"Deux sensibilités différentes": Le Pen et Bardella pas parfaitement alignés sur la guerre en Ukraine

Le président du RN Jordan Bardella demande "à être reçu avec Marine Le Pen" par le futur Premier ministre (photo : le 14 septembre à Paris) - Ludovic MARIN © 2019 AFP
Jordan Bardella joue-t-il sa propre partition? Si Marine Le Pen n'a guère critiqué Vladimir Poutine ces derniers mois, en position de force depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, le patron du mouvement fait entendre un autre son de cloche. Le tout alors qu'une proposition de résolution sur l'aide à l'Ukraine est examinée ce mercredi 12 mars à l'Assemblée.
"La Russie est évidemment une menace aujourd'hui multidimensionnelle pour la France et pour les intérêts européens", a jugé le patron du mouvement ce lundi sur France inter.
Et de citer des ingérences russes "tout au long de la campagne électorale" et la situation "en mer Noire où des bâtiments de l'armée française sont régulièrement mis en joue".
L'ironie de Le Pen sur "la menace russe"
De quoi prendre ses distances avec la présidente des députés RN? Lors d'un débat à l'Assemblée nationale sur la guerre en Ukraine début mars, Marine Le Pen a tapé bien plus fort sur la proposition d'Emmanuel Macron de partager le parapluie nucléaire français que sur la Russie.
Ce dimanche, sept jours après la décision des États-Unis de mettre sur "pause" son aide à l'Ukraine qui a plongé l'Europe dans la sidération, elle a joué la carte de l'ironie dans les colonnes du Figaro.
"Si au bout de trois ans, la Russie a du mal à avancer en Ukraine, il y a peu de chances pour qu'elle ambitionne de venir jusqu'à Paris", a-t-elle jugé, se moquant au passage d'Emmanuel Macron qui a dénoncé lors de son allocution présidentielle la semaine dernière une "menace russe" qui "nous touche" avec une "agressivité" qui "ne semble pas connaître de frontières".
"Deux sensibilités différentes"
"Je ne vois pas de divergences entre Jordan Bardella et Marine Le Pen. Il n'y a pas l'épaisseur d'une feuille de papier à cigarettes entre eux", banalise le député Charles Alloncle qui siège dans le groupe d'Éric Ciotti, allié au RN, auprès de BFMTV.com.
Un lieutenant de Marine Le Pen, lui, reconnaît "peut-être deux sensibilités un peu différentes mais une même vision. Je pense qu'elle est plus attachée que lui aux questions de souveraineté et l'exprime un peu plus fortement".
D'autres tentent de minimiser, comme ce conseiller de la députée: "Les deux se complètent. Ils ne parlent pas pareil. Heureusement sinon on dirait que c’est un perroquet". Depuis des mois, le Rassemblement national souffle le chaud et le froid sur le dossier du conflit entre Kiev et Moscou. Sur le papier, le parti soutient l'Ukraine depuis son envahissement par la Russie en février 2022.
Après s'être largement mis en scène avec Vladimir Poutine lors de la campagne présidentielle de 2017 et avoir évoqué "son admiration" pour le dirigeant russe six ans plus tôt, Marine Le Pen avait expliqué sur BFMTV quelques jours après le début du conflit que Vladimir Poutine avait "franchi la ligne rouge".
Distance avec la Russie
Le mouvement à la flamme s'efforce depuis de prendre ses distances avec la Russie. Marine Le Pen avait été accusée par Emmanuel Macron de "dépendre du pouvoir russe et de Monsieur Poutine" lors du débat de l'entre-deux-tours en 2022.
L'attaque visait directement le prêt souscrit par le RN lors des élections régionales de 2014 auprès d'une banque russe, contracté faute de banque française partante pour financer le mouvement.
Le RN avait donc mis un point d'honneur en septembre 2023 à faire savoir qu'il avait intégralement remboursé cette dette. Autre manœuvre:l'organisation d'une commission d'enquête par le député RN Jean-Philippe Tanguy sur les ingérences étrangères en France. Auditionnée par les députés, Marine Le Pen avait pu longuement se défendre sur son rapport avec la Russie.
