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Incendie dans l'Aude: la vigne, un "pare-feu" naturel efficace mais pas infaillible

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Les vignes sont réputées pour faire office de coupe-feu tout en servant de zones de repli pour les pompiers. Ces dernières années, des parcelles ont été abandonnées en raison de la crise viticole. Des alternatives, comme intégrer de l'élevage et du pâturage au paysage audois, pourraient permettre une adaptation à la nouvelle donne climatique.

Les pompiers ont réussi à fixer ce vendredi 8 août l'incendie géant qui a parcouru 17.000 hectares dans l'Aude en un peu plus de 48 heures. Il faudra encore plusieurs jours avant que le feu ne soit totalement éteint, et le risque de reprises demeure. Cet impressionnant incendie a fait un mort et 18 blessés et a aussi détruit ou endommagé 36 habitations et brûlé 54 véhicules.

Des dégâts aussi très visibles sur les parcelles agricoles. Les Corbières, particulièrement touchés par les flammes, sont l'aire d'appellation la plus vaste des vignobles d'Occitanie. Le préfet estime que 800 à 900 hectares de vignobles ont été perdus sur la zone.

En déplacement sur place, François Bayrou a échangé avec des vignerons, inquiets pour leur avenir. "Ce que l'on a vu là et qui est très frappant, c'est que partout où il y avait des vignes, pour l'essentiel, le feu a été arrêté", a souligné le Premier ministre ce mercredi.

À l'inverse, "là où il n'y avait plus de vigne, là où les taillis, les broussailles et les garrigues avaient pris la place, on a eu un accroissement de la catastrophe et de la vitesse du feu", a-t-il ajouté.

Un rôle de pare-feu

La vigne est considérée comme une barrière naturelle aux incendies. Dans le paysage calciné, "les seuls points verts, ce sont les vignes, c'est là qu'on mesure toute l'importance de notre vignoble dans la lutte contre les feux de forêt", a déclaré auprès de BFMTV Franck Saillan, secrétaire général du Syndicat des vignerons de l'Aude.

Comme l'explique Marc Verdier, expert forestier du Comité des forêts, "la vigne correspond à un espace qui est débroussaillé et entretenu (...), ce qui fait que le feu a beaucoup moins de vigueur et est obligé de marquer une pause". En effet, aucune végétation ne pousse entre les pieds de vigne, où l'on trouve plutôt de la terre et des pierres. Le feu n'a aucune alors prise et de cette façon, il se retrouve souvent naturellement stoppé, d'autant plus que les rangs sont espacés.

Surtout, à cette période de l'année, la vigne est en pleine période de production. Par conséquent, elle est humide, avec des feuilles vertes, ce qui la rend moins sensible à la brûlure. C'est aussi une plante qui a besoin de peu d'eau pour survivre car elle sait très bien la conserver, même si face à la sécheresse et pour augmenter les rendements, des viticulteurs souhaitent pouvoir l'irriguer davantage.

Pour toutes ces raisons, les vignobles sont très utiles dans la lutte contre les flammes. "Les vignes correspondent à ce qu'on crée parfois en forêt dans ces zones à risques qui sont des pare-feu: des zones où le long des routes ou des chemins, on déboise sur une grande largeur, pour que les pompiers puissent s'installer", ajoute Marc Verdier. Comme on peut le voir sur les images de l'Aude, les camions des soldats du feu sont, en effet, souvent garés près des parcelles viticoles.

Des sapeurs-pompiers lors d'un incendie de forêt, à Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse, dans l'Aude, le 7 août 2025.
Des sapeurs-pompiers lors d'un incendie de forêt, à Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse, dans l'Aude, le 7 août 2025. © IDRISS BIGOU-GILLES / AFP

Cependant, pour que des vignes jouent ce rôle de coupe-feu, il faut qu'elles soient bien entretenues, sans herbe dans les sillons. Sinon, le feu peut rapidement parcourir toute une rangée puis la parcelle entière.

Les vignes ne sont pas une solution miracle

Une vigne peut donc servir d'"allée où il n'y pas de végétation et où le feu n'a pas de combustible et est obligé de s'arrêter, sauf quand le vent est très fort et que les flammèches peuvent sauter de l'autre côté du pare-feu", explique également Marc Verdier. En effet, face aux flammes, les vignes ne peuvent pas tout. Pour preuve, dans l'Aude, le feu a réussi à sauter des pans de route entiers.

Cet effet pare-feu est "à moduler en fonction de l'intensité de l'incendie", concède Marc Verdier.

"Le feu s'est déclaré après quatre ans de sécheresse", abonde Yann Vetois, co-porte-parole de la Confédération paysanne de l'Aude. Météo-France avait placé le département en vigilance rouge pour le danger de feu, le niveau d’alerte le plus élevé.

Les pompiers ont fait face à un cocktail explosif favorisant la propagation d'un feu à l'origine encore inconnue: une végétation sèche qui s'enflamme très facilement, des températures supérieures à 30°C et un taux d'humidité faible, tout cela couplé à de fortes rafales de vent. En outre, le massif peut être compliqué d'accès, rendant les opérations des pompiers plus difficiles.

