purgé la question de l'âge de départ à la retraite.

Et pour cause: en dépit d'une très forte mobilisation dans la rue, d'une opposition très vive des syndicats et d'une partie de l'hémicycle vent debout, le gouvernement n'avait pas hésité à dégainer le 49.3, cette cartouche institutionnelle qui permet de faire adopter sans vote un projet de loi.

Depuis, les socialistes n'ont de cesse de réclamer sa suspension tandis que les insoumis demandent, eux, son abrogation. Rare réalisation du second quinquennat d'Emmanuel Macron, le président n'a jusqu'ici jamais accepté de revenir en arrière. Preuve d'ailleurs que le chef de l'État goûte peu la proposition d'Élisabeth Borne, l'Élysée a fait savoir que sa prise de parole n'avait pas "été calée avec le président".

Grand flou

François Bayrou s'était pourtant risqué sur ce terrain en actant l'organisation d'un conclave en janvier dernier permettant de réouvrir la discussion sur les retraites, et concluant au passage un accord de non-censure avec les socialistes. Mais très vite, le Premier ministre d'alors déclare que "non", il ne croit pas possible de revenir à la retraite à 62 ans.

Sébastien Lecornu pourrait-il vraiment expliquer ce mercredi soir lors de sa prise de parole sur France 2 qu'il acte la suspension de la réforme? Pour l'instant, le locataire démissionnaire de Matignon s'est bien gardé de toute précision. Lors d'une prise de parole surprise ce mercredi matin, il n'en a pas pipé mot. Dans la foulée, le dirigeant a ensuite rencontré le premier secrétaire du PS Olivier Faure.

"Évidemment, on a parlé" des retraites, a -t-il expliqué à sa sortie du rendez-vous, tout en assurant "n'avoir aucune assurance sur la réalité de cette suspension". Concrètement, les socialistes réclament "un gel de l'âge légal" (actuellement de 62 ans et 9 mois en attendant la montée en puissance complète de la réforme à la faveur d'un trimestre en plus par an jusqu'en 2032 et les 64 ans).

Un lourd coût

Et si Sébastien Lecornu y consent, il risque de perdre d'un côté ce qu'il a gagné de l'autre. La suspension est en effet "une ligne rouge" pour la droite comme l'a expliqué à plusieurs reprises Bruno Retailleau.

Quant à Horizons, le parti d'Édouard Philippe y est tout aussi opposé. Et Marine Le Pen et ses 122 députés? Difficile à dire. "Je suis heureuse de cette suspension si elle intervient", a assuré la présidente des élus RN à l'Assemblée tout en promettant de "censurer" tout futur gouvernement.

Dernière question, loin d'être annexe: le coût de la suspension de la réforme dans un contexte budgétaire très tendu. Au printemps, la Cour des comptes avait estimé dans un rapport que s'arrêter à un âge légal de 63 ans "aurait un coût complet de 13 milliards d'euros sur les finances publiques pour l'exercice 2035". Le chiffre est certes important mais laisse cependant plus d'une dizaine d'années pour trouver des leviers de financements, précise bien ce travail des magistrats de la rue Cambon.

Marie-Pierre Bourgeois