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Élysée

Ni soutien, ni condamnation: le "en même temps" diplomatique d'Emmanuel Macron sur le conflit entre Israël et l'Iran

Emmanuel Macron à Paris le 13 juin 2025

Emmanuel Macron à Paris le 13 juin 2025 - Michel Euler / POOL / AFP

Le chef de l'État essaie de se positionner en négociateur face à l'objectif affiché par Tel-Aviv d'empêcher Téhéran de se doter de la bombe atomique. Mais certains s'inquiètent que la posture présidentielle ne pousse pas assez ses alliés européens à s'engager sur le dossier.

Ni condamnation ni soutien explicite. Au quatrième jour du conflit entre Israël et l'Iran, Emmanuel Macron tente d'adopter une posture d'équilibre pour éviter l'embrasement de tout le Moyen-Orient.

Les deux pays poursuivent depuis vendredi soir leurs échanges de frappes, déclenchées par une attaque israélienne massive contre des sites militaires et nucléaires iraniens.

"Nous ne partageons pas l'approche", choisie par Tel Aviv, ni "la nécessité d'une opération militaire", a expliqué le chef de l'État lors d'une conférence de presse à l'Élysée quelques heures après le début des hostilités.

"Obligé de prendre nos distances"

Mais pas question de trop prendre ses distances. Les frappes israéliennes "ont permis de réduire des capacités d'enrichissement" d'uranium de Téhéran et "elles ont donc des effets qui vont dans le sens recherché", a ainsi expliqué le président.

Du côté des Israéliens, on explique que ces frappes ont pour but de démanteler le programme iranien d'enrichissement de l'uranium à des fins médicales et scientifiques mais également militaires. D'après l'estimation d'experts, l'Iran possèderait environ 5 tonnes d'uranium enrichi à plus de 20% dont quelques centaines de kilos à 60% pour une utilisation qui permettrait de créer une arme nucléaire.

Mais pour une utilisation de ce type qui permettrait dès lors de viser Israël, il faudrait environ atteindre les 90%. Si les États-Unis devaient entamer un nouveau cycle de négociations avec l'Iran ce 15 juin sur ce dossier, les frappes israéliennes ont changé la donne, poussant Emmanuel Macron à tenter de ne fâcher ni l'Iran ni Benyamin Netanyahu.

"Israël est en train de se lancer dans une guerre préventive. Mais elle le fait sans respect du droit international. On est donc obligé de prendre nos distances", décrypte un député du socle commun, membre de la commission des Affaires étrangères auprès de BFMTV.

Menace sur l'Europe

Si le gouvernement israélien évoque lui-même des "frappes préventives" jugeant la menace nucléaire iranienne imminente, le droit international interdit toute guerre préventive.

"En même temps, si l'Iran va jusqu'au bout, Israël pourra clairement être rayé de la carte. Et ça, c'est inconcevable. La France doit donc aussi être à ses côtés sur ce volet-là".

Cette "marche vers l'arme nucléaire par l'Iran menace la région, l'Europe et plus généralement la stabilité collective", a ainsi résumé Emmanuel Macron devant des journalistes ce vendredi. "La menace iranienne sur Israël est immédiate et vitale," a insisté de son côté François Bayrou ce lundi.

"Volontairement dans l'ambiguïté"

Jusqu'ici, ni la France ni l'Union européenne n'étaient vraiment aux avants-postes des négocations avec l'Iran. Depuis des mois, ce sont les États-Unis qui négocient avec le régime des Mollahs. Mais le contexte pousse Emmanuel Macron à tenter de reprendre la main, comme il a déjà essayé de le faire sur le dossier ukrainien, sans grand changement sur le terrain pour l'instant.

Pour éviter l'escalade entre les deux pays, le président appelle ainsi à la "reprise du dialogue" et à la "négociation" pour régler "la question nucléaire iranienne".

"On a un président qui reste volontairement dans l'ambiguïté, sans vraiment clarifier ses intentions sur Israël ou sur l'Iran", regrette Ayda Hadizadeh, députée socialiste et présidente du groupe d'amitié France-Iran à l'Assemblée nationale.

Crainte sur le pétrole

Difficile de lui donner tort. Si Emmanuel Macron refuse d'attaquer bille en tête l'Iran, c'est notamment pour sa position géographique stratégique, en bordure du détroit d'Ormuz. Ce passage concentre à lui seul près d'un tiers du pétrole mondial transporté par voie maritime. Samedi, Esmail Kowsari, haut commandant des Gardiens de la révolution, a prévenu que l’Iran envisageait de le fermer si les frappes se poursuivaient, poussant dans la foulée les cours du baril à s'envoler.

Dans un contexte d'économie mondiale fragilisée par la hausse des droits de douane, l'heure est plutôt à la prudence sur ce terrain. Le chef de l'État a donc préférer expliquer être prêt à participer "aux opérations de protection et de défense" d'Israël en cas de "représailles" iraniennes, si la France était "en situation de le faire", sans en préciser les contours.

L'Union européenne en sourdine

Cela signifie-t-il que Paris serait prête à envoyer des troupes au sol? Si oui, avec quel mandat et quels moyens? Les forces françaises sont-elles assez nombreuses si elles devaient dans le même se déployer en Ukraine au sein d'une "force de réassurance" en cas d'accord entre Moscou et Kiev après plus de 4 ans de conflit?

L'annonce de l'Élysée est d'autant plus surprenante qu'Emmanuel Macron entretient des relations glaciales avec Benjamin Netanyahu depuis des mois. La France appelle à reconnaître l'État de Palestine et a dénoncé à plusieurs reprises la situation humanitaire catastrophique en cours dans la bande de Gaza, pillonnée sans relâche depuis les attaques du 7 octobre 2023.

"Le président cherche probablement à embarquer l'Union européenne à ses côtés" pour permettre de faire redescendre la pression entre Israël et l'Iran, analyse Jean-Marie Collin, consultant sur les questions de sécurité internationale.

"Mais pour l'instant, la diplomatie bruxelloise n'a jamais eu assez de poids pour permettre de déclencher de vrais choix politiques de ses dirigeants", regrette encore le directeur de l'ICAN, la campagne pour abolir les armes nucléaires.

Une partie de la gauche demande l'organisation d'un débat à l'Assemblée sur le dossier du nucléaire iranien avec l'espoir de pousser Emmanuel Macron à clarifier ses intentions.

Marie-Pierre Bourgeois