"Bardella, plus en retrait"
"Il n'y a rien de plus infamant pour une patriote que de se voir suspectée d'être influencée par une Nation étrangère", avait-elle expliqué, promettant "d'interdire les prêts étrangers" une fois élue à l'Élysée. Autant dire que le soutien à Moscou semblait bien lointain.
"Marine Le Pen avait mis un point d'honneur à laver son honneur là-dessus. On l'a beaucoup plus entendu que Jordan Bardella à l'époque, plus en retrait sur ces questions", reconnaît un député RN.
Mais depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, bien décidé à pousser pour un cessez-le-feu entre l'Ukraine et la Russie, l'atmosphère a changé. Relativement discret sur les relations internationales, le patron du RN qui a salué l'élection du milliardaire américain, assez loin des laconiques félicitations de Marine Le Pen, a musclé son jeu. Quitte à dire parfois le contraire de la patronne des députés.
Désaccord sur la défense européenne
Exemple sur la défense européenne. Face à la proposition d'Emmanuel Macron d'envoyer des troupes françaises en Ukraine dans le cadre d'une opération européenne une fois une trêve établie avec Moscou, Marine Le Pen a dénoncé "une folie" le 3 mars dernier.
Pourtant, lors de la campagne des élections européennes de juin 2024, Jordan Bardella évoquait des "programmes de coopération militaires entre État librement consenties, notamment en matière de défense et de projections de forces" militaires.
"Elle parle probablement à des gens qui se demandent ce que la France irait faire dans une telle galère en envoyant des soldats de notre pays en Ukraine", décrypte un député RN membre du groupe d'amitié France-Russie à l'Assemblée.
"Mais en les écoutant bien, ils disent la même chose. Bardella explique qu'on ne devrait pas forcer les pays de l'UE à participer à un tel programme. Le Pen est juste plus directe en disant que le plus probable est que tout ça ne se fasse jamais", explique encore cet élu.
"Que des coups à prendre"
En attendant, le RN, à commencer par Jordan Bardella, chef de file des eurodéputés Patriotes pour l'Europe, continue à voter contre l'immense majorité des résolutions au Parlement européen, à commencer par de nouveaux trains de sanction pour la Russie.
L'absence du patron du mouvement ou de Marine Le Pen à une réunion sur la guerre en Ukraine autour d'Emmanuel Macron à l'Élysée fin février a également jeté le trouble sur la volonté du RN de soutenir l'Ukraine.
"Nous ne sommes pas des va-t-en guerre. Nous poussons à la paix et depuis le départ, nous avons condamné l'invasion. Quand Poutine et Trump acceptent de parler de négociations pour sortir du conflit, nous ne pouvons accueillir ça qu'avec optimisme", défend de son côté le député européen RN Gilles Pennelle.
"C'est une séquence pas facile pour nous en ce moment. On marche sur des œufs et on n'a que des coups à prendre en en faisant trop ou pas assez. Et d'une certaine façon, la polyphonie entre Bardella et Le Pen résume bien ça", reconnaît un collaborateur d'un député RN.
Cette ligne, pas toujours claire, semble générer une forme de frustration. "Je ne vous dis pas que c'est pas pénible", assure un député RN. "Ces sujets ne sont pas les plus simples". "Parfois on n'a pas la ligne au début. Sur la question des troupes de maintien de la paix par exemple. Ça on a mis du temps", abonde un de ses collègues.
Rendez-vous mercredi à l'Assemblée
Prochaine épreuve pour le mouvement: la proposition de résolution pour renforcer l'aide à l'Ukraine, "qu'elle soit financière, militaire ou technologique" tout comme la prolongation "des sanctions contre la Russie" étudiée ce mercredi à l'Assemblée.
Ce texte qui devrait être largement adopté pose également le principe de "faciliter le processus d'adhésion de l'Ukraine" à l'Union européenne, soit exactement ce qu'a toujours rejeté le RN au Parlement européen.
Les députés de Marine Le Pen changeront-ils d'avis ce mercredi lors des débats ? "On est tous très emmerdés par ce truc", résume sans phare un député. L'ex-candidate à la présidentielle a indiqué lors d'une conférence de presse ce mardi après-midi que ses troupes ne la voteront pas "en l'état".