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Politique

Le bouton nucléaire partagé avec des pays européens? L'idée d'Emmanuel Macron divise la classe politique

Emmanuel Macron à Porto (Portugal) le 28 février 2025

Emmanuel Macron à Porto (Portugal) le 28 février 2025 - MIGUEL RIOPA / AFP

À la tête de l'une des deux puissances nucléaires en Europe, Emmanuel Macron s'est dit prêt le 28 février à "ouvrir la discussion" sur la dissuasion nucléaire à ses partenaires européens. Mais la proposition, qui changerait profondément la doctrine de défense française, clive.

Une position qui suscite l'émoi chez une partie de l'échiquier politique. Trois jours après la rencontre entre Volodymyr Zelensky et Donald Trump qui a tourné au fiasco et au lendemain d'une réunion à Londres, la proposition d'Emmanuel Macron d"ouvrir à la discussion" la dissuasion nucléaire européenne provoque le débat.

"Nous sommes totalement opposés à partager le bouton nucléaire", a avancé Jordan Bardella ce lundi matin sur RTL. "Il en va de notre souveraineté nationale", a insisté le président du Rassemblement national.

"On ne doit pas partager" le bouton de l'arme nucléaire

Même son de cloche pour Marine Le Pen qui a jugé que la dissuasion nucléaire de la Française doit rester "française" et qu'on "ne doit pas la partager" en marge du salon de l'agriculture samedi.

Le président des députés LR Laurent Wauquiez est lui aussi sur cette ligne. Ce dimanche soir sur LCI, le député de Haute-Loire a jugé que "le bouton nucléaire ne se partage pas".

Devant le spectaculaire rapprochement des États-Unis avec la Russie sur fond de tentative d'accord de paix entre Kiev et Moscou, Emmanuel Macron a relancé le débat sur l'idée très sensible d'un parapluie nucléaire européen ce vendredi lors de son déplacement au Portugal.

Une proposition qui "rendrait la France plus forte"

Le chef de l'État a encore précisé son propos ce samedi auprès du Parisien, évoquant un "dialogue stratégique" avec les pays européens qui n'ont pas l'arme nucléaire et pourraient ne plus dépendre de la dissuasion américaine. Cela "rendrait la France plus forte" car "aujourd’hui" les missiles russes déployés en Biélorussie "nous exposent", a encore expliqué le locataire de l'Élysée.

Sur le continent européen, Paris et Londres sont les seules capitales à disposer de l'arme nucléaire. Cette proposition, déjà lancée par Emmanuel Macron en 2020, vise à répondre au risque de retrait de la garantie de sécurité américaine en Europe, dans la droite lignée du discours du vice-président américain JD Vance à Munich mi-février.

Mais les propos du président français rompent totalement avec la doctrine de la dissuasion nucléaire dans l'Hexagone. Depuis son origine, elle se veut complètement indépendante et repose sur l'appréciation par un seul homme, le président de la République, d'une menace contre les intérêts vitaux du pays.

Bien conscient de ce changement de cap radical, le ministre des Armées Sébastien Lecornu a tenté de convaincre sur X en expliquant que l'arme nucléaire "restera" française "de la conception et la production de nos armes, jusqu'à leur mise en œuvre sur décision du président de la République".

"Nos intérêts vitaux comportent une 'dimension européenne'", a-t-il cependant plaidé.

Les socialistes "se retrouvent" dans les propos de Macron

Dans les rangs d'une partie de la gauche, l'argument porte.

"Je me retrouve parfaitement dans ce qui a été énoncé par le chef de l'État. Ce n'est pas parce que je suis dans l'opposition que je suis pavlovien", a expliqué le premier secrétaire du Parti socialiste Olivier Faure ce lundi sur France info.

"La France a un rôle immense à jouer parce qu'elle est la seule puissance dotée de l'arme nucléaire de l'Union européenne, parce qu'elle a une industrie de défense puissante", a abondé sur France 2 l'eurodéputé social-démocrate Raphaël Glucksmann dans la foulée.

Sans manifestement convaincre Jean-Luc Mélenchon. Sans se prononcer directement sur l'arme nucléaire, le chef de file de la France insoumise a estimé de son côté qu'il fallait "faire obstacle" à "l'Europe de la défense" tout en dénonçant la "servilité atlantiste" des Européens dans une note de blog.

"Nous changeons d'époque"

Il faut dire que le scénario d'une dissuasion européenne se heurte à de nombreux obstacles, à commencer par l'autonomie de décision revendiquée par la France dans ce domaine. Emmanuel Macron a lui-même reconnu ce vendredi lors de son déplacement au Portugal que la "doctrine nucléaire garde un certain mystère parce que l'ambiguïté fait partie de son efficacité".

"La France ne va donc pas dire par avance où elle pourrait frapper, "c'est le choix du chef des armées", c'est-à-dire du président, a-t-il encore insisté.

"Mais le général de Gaulle et mes autres prédécesseurs ont toujours dit que les intérêts vitaux avaient une dimension européenne", a cependant bien précisé le chef de l'État auprès du Figaro dimanche. Les pays européens "qui souhaitent approfondir le dialogue avec nous pourront, le cas échéant, être associés aux exercices de forces de dissuasion", a insisté Emmanuel Macron.

Après une rencontre autour d'une quinzaine de dirigeants européens et du Premier ministre anglais Keir Starmer ce dimanche à Londres, tous les pays de l'Union européenne se retrouveront ce jeudi à Bruxelles pour un sommet consacré à la défense. Le futur chancelier allemand Friedrich Merz a déjà fait savoir qu'il était favorable à l'idée défendue par Emmanuel Macron.

Marie-Pierre Bourgeois