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"Il a presque tous les éléments nécessaires" pour quatre bombes: pourquoi dit-on de l'Iran qu'il est un "État du seuil nucléaire"?

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Le programme atomique iranien connaissait un développement rapide avant l'attaque israélienne, dont les effets ne sont pas encore évalués. Le principal site d'enrichissement, Natanz, a été touché.

Israël a mené des dizaines de frappes sur le sol iranien, ce vendredi 13 juin, visant à enrayer le programme nucléaire de Téhéran, qui connaissait un développement rapide ces derniers mois. Des hauts responsables militaires de la République islamique ont été tués et au moins une cinquantaine de personnes ont été blessées, dont des femmes et des enfants, rapporte la télévision d'État iranienne.

Cette attaque, qui a fait grimper le cours des hydrocarbures, intervient alors qu'un nouveau cycle de négociations sur le nucléaire iranien devait avoir lieu dimanche entre les États-Unis et l'Iran.

Les craintes d'une frappe imminente d'Israël grandissaient depuis quelques jours. Tel-Aviv estime que le programme nucléaire iranien menace sa sécurité et a déjà mené de nombreuses opérations, notamment de sabotages ou d'assassinats ciblés, pour tenter de l'enrayer.

Donald Trump avait indiqué jeudi qu'il ne voulait pas de cette offensive.

L'Iran se rapproche de l'arme nucléaire

La République islamique a intensifié son programme nucléaire depuis 2018 et le retrait par Donald Trump d'un accord censé encadrer les activités atomiques iraniennes en échange d'une levée des sanctions internationales. Les récentes discussions visaient à parvenir à un nouvel accord.

L'Iran nie vouloir se doter de l'arme atomique et affirme poursuivre uniquement un programme nucléaire civil. Des experts estiment toutefois que le pays "est un État du seuil nucléaire".

"C'est à dire que l'Iran n’a pas l’arme atomique déclarée, mais qu’il a réuni presque tous les éléments nécessaires pour fabriquer une arme nucléaire dans un délai très court", expliquait récemment Julia Tomasso, chercheuse à l'IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques), dans un entretien à Midi Libre.

Téhéran disposait mi-août d'un stock total d'uranium enrichi de 5.751,8 kg, soit 28 fois la limite autorisée par ce pacte connu sous l'acronyme JCPOA, selon le dernier rapport de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA).

Sur ce total, ses réserves de matière enrichie à 60%, proche des 90% nécessaires pour élaborer une arme atomique, se situaient à 164,7 kg - suffisamment pour produire près de quatre bombes, d'après la définition de l'instance onusienne.

Les activités d'enrichissement d'uranium par Téhéran sont particulièrement scrutées. Concrètement, l'enrichissement est "une phase décisive dans la production de combustible pour les réacteurs nucléaires" selon le site Connaissance des énergies, qui précise qu'il s'agit " également une phase sensible du point de vue de la sécurité et de la non-prolifération".

"Les mêmes technologies utilisées pour enrichir l'uranium à des niveaux adaptés pour les réacteurs civils peuvent être utilisées pour enrichir l'uranium à des niveaux beaucoup plus élevés (90% ou plus) pour fabriquer des armes nucléaires", précise le site spécialisé.

Le site de Natanz ciblé

L'existence d'au moins deux sites d'enrichissement est attestée. Le plus connu est celui de Natanz, dans le centre du pays, déjà ciblé par un sabotage en 2021.

Il a été visé "plusieurs fois" ce vendredi, selon la télévision d'Etat iranienne qui a montré une épaisse fumée noire s'élevant de l'installation. L'armée israélienne assure sur X que "la zone souterraine du site a été endommagée".

Une autre usine, souterraine, a été construite à Fordo, toujours dans le centre de l'Iran. C'est là qu'avaient été détectées début 2023 des particules d'uranium enrichies à 83,7%, un niveau proche du seuil de 90% nécessaire pour fabriquer une arme nucléaire. L'Iran avait invoqué des "fluctuations involontaires" au cours du processus d'enrichissement.

Le site de Fordo, plus difficile à atteindre car construit profondément sous terre, n'aurait pas été endommagé par des frappes selon l’AIEA.

"Si vous ne touchez pas Fordo, vous n’avez pas éliminé leur capacité à produire du matériel de qualité militaire", a déclaré Brett McGurk, qui a été coordinateur pour le Moyen-Orient auprès de plusieurs présidents américains des deux partis, au New York Times.

Par ailleurs, à Ispahan, une usine de conversion, testée industriellement en 2004, permet de transformer du "yellowcake" (poudre de minerai d'uranium concentré extrait des mines du désert iranien) en tétrafluorure puis en hexafluorure d'uranium (UF4 et UF6). Ces gaz doivent ensuite être introduits dans des centrifugeuses pour produire de l'uranium enrichi.

Ce site n'aurait pas été touché non plus selon l'AEIA.

Une centrale nucléaire et des projets avec la Russie

L'Iran dispose d'une centrale nucléaire, à Bouchehr au bord du golfe Persique, construite par la Russie qui fournit également son combustible. Elle a commencé à fonctionner en septembre 2011 à faible régime avant d'être raccordée au réseau électrique l'année suivante.

Moscou avait repris en 1994 la construction de ce site d'une puissance de 1.000 mégawatts, commencée par les Allemands avant la révolution islamique de 1979.

D'autres réacteurs sont en cours de construction avec l'aide de la Russie à Darkhovin dans le sud-ouest de l'Iran (centrale de 300 mégawatts) et à Sirik, près du détroit d'Ormuz, (complexe de quatre centrales pour un total de 5.000 mégawatts).

Pierre Lann avec AFP