Reconnaissance d'un État palestinien, "crimes" à Gaza: pourquoi Macron change de ton face à Netanyahu

Une prise de position inédite. Emmanuel Macron a ouvert mercredi 9 avril la voie à une reconnaissance par la France de l'État palestinien, moyen de soutenir une solution "à deux États" au Moyen-Orient en prenant un peu plus ses distances avec le gouvernement israélien de Benjamin Netanyahu.
Cette reconnaissance, la première pour un pays du G7 si elle était confirmée, pourrait être actée "en juin" à l'occasion d'une conférence que la France coprésidera avec l'Arabie saoudite aux Nations unies à New York et qui doit aussi conduire, selon le président de la République, à la reconnaissance d'Israël par un certain nombre de pays.
Nouvelle doctrine
"Je le ferai (...) parce que je pense qu'à un moment donné ce sera juste et parce que je veux aussi participer à une dynamique collective, qui doit permettre à tous ceux qui défendent la Palestine de reconnaître à leur tour Israël, ce que plusieurs d'entre eux ne font pas", a expliqué le chef de l'État au retour d'un voyage en Égypte.
Si la France a toujours défendu une solution à deux États, une telle reconnaissance constituerait une étape historique. "L'État palestinien ne dispose pas encore des attributs de la souveraineté pour être juridiquement reconnue comme un État à part entière. Mais politiquement, ça signifierait quelque chose de marquant, surtout venant d'un État qui est membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU", explique à BFMTV.com David Rigoulet-Roze chercheur associé à l'Iris et rédacteur en chef de la revue Orients Stratégiques.
Près de 150 pays reconnaissent l'État palestinien. En mai 2024, l'Irlande, la Norvège et l'Espagne ont rejoint la liste, suivis par la Slovénie en juin. La France, jusqu'ici, n'avait pas voulu franchir le pas.
"La diplomatie française considérait qu'il fallait garder cette cartouche pour plus tard dans le cadre d'un accord de paix global. Cette doctrine est en train de changer", relève sur BFMTV Thierry Arnaud, éditorialiste politique internationale.
Une réponse à Trump?
Pourquoi ce virage soudain? Selon David Rigoulet-Roze, "c'est le plan de Trump qui a changé la donne". Le président américain, qui veut faire de Gaza la "Côte d'Azur du Moyen-Orient", prévoit à terme de prendre le contrôle du territoire palestinien et d'en expulser ses habitants. Un projet approuvé par le gouvernement de Benjamin Netanyahu, formé de partis de droite, d'extrême droite et d'ultra-religieux.
Ce lundi, le président français a apporté au Caire son soutien au plan arabe pour reconstruire Gaza, s'opposant "fermement aux déplacements de populations" envisagés par l'administration Trump.
"Emmanuel Macron est dans une logique d'obstruction à la dynamique qui est en cours, qui serait la mise en œuvre du plan de Donald Trump par Benjamin Netanyahu", souligne David Rigoulet-Roze.
À l'Élysée, "on considère que l'intense pression militaire israélienne soutenue par les États-Unis n'offre aucun espoir aux Palestiniens et aux Gazaouis et que face à cet axe puissant et sans limite, il faut opposer autre chose", ajoute Thierry Arnaud sur notre antenne pour expliquer le changement de pied d'Emmanuel Macron.
Dans un second temps, la proposition française est aussi une manière de "mettre hors-jeu le Hamas", qui capitalise sur le fait que nombre de pays arabes ne reconnaissent pas encore l'État d'Israël,pointe David Rigoulet-Roze. "Une reconnaissance élargie d'Israël marginaliserait d'autant le Hamas et rendrait son éviction possible".
Tensions franco-israéliennes
Le projet d'une reconnaissance de la Palestinne, qu'Israël compare à "une récompense pour le terrorisme", est aussi le signe de la prise de distance croissante d'Emmanuel Macron vis-à-vis de Benjamin Netanyahu, qui a relancé mi-mars la guerre dans la bande de Gaza au prix de nombreuses victimes civiles et humanitaires.
En voyage en Égypte, le chef de l'État s'est rendu au chevet d'enfants blessés par les attaques israéliennes à Gaza. "C'était au-delà de la douleur", s'en est-il ému au micro de France 5 dans son avion retour, appelant à revenir "urgemment à un cessez-le-feu de quarante à cinquante jours".
Le président français a estimé au cours de cette interview qu'il faut "essayer de dire" à Benjamin Netanyahu qu'"à un moment donné, ce que vous faites n'est pas conforme au droit international".
"Ce que vous faites est aussi un crime, ce n'est pas vos valeurs", a-t-il martelé, alors que le dirigeant israélien est visé par un un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité dans la bande de Gaza.
Emmanuel Macron avait commencé à durcir le ton à l'égard du chef du gouvernement israélien en octobre dernier en réaction à l'intensification des opérations militaires israéliennes à Gaza et à l'invasion terrestre du Liban.
Le chef de l'État avait appelé à l'arrêt des livraisons d'armes offensives à Israël, puis déclaré devant ses ministres que l'État hébreu avait été "créé par une décision de l'ONU", provoquant à chaque fois la colère de Benjamin Netanyahu.