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"La pire crise de leur histoire": après la reconnaissance de l’État de Palestine, à quoi vont ressembler les relations franco-israéliennes?

Emmanuel Macron et Benjamin Netanyahu à Jérusaleme le 24 octobre 2023. (Photo d'archive)

Emmanuel Macron et Benjamin Netanyahu à Jérusaleme le 24 octobre 2023. (Photo d'archive) - Christophe Ena / POOL / AFP

La reconnaissance de l'État de Palestine par la France met un coup de massue à une relation déjà détériorée entre Emmanuel Macron et Benjamin Netanyahu. Des sanctions israéliennes sont redoutées ces prochains jours. De quoi déséquilibrer les rapports entre les deux pays, sans toutefois endommager en profondeur la diplomatie franco-israélienne.

Israël fulmine. Bien qu'annoncée, la reconnaissance officielle de l'État de Palestine par la France ce lundi 22 septembre à l'ONU est perçue comme un tsunami diplomatique en Israël. Cette décision risque d'envenimer les relations, déjà devenues glaciales ces derniers mois, entre Emmanuel Macron et Benjamin Netanyahu.

"Le Premier ministre israélien tient Emmanuel Macron pour responsable de la vague de reconnaissance" de l'État de Palestine, souligne David Rigoulet-Roze, chercheur à l’Institut français d’analyse stratégique et spécialiste du Moyen-Orient, contacté par BFMTV. Cinq pays européens, la Belgique, le Luxembourg, Malte, Andorre et Monaco, ont en effet suivi les pas de la France lundi à la tribune de l'ONU. La veille, le Royaume-Uni, le Canada, l'Australie et le Portugal avaient également reconnu l'État palestinien.

Pour l'historienne, spécialiste d'Israël et des relations internationales, Frédérique Schillo, la France et l'État hébreu "traversent la pire crise de leur histoire".

Totalement opposé à la reconnaissance de l'État de Palestine, et à la solution à deux États qu'avance une telle reconnaissance, Israël avait averti dimanche avant même l'officialisation qu'elle ne resterait pas de marbre.

Pour première réaction, Benjamin Netanyahu a déclaré ce mercredi que "rien n'oblige Israël". "La soumission honteuse de certains dirigeants au terrorisme palestinien n'oblige en rien Israël. Il n'y aura pas d'État palestinien", a asséné dans un communiqué lapidaire le chef du gouvernement, visé par un mandat d'arrêt de la Cour Pénale Internationale pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité à Gaza.

Fermeture du Consulat à Jérusalem, suspension du partage de renseignement...

Différents leviers peuvent être actionnés par Israël pour exprimer sa colère. À commencer par le rappel de son ambassadeur en France. Après la reconnaissance de l'État de Palestine par l'Espagne, la Norvège et l'Irlande en 2024, l'État hébreu avait pris une telle mesure.

Israël pourrait également décider de ne pas renouveler les visas de certains diplomates au Consulat général de France à Jérusalem, ou de manière plus forte, fermer ce consulat. Ce consulat exerce des relations semi-diplomatiques, indépendamment de l'ambassade de France en Israël, et sert de point de contact avec les Palestiniens.

Début septembre, la vice-ministre des Affaires étrangères israélienne Sharren Haskel avait déclaré à Franceinfo que cette fermeture était "sur la table du Premier ministre".

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De son côté, le quai d'Orsay affirme ne pas avoir été "notifié de quoi que ce soit par les autorités israéliennes". "Il est bien évidemment naturel qu'il y aura une réponse de très grande fermeté si c'était le cas", affirme à BFMTV le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Pascal Confavreux.

L'historienne Frédérique Schillo craint un acte "plus grave", comme une atteinte à l'un des quatre domaines nationaux français de Jérusalem. "Les autorités pourraient s'y rendre physiquement, mettre des scellés aux portes et revendiquer la possession des lieux", détaille-t-elle à BFMTV. "Ce serait contraire au droit international, mais symboliquement ce serait très fort".

"Israël va sans doute opter pour des sanctions diplomatiques de l'ordre du symbole, qui atteignent l'image de la France en Terre sainte", juge la co-autrice de Sous tes pierres, Jérusalem (Ed.Plon). Une autre option est avancée: la suspension du partage du renseignement avec la France.