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Ainsi, si les vignes ont parfois permis de ralentir les flammes, le feu a tout de même parcouru 17.000 hectares. La preuve en est, de nombreux dégâts sur les vignobles sont à déplorer. "On a des vignes qui sont très bien entretenues et pourtant, on a des parcelles qui sont à 80-90% totalement détruites avec des pieds de vignes qui ont totalement brûlés", déplore auprès de BFMTV, Émilie Verdale, vigneronne à Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse.

À quelques semaines des vendanges, 80% des vignes de trois villages de la zone ont été affectées par l'incendie. Les agriculteurs s'inquiètent également des raisins touchés par les fortes fumées et par les produits retardants largués, qui peuvent rendre les fruits invendables. Au début de l'été déjà, plusieurs exploitations avaient subi des dégâts liés à des incendies de végétation.

La grande question des vignes arrachées

Si une grande partie de la zone touchée par l'incendie est composée de parcelles viticoles, cette surface est en diminution. "La viticulture régresse depuis 25 ans dans l'Aude", explique Yann Vetois. Et c'est ce que de nombreux vignerons déplorent dans cette lutte contre les flammes.

La viticulture est en proie à une profonde crise. En cause, la concurrence des produits étrangers, les aléas climatiques mais surtout la baisse générale de la consommation de vin. Pour faire face à cette surproduction dans un marché en berne, l'État a mis en place une politique d'arrachage des vignes. Entre 2010 et 2020, plus de 5.000 hectares de vignes ont ainsi disparu dans la zone. En contrepartie, l'État verse 4.000 euros pour chaque hectare de vigne arraché aux vignerons volontaires.

Début juillet, après un feu près de Narbonne, la chambre d'agriculture régionale avait déploré dans un communiqué que "les friches agricoles, en constante progression du fait de la déprise rurale, (soient) devenues des foyers à haut risque".

"Je pense qu'autour des villages, si y a eu autant de dégâts, c'est les arrachages, c'est des porte d'entrée pour les incendies", abonde dans ce sens Franck Saillan, du Syndicat des vignerons de l'Aude.

De la végétation brûlée à proximité d'un vignoble lors d'un incendie dans l'Aude, le 7 août 2025.
De la végétation brûlée à proximité d'un vignoble lors d'un incendie dans l'Aude, le 7 août 2025. © VALENTINE CHAPUIS / AFP

Aux yeux d'une partie des exploitants agricoles, ces terres de vignes arrachées sont en effet une source de risque majeure car elles laissent la place à des friches inflammables.

Un rapport sénatorial de 2022 estimait que la déprise agricole, l'arrêt de l'exploitation d'une parcelle, "ne peut pas être considérée comme un facteur décisif de la variation des activités de feu". "Cela ne veut pas dire que, plus localement, elle n’a aucun effet. Par exemple, dans l’Aude ou les Pyrénées-Orientales, nous suspectons que la déprise agricole liée à la vigne a des effets sur les incendies", expliquait ainsi un spécialiste dans ce rapport cité par La Croix.

Une adaptation du territoire nécessaire

Mais alors comment allier cette baisse de la production viticole et la protection contre le feu offerte par les vignes? Alors que plusieurs incendies ont déjà frappé le département de l'Aude cette année, de nombreux agriculteurs plaident pour replanter des vignes sur les espaces arrachés. "Il faudra trouver des solutions à l'avenir pour pouvoir maintenir ce vignoble et aider nos vignerons", soutient ainsi Franck Saillan.

Cette demande semble toutefois aller à contre-sens de la volonté de l'exécutif, qui a déjà prévu une nouvelle campagne d'arrachage pour l’année prochaine, pour faire face à la crise du secteur.

Auprès du Figaro, Romuald Péronne, président du Cru "Collioure-Banyuls", plaidait en 2024 pour l'introduction de "vignes ornementales qui seront là uniquement pour protéger". Mais pour la Conférération paysanne, d'autres alternatives sont possibles. "On ne peut pas tout entretenir par la vigne", estime à cet égard Yann Vetois.

"On ne peut pas baisser la production de vignes et compter que sur les vignes en coupe-feu", martèle-t-il.

Pour lui, la place de la viticulture est importante dans l'Aude, mais en raison de la crise économique, il faut "encadrer les volumes produits". En ce qui concerne les incendies, il déplore que "les plans d'arrachage ne soient pas accompagnés de plan de réutilisation" de la parcelle. "On a de l'herbe qui pousse, qui sèche et qui sert de combustible", explique-t-il.

"Ces parcelles abandonnées, il faut aider à les valoriser, même si ça passe par reconnaître une baisse de la productivité", affirme Yann Vetois. À ce titre, la Confédération paysanne suggère de mettre en place de "l'élevage extensif" et du pâturage pour "entretenir le paysage".

"Il faut que les zones méditerranéennes soient entretenues par des chèvres, des moutons, voire des vaches", explique à ce titre Yann Vetois, estimant que cette adaptation face aux changements du climat "demande de la volonté politique". "Il faut de la diversité, appuie-t-il, avec la viticulture, on a créé une monoculture et ça pose désormais problème".

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Salomé Robles