"Le moral dans les chaussettes": entre guerre fratricide et démission du gouvernement, la droite en grande difficulté

Laurent Wauquiez et Bruno Retailleau, le 2 septembre 2025 à Matignon. - Photo par THOMAS SAMSON / AFP
"Le parti de l'ordre" responsable en très grande partie de la crise politique inédite que traverse la France. Pourtant farouche partisan d'une participation au gouvernement de François Bayrou puis de Sébastien Lecornu, Bruno Retailleau a fait exploser le socle commun et entraîné dans sa chute le Premier ministre lundi matin.
Depuis, le locataire démissionaire de la place Beauvau tente de se rattraper. Mais n'est-ce pas déjà trop tard?
"On ne serait bien passé de tout ça. C'est quelqu'un qui est très pondéré avec ses interlocuteurs, jamais un mot au dessus de l'ordre. Je ne voyais pas du tout les choses se passer comme ça", soupire un sénateur LR dépité auprès de BFMTV.
Moins de ministres que sous Bayrou? "Inenvisageable"
On rembobine. Ce dimanche soir, après des semaines d'attente, le Premier ministre vient de dévoiler son gouvernement. Mais pour le ministre de l'Intérieur, ça coince. En tout et pour tout, on ne compte que quatre membres de la droite dans le casting ministériel, lui-même donc, Rachida Dati à la Culture, Annie Genevard à l'Agriculture et Philippe Tabarot, ajouté à la demande-express de Bruno Retailleau.
Le compte n'y est pas pour un parti qui n'a eu de cesse ces derniers mois de lancer qu'il était "de retour".
"On ne pouvait pas être moins nombreux que sous François Bayrou. C'était inenvisageable, ça nous aurait totalement démonétisé et cassé tout notre discours sur notre côté pivot essentiel au gouvernement", décrypte un député LR.
Et tant pis si Sébastien Lecornu a bien prévenu qu'il y aurait une seconde salve de ministres délégués et secrétariats d'Etat et donc autant d'opportunités pour faire rentrer des lieutenants de droite.
L'équilibre ne convient donc et même les noms des ministres de droite ont un goût amer pour Bruno Retaileau. Aucun de ses intimes ne font son entrée au gouvernement: le député européen François-Xavier Bellamy et Othman Nasrou, très éphèmère secrétaire d'État à la citoyenneté sous Michel Barnier.
"Juste pas possible"
Pour couronner le tout, Bruno Le Maire, honni par la droite depuis son ralliement à Emmanuel Macron et jugé en grande partie responsable par sa famille politique de la dégradation de la situation financière du pays après 7 ans à Bercy, fait son retour au gouvernement. Surprise du chef, l'ancien ministre de l'Economie est nommé aux Armées. Bruno Retailleau affirme que Sébastien Lecornu lui a "caché" la nomination de Bruno Le Maire.
"Sébastien Lecornu a parlé de rupture lors de la passation de pouvoir et on se retrouve avec ça à la Défense. Ce n'était juste pas possible. On a cherché à nous faire passer pour des idiots", s'agace un ancien ministre de droite.
"Le problème de fond, c'est qu'on a compris qu'on allait être vassalisé, qu'on ne serait pas considéré par le Premier ministre. On n'avait pas envie d'y aller dans ces conditions et on lui a dit", décrypte l'une de ses collègues.
Soucieux de ne pas perdre des plumes au sein de son propre mouvement, le ministre de l'Intérieur dégaine donc un tweet assassin dimanche soir qui va préciter la chute de Sébastien Lecornu qui se sait sans majorité en l'absence du soutien de la droite.
Changement de pied XXL
Le ministre de l'Intérieur joue pourtant au casse-cou. N'a-t-il pas encore plaidé devant ses troupes réunies en visio quelques heures à peine plus tôt dimanche après-midi pour leur présence au gouvernement? L'absence de la droite "aggraverait la crise institutionnelle et financière qui menacerait notre pays et ouvrirait la porte à une arrivée de la gauche", explique-t-il devant ses ouailles.
Plus encore, il leur avait même lu le courrier adressé par Sébastien Lecornu dans lequel le Premier ministre évoquait quelques "orientations de droite" dixit Bruno Retailleau. De quoi pousser les parlementaires LR à largement voter leur entrée au sein du nouveau gouvernement.
Autant dire que le changement de pied du ministre de l'Intérieur démissionnaire quelques heures à peine plus tard a fait les choux gras du camp de Laurent Wauquiez, son concurrent au printemps dernier lors de la course à la présidence des LR.
"Depuis des mois, on avait réussi à incarner auprès des Français une force de stabilité et de responsabilité. Ce qui s’est passé dimanche a abîmé cette image", a tonné le président des députés de droite ce mardi matin en réunion de groupe.
Moqueries de Laurent Wauquiez
C'est qu'il ne faudrait pas fâcher un électorat particulièrement sensible à la stabilité politique, d'autant plus que Sébastien Lecornu n'a pas hésité à viser Bruno Retailleau lors de l'annonce de sa démission. Le Premier ministre a regretté "le réveil des appétits partisans" à l'approche de "la présidentielle".
"Ça aurait été plus glorieux d’acter comme Laurent Wauquiez une non-participation des LR par rapport au programme, plutôt que sur une question de casting", se moque encore un proche du président des députés LR.
Manifestement soucieux de sortir du piège, Bruno Retailleau assure sur CNews ce mardi matin ne pas "être responsable" du chaos politique et en profite au passage pour travailler sa stature de futur présidentiable.
"Je n'ai pas hésité à m'amputer" de mon poste "pour dire la vérité aux Français", se présentant comme une victime sacrificielle au nom de l'intérêt général.
"Politicailleries"
En réalité, dans le camp des LR, on s'inquiète. Méconnu avant son arrivée place Beauvau, le ministre de l'Intérieur était parvenu en quelques mois à se faire une place dans les sondages pour 2027, en ce en dépit d'un bilan plutôt nuancé à l'Intérieur. Depuis des semaines, son entourage réfléchit à sa sortie pour mettre le cap vers la présidentielle et a toujours promis que ce serait sur un désaccord de fond.
Résultat: son départ a plutôt des allures de "tambouille indigeste", juge un député macroniste, issu des LR.
"Si vous me demandez si on aurait pu faire mieux, je ne vais pas dire le contraire. C'est vrai que tout ça, ça passe pour des politicailleries aux yeux des Français. On a un peu le moral dans les chaussettes", regrette un maire de droite.
Sur France 2 mardi soir, Bruno Retailleau balaie d'éventuels regrets. Le ministre de l'Intérieur démissionnaire ouvre la porte à une participation mais pose des conditions: "Certainement pas si ce gouvernement était dirigé par un homme de gauche, certainement pas si ce gouvernement était dirigé par un macroniste".
Soit à peu près l'équation actuelle sous Michel Barnier qui n'a pas réussi à dépasser les trois mois à Matignon.