"Israël pourrait décider de ne plus partager de renseignements pendant un temps, cela aurait des conséquences terribles sur la lutte antiterroriste", avertit-elle.

"Ça ne suppose pas des réponses agressives"

Le gouvernement israélien, qui mène une féroce offensive à Gaza-ville après près deux ans de guerre, a également brandi la menace d'une annexion, totale ou partielle, de la Cisjordanie.

Dimanche, la veille de la reconnaissance de l'État de Palestine par la France, Benyamin Netanyahu a fait part de son intention d'y poursuivre "les implantations juives" répétant "qu'aucun État palestinien ne verra le jour à l’ouest du Jourdain". Deux ministres israéliens d'extrême droite, Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich, ont quant à eux appelé au début du mois à l'annexion totale de ce territoire palestinien occupé par Israël depuis 1967.

Faire de l'annexion de la Cisjordanie une mesure de rétorsion à la reconnaissance de l'État de Palestine est "fallacieux" aux yeux du spécialiste du Moyen-Orient, David Rigoulet-Roze.

"Le gouvernement israélien va utiliser cette reconnaissance comme un prétexte pour justifier une politique d'annexion rampante en réalité élaborée de longue date", abonde-t-il.

Enfin, il faut s'attendre à une multiplication des joutes verbales. Les passes d'armes se sont déjà multipliées ces derniers mois entre Benjamin Netanyahu et Emmanuel Macron. En août, le Premier ministre israélien avait accusé le président français "d'alimenter le feu antisémite" et de faire le jeu du Hamas. Le chef de l'État est persona non grata en Israël, jusqu'à nouvel ordre.

Emmanuel Macron tente quant à lui de brandir la carte de l'apaisement. "On propose un chemin de paix, ça ne suppose pas des réponses agressives (...) Ce serait complétement contre-productif, pour rester pudique, s'il y avait une telle réaction", a-t-il réagi dans une interview exclusive accordée à BFMTV mardi. "La France est attachée à son partenariat avec Israël" "un pays ami", a-t-il ajouté.

S'il "ne veut pas se mettre dans un scénario du pire ou de l'escalade", le président affirme toutefois que la France "a planifié toutes les options possibles" et ne "restera pas inerte".

"Le président n'a aucun intérêt et aucune volonté d'envenimer les relations avec Israël", nous confirme Ofer Bronchtein, chargé de mission d'Emmanuel Macron pour le rapprochement entre Israéliens et Palestiniens.

"Le gouvernement israélien fait de la politique intérieure pour séduire sa base, mais Israël a beaucoup plus à perdre que la France. Le Premier ministre israélien a oublié que la France était la cinquième puissance mondiale", abonde le président du Forum international pour la paix à son retour de New-York, appelant l'État hébreu "au calme".

Pour Ofer Bronchtein, Benjamin Netanyahu ne prendra de toute façon aucune décision sans l'aval des États-Unis, son allié et "son patron". Le chef du gouvernement israélien doit rencontrer Donald Trump à la Maison Blanche en début de semaine prochaine.

La relation franco-israélienne "n'est pas remise en cause en profondeur"

Pour le chercheur David Rigoulet-Roze, les "relations très dégradées" entre Emmanuel Macron et Benjamin Netanyahu peuvent créer un "effet d'optique conjoncturel" sur la nature de la relation franco-israélienne. La relation historique "étroite" entre les deux pays "n'est vraisemblablement pas remise en cause en profondeur", assure-t-il.

"La France n'est jamais revenue sur son soutien à la sécurité d'Israël", appuie le spécialiste rappelant qu'après le 7-Octobre, Emmanuel macron avait été l'un des premiers a martelé le "droit d'Israël à se défendre".

Une position partagée par Frédérique Schillo. "La brouille diplomatique n'est pas assez forte" pour avoir des effets sur le long terme, remarque-t-elle. "La personnalisation des relations est dans un sens plutôt bon signe, une fois que ces deux dirigeants auront quitté la scène, les diplomaties retrouveront plus facilement le calme".

Les échanges entre la France et Israël "se poursuivent" et "n'ont jamais cessé", affirme une source diplomatique à BFMTV. "Les contacts sont constants et exigeants".

Juliette Brossault